| Gédéon Tallemant des Réaux est un écrivain français, né à La Rochelle en 1619, mort à Paris en 1692 (?). Il appartenait à la branche cadette de la famille Tallemant. Son père, Pierre Tallemant, après avoir eu trois enfants de sa première femme épousa en secondes noces Marie de Rambouillet, soeur du financier et en eut également trois enfants : Marie Tallemant qui épousa Henri de Massuès, seigneur de Ruvigny, et sortit de France avec son mari à la suite de la révocation de l'édit de Nantes; François Tallemant, abbé de Val-Chrétien et enfin Gédéon Tallemant, seigneur des Réaux, auteur des Historiettes. Tallemant des Réaux nous a laissé, dans ses Mémoires, quelques détails sur les siens. « Mon père, écrit-il, était un homme du vieux temps in puris natur ralibus, qui, en sa vie n'avait fait une réflexion. Opiniâtre à un point étrange, il disait naïvement : « On dit que je suis opiniâtre : qu'on me fasse venir un homme qui me persuade; on verra bien que je ne suis point têtu ». Il avait de l'honneur et était humain, mais le plus méchant politique du monde : il avait des façons de parler toutes particulières... et il parlait aux gens du dehors, pour peu qu'il fût en belle humeur, comme à ses enfants, car il était gai naturellement. » La jeunesse de Tallemant des Réaux est mal connue. On sait par ses Mémoires qu'il fut amoureux pour la première fois en 1636, à l'âge de dix-sept ans, et qu'il fit l'année suivante un voyage en Italie, en compagnie de deux de ses frères et de l'abbé de Retz. De retour à Paris, il y prit ses degrés en droit civil et canon; mais refusa, malgré le désir de son père, d'entrer dans la magistrature : « Voyant, dit-il, que, mon père n'était pas homme à me donner du bien qu'en me mariant ou en me faisant conseiller, et je haïssais ce métier-là, outre que je n'était pas assez riche pour jeter quarante mille écus dans l'eau, je me résolus donc à me marier ». En conséquence, il demanda la main d'Elisabeth de Rambouillet, fille de son oncle maternel, Nicolas de Rambouillet. Il fut agréé, mais sa fiancée n'ayant encore que onze ans et demi, le mariage ne fut célébré que deux ans plus, tard : « Mme de Rambouillet, écrit toujours Tallemant, m'aimait tendrement; ses fils étaient en quelque sorte mes disciples; on ne pouvait pas me tromper pour le bien : nos pères avaient fait mêmes affaires et, comme ils avaient eu de grands procès et qu'il y avait encore tous les jours quelque chose à démêler, je croyais les rendre amis pour jamais. Si on peut dire qu'on ne fait pas une sottise en se mariant, il me semble que je pouvais dire que je n'en faisais pas une ». On ne sait pas exactement quelle fut la dot d'Elisabeth de Rambouillet. Tallemant, lui, reçut de son père, en se mariant, 50.000 écus. Sa vie dès lors fut unie et calme. Il eut sans doute une fille; au moins peut-on le supposer car il parle dans son chapitre sur Mme de Montausier, d'une petite des Réaux. Mais il la perdit jeune : car, à sa mort, sa fortune passa à des collatéraux. En 1650, il acheta en Touraine la terre seigneuriale du Plessis-Rideau qui lui coûta 115.000 livres et il fut autorisé par lettres patentes à changer le nom de Plessis-Rideau en celui de des Réaux qu'il portait depuis son enfance. Un procès touchant cette terre donna à Tallemant l'occasion de recourir à l'éloquence de Patru. Il était son ami dès l'enfance, et les Mémoires de Tallemant attestent qu'ils n'avaient pas de secrets l'un pour l'autre. Compagnons de plaisir, liés par un goût commun pour les lettres, hommes d'esprit enfin l'un et l'autre, ils restèrent toujours unis: lorsque Patru mourut en 1681, Tallemant fit pour lui deux épitaphes dont la moins connue se termine ainsi : Il a savamment discouru, Mais peu de la seconde vie : Heureux s'il n'a trouvé que ce qu'il en a cru! Ces vers donnent à penser que Tallemant, au moins dans sa jeunesse, fut, jusqu'à un certain point, un esprit fort. En tout cas une épître en vers, adressée au père Rapin, jésuite, montre clairement qu'avant 1687, il était revenu de son scepticisme; peut-être même s'était-il, à l'exemple de son frère, converti au catholicisme. Dans l'épître à Rapin, il fait allusion à des « disgrâces »; des « ennuis », des « pertes » qui l'auraient rendu plus sage. Mais la vieillesse de Tallemant est encore plus mal connue que sa jeunesse. On ignore la date de sa mort : deux documents concernant Elisabeth de Rambouillet et datés l'un de 1691, l'autre de 1704, nous apprennent seulement que son mari vivait en 1691 et qu'elle était veuve en 1704. Tallemant des Réaux aimait la poésie et paraît avoir toujours fait des vers. Il les faisait dans le goût du temps et l'on a de lui des ballades, des sonnets, des épigrammes et même le brouillon d'une tragédie d'Oedipe qui ne fut jamais achevée. Tout cela lui coulait peu et valait ce qu'il lui coûtait. Les Historiettes ou Mémoires sont le seul ouvrage qu'il nous ait laissé. Elles sont le reflet fidèle de son humeur et de ceux qu'il a fréquentés. Lié avec Patru, Perrot d'Ablancourt, Rapin, il avait un petit groupe d'amis lettrés avec qui il causait des livres nouveaux et des anciens. En outre, il fût de tout temps l'un des habitués les plus assidus de l'hôtel de Rambouillet et même un des amis préférés de la marquise : d'elle il apprit la plus grande partie des anecdotes qu'il a contées sur le règne de Henri IV; chez elle, il rencontra tout ce que la cour et la ville avaient de brillant et d'illustre. Et c'est peut-être dans les Historiettes qu'on trouvera le tableau le plus exact et le plus complet de ce cercle fameux; enfin, lorsqu'il quittait cette société précieuse, Tallemant voyait s'ouvrir à son observation le monde des financiers, la bourgeoisie riche : fils d'un banquier, gendre d'un traitant, cousin germain par alliance de la fille du célèbre Montauron, introduit par sa belle-soeur Mlle de La Nouville dans d'autres familles opulentes, il put à son aise étudier le monde de la ville et le comparer à celui de la cour. Les portraits qu'il a faits de Mme de Cavoie, de Mme Cornuel, de Mme Pilou surtout sont des documents précieux sur une classe de la société du XVIIe siècle, aujourd'hui encore relativement peu connue. Peut-être Tallemant, bourgeois lui-même, a-t-il goûté quelque plaisir secret à rabaisser toujours les grands au niveau commun, à découvrir les humbles origines ou les mésalliances des familles illustres. Mais il ne faudrait pas exagérer ce reproche : Tallemant sait d'ordinaire discerner, avec sagacité, le vrai mérite et ne le rabaisse pas de propos délibéré. Le reproche de grossièreté, voire d'indécence, souvent adressé aux Historiettes serait plus justifié peut-être : il est certain que Tallemant a fait dans son oeavre la plus large place aux anecdotes scandaleuses et les a contées franchement, sans reculer devant le mot propre : il faut seulement prendre garde avant de crier au cynisme, que maint détail qui peut paraître aujourd'hui hasardé n'aurait pas au XVIIe siècle offensé le goût le plus délicat. Tallemant dans une de ses historiettes reproche aimablement à Mme de Rambouillet d'avoir été cérémonieuse à l'excès : « On n'oserait, dit-il, devant elle, prononcer le mot de c.. Cela va dans l'excès... » Il faut, avant de juger trop sévèrement Tallemant, tenir compte du changement des opinions sur la bienséance à travers les âges et faire la part du temps. Ces réserves indiquées, il reste que comme Brantôme, comme Pierre de l'Estoile, comme parfois Bussy-Rabutin, comme aussi Sorel ou Furetière, Tallemant a prêté moins d'attention aux dehors brillants de la société qui l'entourait qu'à ses dessous cachés. Derrière les personnages plus ou moins idéalisés que nous présentent le théâtre et le roman galant du XVIIe siècle, il nous fait voir tout un monde encore brutal, franc, tout près de la nature. On ne saurait faire un grief aux historiettes de cette brutalité qu'elles ne font que refléter. Le style de Tallemant des Réaux est vif, alerte et précis. Il sait mettre en valeur un mot, indiquer l'idée et ne pas insister. Certains portraits, particulièrement soignés, sont des modèles d'ironie légère et élégante, et qui pourtant porte. Malheureusement, il arrive trop souvent à Tallemant de ne pas se contenter, d'un sous-entendu dont le lecteur se contenterait. Il lui arrive de s'appesantir un peu lourdement sur des plaisanteries un peu fades; par là, Tallemant est bien de son temps; de plus, toutes ses anecdoctes sont loin d'être également attrayantes, et il a des recueils de bons mots et d'aventures plaisantes qui déconcertent; sa langue enfin n'a pas l'ampleur savoureuse de celle de Brantôme et elle est plus près du XVIIIe siècle que du XVIe. Outre ses Historiettes, Tallemant avait commencé des Mémoires de la régence d'Anne d'Autriche qui, si nous l'en croyons lui-même, auraient contenu maint détail curieux sur l'administration du cardinal Mazarin. Mais nous ne les possédons pas.(A. Bayet). | |