L'eau
« Commenceant
par l'eau, je dirai qu'en ceci elle surpasse les autres éléments
[l'eau est la meilleure des choses, dit Pindare
(Olympiques, I, 1)] que de servir d'aliment [ = en ce qu'elle sert
d'aliments]; en tant qu'elle abbruve toute sorte d'animaux, ne donnans
immédiatement aucune nourriture ni le feu, ni l'agir ni la terre
[ = le feu, etc, ne donnant immédiatement aucune nourriture]. C'est
par l'eau que toutes habitations sont rendues agréables et saines
et tous terroirs fertils. Quel plaisir est-ce de contempler les belles
et claires eaux coulantes à l'entour de vostre maison semblans vous
tenir compaignie? Qui rejaillissent en haut par un million d'inventions,
qui parlent, qui chantent en musique, qui contrefont le chant des oiseaux,
l'escoupeterie des arquebusades, le son de l'artillerie, comme tels miracles
se voyent en plusieurs lieux, mesme à Tivoli, à Pratoli et
autres de l'Italie? Et très naifvement [ = au naturel] à
Sainct-Germain en Laie, où le roi a de nouveau faict construire
telles et autres magnificences admirées de tous ceux qui les contemplent.
Quant à la santé, les salubres eaux courantes rafreschissent
l'aer en esté, en toutes saisons servent à la netteté
[ = propreté], lavans les immondices du mesnage : faute de quoi
faire n'ayant l'eau à commandement, souvent l'on tombe en grandes
maladies et langueurs. La peste, à faute d'eau, se fourre quelquesfois
parmi les armées. Le bestail aussi n'estant bien abbruvé,
ne faict jamais bonne fin : au contraire, tousjours se porte d'autant mieux
que mieux il est accommodé d'eau. Du profit qu'en dirons-nous? N'est-ce
pas l'eau qui par ses arrousemens convertit en bonne la mauvaise terre,
la rendant propre à produire abondamment, arbres, fruicts d'iceux,
foins, herbes des jardinages, et plusieurs autres biens, mesme [ = surtout]
blés et vins? Aussi à telle occasion, est-elle dicte asseurée
alchumie [ = alchimie qui ne trompe pas] d'autant qu'en peu de temps elle
se convertit en or et argent, par le moyen des choses susdictes; et par
les divers moulins qu'elle anime, souventes fois avec revenu excédant
celui de la terre. En l'article du profit venant de l'eau sera couchée
[ = enregistrée] la pesche; autant grand qu'on le pourrait imaginer;
comme ailleurs particulièrement je l'ai représenté
[ au chapitre XIII du lieu V].
Ces choses recogneues
de toute ancienneté, les hommes ont tasché de s'accommoder
d'eau, selon que leurs esprits et facultés leur en ont suggéré
les moyens. La Nature aussi y a travaillé d'elle-mesme, en plusieurs
lieux, mais avec grande merveille, en Égypte où l'eau du
Nil s'enflant inonde la terre trois mois continuels; passé ce temps-là,
l'eau retirée laisse un gras limon sur lequel le peuple sème
son grain avec peu de labeur et grand rapport. Mais par ne pouvoir estre
imité tel arrousement naturel [= parce que tel arrosement naturel
ne peul être imité], je n'en discourrai plus avant, ni de
plusieurs autres admirables eaux, dont Pline, Vitruve et autres Anciens
font mention, pour mettre en évidence l'ingénieuse invention
de Crappone, gentil-homme Provençal qui en l'année mil cinq
cens cinquante sept fit conduire à Selon de Craux en Provence un
bras de l'eau de la Durence, par un large canal prins à cinq lieues
de ladicte ville. Ceste eau-là, pour avoir faict changer de visage
aux terroirs qu'elle arrouse, leur a causé d'autant plus de profit
qu'auparavant ils estoient de peu de valeur, à raison de l'importune
chaleur méridionale du pays : et si a utilement accommodé
de moulins les peuples de ce quartier-là, à la louange de
l'inventeur, duquel la mémoire se conserve avec la jouissance du
fruict de son patient labeur.. »
(O.
de Serres, Théâtre d'agriculture; septiesme lieu, Avant-propos).
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