| Jean Régnault de Segrais est un poète français, né à Caen en 1624, mort à Paris en 1701. Il fit ses études chez les jésuites et fut d'abord destiné à l'état ecclésiastique; mais il préféra s'adonner à la littérature. Il composa d'abord un poème d'Athis, où déjà se font jour ses tendances pastorales et bucoliques; dans cette oeuvre de jeunesse, il transforme en une sorte d'Arcadie ou de vallée de Tempé une petite localité normande et y place des bergers de Virgile; un roman intitulé Bérénice (1648-1651, 4 volumes) et une tragédie d'Hippolyte, qui n'a pas été imprimée, complétèrent ses premiers essais. Le comte de Fiesque s'éta nt intéressé au jeune auteur l'amena à Paris et lui fit obtenir en 1648 la place de secrétaire et de gentilhomme ordinaire de la duchesse de Montpensier. Il exerça ces fonctions jusqu'en 1672, ce qui ne l'empêcha aucunement de cultiver les lettres et de publier successivement : les Nouvelles francaises ou Divertissements de la princesse Aurélie (Paris, 1636-1657, 2 volumes); Poésies diverses (1658), le Tolédan ou Histoire romanesque de don Juan d'Autriche (1659, 5 volumes); il donna aussi en 1666 la traduction des premiers chants de l'Enéide. Quatre ans auparavant, l'Académie française l'avait élu en remplacement de Boisrobert. - Stances sur un dégagement « Comme un feu qui s'éteint faute de nourriture, Faute d'espoir, enfin, s'est éteint mon amour; Mais, tant qu'il put durer, sa flamme claire et pure Brilla, comme à midi brille l'astre du jour. Du juste et vain regret de vous avoir aimée, S'il s'allume en mon coeur quelque secret courroux, Du feu de ce courroux la plus noire fumée Ne noircit point un nom qui m'est encor si doux. J'ai pu me repentir comme j'ai dû le faire, Mais sans murmure, enfin, je me suis retiré, Sans blasphémer les dieux, auteurs de ma misère, Ni profaner l'autel que j'ai tant adoré. Même en vous déclarant que votre orgueil me chasse, Tout outré que je suis des maux que j'ai soufferts, Je ne vous reviens point montrer avec audace Un captif insolent d'avoir brisé ses fers. Sans vous rien reprocher de mes peines souffertes, Il me plaît seulement de m'en entretenir Le nocher, dans le port, consolé de ses pertes, Des plus affreux périls aime le souvenir. Je sais de vos appas la divine puissance; Mais de quelques appas qu'on puisse être charmé, Qui peut toujours servir sans nulle récompense? Qui peut toujours aimer et n'être pas aimé? Je vous aimais, Olympe, et d'une amour si forte, Que ma raison séduite en vain montre à mon coeur Que de votre prison elle a rompu la porte, Tant ce coeur insensé s'aimait dans sa langueur! Triomphez-en, cruelle, au moment que je songe Combien fut vain l'espoir par qui je fus surpris; Ce malheureux voudrait qu'un si plaisant mensonge Pût encore abuser ses crédules esprits. Mais je vois son erreur et je sais qui l'anime, Et je sais encor mieux qu'au dessein que je fais, Quand la rébellion peut être légitime, Avecque son tyran il ne faut point de paix. Cesse donc, vain effort de mon âme insensée, Repentir d'un dessein sagement entrepris, Viens seul, viens pour jamais occuper ma pensée, Digne ressentiment d'un indigne mépris. Que la douleur passée est douce à la mémoire, Et qu'on doit dans son sort trouver peu de rigueur, Quand on n'a pu jouir d'une juste victoire, D'être du moins sauvé des chaînes du vainqueur. » (J. de Segrais). | S'étant brouillé avec la duchesse de Montpensier, il trouva en 1672 une place équivalente auprès de Mme de La Fayette et aida certainement celle-ci dans la composition de la Princesse de Clèves, dont la première édition (1678) parut sous le nom de Segrais; ajoutons qu'il avait aussi mis son nom aux deux romans attribués à la duchesse de Montpensier : Relation de l'île imaginaire et la Princesse de Paphlagonie (1659). C'est dans ses Poésies diverses, rééditées d'une façon plus complète après la mort de l'auteur (Amsterdam, 1723, 2 volumes), que se trouvent les Eglogues, auxquelles Segrais doit la meilleure partie de sa renommée littéraire. Elles sont moins artilicielles que la plupart des compositions de ce genre, et André Chénier, qui les a certainement surpassées, les estimait assez pour se les proposer comme modèles. Il y a aussi un certain souffle lyrique dans les odes adressées à Chapelain, à Ménage et au comte de Fiesque. Segrais se retira en 1676 dans sa ville natale, y épousa une riche héritière et réunit autour de lui un petit groupe d'hommes distingués avec le concours desquels il réorganisa l'Académie de Caen, qui avait été détruite en 1674, et qui deviendra la Société des antiquaires de Normandie, une des plus sérieuses Académies provinciales. ll avait refusé la charge de gouverneur du duc du Maine, que lui offrait Mme de Maintenon, pour se livrer, dans le repos, à la culture des lettres, et mit alors la dernière main à la traduction de l'Enéide et des Géorgiques (1681, 2 volumes); il réunit aussi les éléments des deux volumes de Mélanges qui parurent après sa mort sous le titre de : Segresiana ou Mélanges de littérature. (PL). | |