| Charles Secrétan est un célèbre métaphysicien et moraliste né à Lausanne le 19 janvier 1815, mort à Lausanne le 24 janvier 1895. Suppléant de Vinet à Bâle (1833), élève de Schelling (1837), il fonda en 1837 la Revue suisse, professa de 1838 à 1846 la philosophie à l'Université de Lausanne, fut révoqué lors de la révolution vaudoise, professa au collège de Neuchâtel (1830), reprit en 1866 sa chaire de Lausanne. Tout l'essentiel de ses doctrines fut condensé dans le plus important de ses livres : La Philosophie de la liberté. Le système de Charles Secrétan est celui, disions-nous, d'un philosophe et d'un théologien, mais d'un théologien rationaliste, attaché aux idées libérales qu'avait défendues ce fort et généreux penseur, Vinet, son prédécesseur en cette même chaire de l'Université de Lausanne. L'oeuvre spéculative de Charles Secrétan constitue l'une des tentatives les plus originales que la raison humaine ait osées pour concilier les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne avec les principes de la philosophie première. Cette conciliation; il la réalisa grâce à la déduction du concept de la liberté. Et la considération du concept de liberté élève notre philosophe jusqu'aux plus hauts sommets de la théologie rationnelle. Déjà Descartes, dont il n'est pas douteux que Secrétan relève en toute cette métaphysique, avait professé que Dieu est liberté pure, en sorte que nos soi-disant vérités nécessaires relèvent de son arbitre souverain, et l'on sait que, chez l'humain même, l'auteur des Méditations apercevait une infinie-volonté. Secrétan se souvient de Descartes, mais en poussant plus loin encore que lui. Dieu n'est pas seulement, selon Secrétan, souverainement libre. Il est la liberté elle-même. De plus cette liberté, qui nous révèle le secret de sa nature, nous permet aussi de comprendre, par la limitation et la finitude que volontairement l'auteur de toutes choses s'est imposée, le processus de la création. La liberté de Dieu repose sur sa nature même ; elle est essentielle, éternelle. C'est la seule chose dont il soit permis de dire : elle ne peut pas ne pas être. (La Philosophie de Leibniz, VIe leçon). Enivré de cette idée, Secrétan se comptait aux spéculations renouvelées de certaines écoles mystiques sur l'aséité divine : Dieu, cause de soi se donnant librement sa nature, ce sont là toutes conceptions auxquelles il n'aperçoit nulle obscurité et qui découlent, à ses yeux, de « la notion même d'absolue liberté ». L'être, déclare-t-il, qui existe par soi, ne tient évidemment sa liberté que de lui-même, au sens positif, qu'il se la confère. Substance, il se donne l'existence; vivant, il se donne la substance; esprit, il se donne la vie; absolu, il se donne la liberté. (La Philosophie de la liberté, XVe leçon). Nous sommes en présence d'un libertisme radical. La notion de liberté, après avoir fondé théologie et métaphysique, jette le pont entre cette dernière et la morale. Ce n'est pas qu'à proprement parler la liberté par elle-même pose le principe de l'éthique. Non : ce qui révèle ce principe, ce n'est pas la liberté, c'est l'impératif dont cette même liberté prend conscience, comme d'un concomitant inséparable. Ce concomitant m'instruit d'une double vérité : qu'il existe une loi et que cette loi émane d'un suprême législateur. En un mot, être libre, j'ai conscience du devoir et ce devoir me prouve Dieu ou plutôt et à proprement parler, je n'ai pas conscience du devoir; mais je crois au devoir, je dois croire en lui. Et la croyance au devoir constitue le premier des devoirs. L'obligation étant parfaitement certaine, c'est cette certitude de l'obligation qui me prouve la possibilité essentielle de m'y conformer. Qui clora ce débat? Personne. Non, ,je ne suis pas logiquement obligé de croire au devoir ; mais j'y suis tenu moralement. Je l'affirme et je passe. (Le Principe de la morale). Comme la liberté se faisait elle-même, ainsi se crée lui-même le devoir. L'historien de Secrétan, Pillon, montre fort bien comment, avec les années, certain pessimisme initial du philosophe théologien s'est insensiblement effacé; comment séduit en quelque mesure par la grande hypothèse évolutionniste, il a de plus en plus relégué à l'arrière-plan de ses spéculations le dogme chrétien de la chute, et de plus en plus a embrassé la conception d'un progrès indéfini.
| En bibliothèque - Principales oeuvres de Charles Secrétan : la Philosophie de Leibniz (1840). - La Philosophie de la liberté (1848-49, 2 vol.). - Recherches de la méthode (1857). - La Raison et le Christianisme (1863). - Précis de philosophie (1868). - Discours laïques (1877). - Principe de la morale (1884). - La Civilisation et la Croyance (1887). - Mon utopie (1892). | | |