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Scribe

Augustin Eugène,Scribe est un auteur dramatique français, né à Paris le 24 décembre 1791, mort à Paris le 20 février 1861. Fils d'un marchand drapier (rue Saint-Denis, à l'enseigne du Chat noir), il perdit son père de bonne heure et fit son droit : malgré les conseils de son tuteur l'avocat Bonnet, il ne se fit pas avocat et se laissa entraîner par son goût du vaudeville et du théâtre. Sa première pièce (vaudeville en un acte), jouée aux Variétés le 13 janvier 1810 le Prétendu sans le savoir, n'eut aucun succès, fut sifflée et parut sous le pseudonyme d'Antoine. 

Une douzaine de pièces qui suivirent, jusqu'en 1815, ne reçurent pas un beaucoup meilleur accueil, sans que Scribe se décourageât (les Denis, avec G. Delavigne; les Brigands sans le savoir, la Chambre à coucher, opéra comique; Koulikan, mélodrame en trois actes, avec Dupin; Thibault, comte de Champagne, Thomas le Chanceux, le Bachelier de Salamanque avec Dupin et G. Delavigne, ses collaborateurs habituels à cette époque; la Redingote et la Perruque, le Gascon ou le Pompe funèbre, etc.). Une Nuit de la garde nationale, avec Delestre-Poirson; jouée au Vaudeville le 4 novembre 1815, fut le premier succès remporté par le jeune auteur. 

La fertilité d'idées, l'art de remplir la scène, de tenir l''attention en éveil, qualités que Scribe eut à un degré éminent sont déjà très sensibles dans ces pièces : ses collaborateurs, dont il met habilement en oeuvre les idées sont très nombreux; ce sont Dupin, Germain Delavigne, Delestre-Poirson, Varner, Imbert, Mélesville, Désaugiers. Scribe possédait une petite fortune qui l'aida à supporter sans perdre confiance ses échecs du début.

A partir de 1816, il ne connut plus guère que le succès, et il n'est pas aisé de citer les pièces innombrables qu'il fit triompher jusqu'en 1830. Avant 1820 parurent Flore et Zéphyre, le Comte Ory (vaudeville qui plus tard devint un opéra), le Nouveau Pourceaugnac, le Solliciteur (que le critique Schlegel préférait au Misanthrope de Molière), la Fête du Mari, les Deux Précepteurs, Une Visite à Bedlam, etc; le succès de tous ces vaudevilles amena le directeur du Gymnase, Delestre-Poirson à signer un contrat avec Scribe (1821), aussi avantageux pour l'auteur que pour le théâtre : Scribe lui donna plus de 150 pièces jusqu'en 1830.

Une pareille fécondité ne peut s'expliquer que par ce fait qu'il avait alors un véritable atelier de pièces de théâtre, une fabrique de drames, chez Scribe le principe de la division du travail y était soigneusement établi; l'un trouvait le sujet, l'autre bâtissait le plan, un troisième composait le dialogue, un autre versifiait les couplets, un cinquième faisait les mots; puis Scribe remettait chaque chose au point. Ses collaborateurs principaux furent, outre ceux déjà cités : Brazier, Carmouche, Bayard, Saintine, Legouvé, Dumanoir, Masson, Van den Burch, Roger. Jusqu'en 1825, Scribe donna surtout ces petites pièces légères et pleines de mouvement qui fondèrent sa réputation (l'Ours et le Pacha, le Secrétaire et le cuisinier, Mon oncle César, le Ménage de garçon, la Petite soeur Valérie); on y admire cet art de donner du charme et de l'intérêt à des riens, de transporter l'actualité sur la scène en intéressant le public par des allusions et demi-mots; les types de Scribe les plus populaires, veuves intéressantes, colonels fringants, allaient à la mesure de cette bourgeoisie dont il flattait en toute occasion le libéralisme superficiel; on trouvait déjà dans les personnages de son théâtre cette indifférence à l'idéal, cette glorification des intérêts matériels que l'on a tant reprochée à l'auteur.

En même temps qu'il était le fournisseur attitré du Gymnase, Scribe abordait tous les genres, opéra comique, ballet, opéra, comédie, et fournissait tous les théâtres de Paris. Dans ses livrets d'opéra, il a montré une habileté incomparable : la Dame Blanche (1825) qui fut, son début, est restée un des modèles du genre. Et sa maîtrise est incontestable dans tous les livrets d'opéra écrits pour les oeuvres de Boieldieu, Auber, Meyerbeer, Halévy, Adam, Verdi (la Muette de Portici, 1828; Fra Diavolo, 1830; le Philtre, 1830; Robert le Diable, 1831; la Juive, 1835; les Huguenots, 1836; l'Ambassadrice, 1836; le Domino Noir, 1837; la Favorite, 1840; les Diamants de la Couronne, 1841; Haydée, 1847; le Prophète, 1819; l'Etoile du Nord, 1854; l'Africaine, 1865, et plus de 50 autres opéras). La souplesse de Scribe qui se pliait au caractère de tous les musiciens, la facilité de son vers et son extrême complaisance le rendaient précieux pour les compositeurs.

Le premier essai de Scribe dans la comédie sérieuse fut Valérie (jouée en 1822 au Théâtre-Français); mais ce n'était qu'un vaudeville transformé. Le Mariage de raison (1826) et le Mariage d'argent (1827) ont montré ce que le dramaturge pouvait faire dans la comédie de moeurs. Sans la concevoir d'une manière aussi générale et aussi élevée qu'au XVIIe siècle, il a présenté des tableaux fidèles des moeurs de son époque. Son observation fine, mais peu profonde, garde aux caractères une allure de vérité conventionnelle qui manque trop de généralité et de force : mais une merveilleuse entente de la scène, l'art de prolonger une situation et surtout de la dénouer assurenti encore une véritable originalité à son talent; on doit dire cependant que les amateurs de Scribe préfèrent son répertoire du Gymnase, ses pièces légères, véritables bluettes dont la donnée représente une pointe d'aiguille (Michel et Christine, la Demoiselle à marier, le Diplomate, l'Héritière, les Premières Amours, la Veuve du Malabar, le Baiser au porteur, Frontin, la Loge du portier), à ses comédies du Théâtre-Français.

Les tentatives qu'il fit dans la comédie en vers (le Solliciteur) et dans le mélodrame (Dix ans de la vie d'une femme) ne le contentèrent pas lui-même, et il eut la sagesse de n'y pas revenir. En revanche, il inaugura avec le plus brillant succès une manière nouvelle : la comédie politique, et historique; les pièces en cinq actes qu'il fit jouer au Théâtre-Français dans ce nouveau genre en sont restées le modèle (Bertrand et Raton, 1833; l'Ambitieux, 1834; la Camaraderie, 1836; les Indépendants, 1837; la Calomnie, 1840; le Verre d'eau, 1840). On a reproché vivement à l'auteur de ces comédies sa théorie familière des petites causes et des grands effets : la politique n'est pour lui qu'une suite de petites intrigues et de moyens misérables mis en oeuvre par des hommes d'une médiocrité foncière, et il ne veut voir dans les graves événements de l'histoire que des faits dérivés des causes les plus infimes; le Verre d'eau et la Calomnie sont les types les plus achevés de ses théories. Malgré ce souci de rapetisser la vie, on ne peut nier que ces différentes comédies sont pleines d'esprit et d'ingéniosité, une fois la donnée admise; si les caractères avaient un peu plus
de profondeur, si le style était plus châtié, les comédies politiques de Scribe seraient des oeuvres fortes.

De 1840 à 1861, la fortune de Scribe ne se démentit pas. ll fit jouer avec un succès constant un nombre incroyable de pièces (Une Chaîne, 1841; le Puff, 1848; Adrienne Lecouvreur, écrite pour Rachel, 1849; les Contes de la reine de Navarre, 1850; Bataille de Dames, 1851; la Tsarine, 1855, etc., jouées au Théâtre-Français). C'était aussi l'époque des triomphes remportée par Scribe à l'Opéra et à l'Opéra-Comique. Depuis 1836, il était membre de l'Académie française, ait il avait été reçu par Villemain qui sut faire la part de Scribe et de ses collaborateurs dans les innombrables pièces qu'il avait fait jouer (350 pièces, dont quelques-unes portent des noms bizarres dans le catalogue alphabétique de ses oeuvres, l'auteur ayant voulu qu'il en figurât à chacune des lettres de l'alphabet). Le nombre de pièces que Scribe a signées seul n'est pas très nombreux : mais ce sont en général les meilleures (Bertrand et Raton ou l'art de conspirer, la Camaraderie ou la Courte Échelle, Une Chaîne, le Verre d'eau, les Contes de la reine de Navarre, Mon Etoile, etc.), ainsi que celles en collaboration avec Legouvé (Adrienne Lecouvreur, Batailles de Dames, les Doigts de fée, etc.). 

Scribe s'est essayé aussi dans le roman, mais sans grand succès. II a écrit d'abord des nouvelles. Carlo Bioschi, Maurice, Judith, le Roi de carreau, la Maîtresse anonyme (1840); réunies en 1836, et plus tard des romans tels que Piquillo Alliaga (1847,11 vol.); les Yeux de ma tante, etc., qui n'ont rien ajouté à sa renommée.

Il acquit une grosse fortune qu'il sut administrer habilement et dont il était fier; avec le produit de ses pièces, il acquit une propriété à Péricourt et fit graver sur la porte ce distique :

Le Théâtre a payé cet asile champêtre.
Vous qui passez, merci! je vous le dois peut-être.
Il était en plein travail, remaniant l'Africaine avec Meyerbeer, surveillant les premières représentations de la Circassienne, quand il fut trouvé mort frappé d'une attaque d'apoplexie dans sa voiture qui le conduisait à un rendez-vous d'affaires.

On ne peut contester la supériorité de Scribe comme auteur dramatique : son invention est inépuisable, beaucoup des données de ses pièces sont originales ou au moins ingénieuses; personne n'a possédé à un plus haut degré l'art du dénouement : la construction de ses pièces peut encore servir de modèle au théâtre. Malheureusement tout son théâtre porte la marque de la fabrication hâtive; la psychologie des caractères est superficielle, le style est peu littéraire; en général; c'est le ton de la conversation, parfois même il est tout à fait fautif comme dans les vers des Huguenots :

Ses jours sont menacés! Ah ! je dois l'y soustraire!
Tout chez lui est subordonné à l'action théâtrale. Quant à la philosophie de son oeuvre, c'est la partie la plus faible : la glorification de l'argent en est le principe essentiel; en cela il comprit bien le goût de son temps. (Ph. B.).
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Dictionnaire biographique
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