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Luisa Oliva'Sabuco
de Nantes Barrera est une philosophe et médecin née en 1562
à Alcaraz, dans la Mancha, au Sud-Ouest
d'Albacete (Espagne),
et morte vers 1622. Préoccupée des
interactions du corps et du mental, elle est l'auteure un grand
ouvrage dans lequel elle étudie les effets des émotions sur
l'organisme, et plus spécialement sur sa santé. Cet ouvrage,
précédé d'une dédicace au roi Philippe
II, et paru à Madrid en 1587, sous
le titre : Nouvelle philosophie de la nature de l'homme inconnue aux
grands philosophes anciens, laquelle améliore la vie et la santé
humaine. Il nous révèle une philosophe heureuse de philosopher,
une praticienne au non-conformisme revendiqué, et une philanthrope
soucieuse du concret. Mais, surtout, bien qu'elle ait puisé nombre
de ces idées dans des auteurs de l'Antiquité, Sabuco apparaît
comme une véritable pionnière, très en avance sur
son temps, de la médecine psychosomatique et de la psychologie appliquée.
- Oliva Sabuco (1562 - ca.1622). Les bibliographes, se conformant au frontispice des éditions connues, écrivent les prénoms et les noms de l'auteur dans cet ordre : Oliva Sabuco de Nantes Barrera, natural de la ciudad de Alcaraz. Avec l'indication ainsi donnée de la ville natale il était possible d'établir l'état civil d'une personne dont l'existence même a été controversée. On a trouvé en 1853 siècle, sur les registres de naissance en l'église paroissiale d'Alcaraz : « Le 2 décembre de l'année 1562, fut baptisée Luisa Oliva, fille du bachelier Miguel Sabuco, et de sa femme, Francisca de Cózar ».Dans l'extrait de baptême figurent trois seulement des noms de la signature mise au-dessus de la dédicace au roi Oliva, Sabuco, Barrera. Pour de Nantes il est possible qu'il faille voir en ce groupe de mots le vieil adverbe « de nantes » qui équivaut exactement au mot français « ci-devant », d'un usage si fréquent sous la première République. Dans ce cas, la signature deviendrait : Oliva Sabuco de nantes Barrera. Il est également possible que Nantes et Barrera ait été le nom de deux marraines d'Oliva; il faudrait alors écrire : Oliva Sabuco de Nantes y Barrera. Quoi qu'il en soit, voilà à peu près tout ce qu'il a été possible, pendant très longtemps de recueillir sur Sabuco. Des détails sans importance. D'après une tradition, qui s'était perpétuée dans sa ville natale d'AIcaraz, on pensait qu'elle y avait exercé la médecine, et l'on montrait deux ou trois édifices publics qui avaient été bâtis par sa famille. En 1888, un historien a montré qu'elle s'était mariée dès l'âge de 18 ans (1580) à un certain Acacio de Buedo, mais il n'a pu retrouver aucune trace de l'existence d'éventuels enfants du couple. Un autre auteur a affirmé, en 1903, avoir découvert des documents (qu'il ne produit pas) d'après lesquels Oliva Sabuco, à un moment de sa vie aurait vendu des vêtements sur les marchés. Allégation plus que fantaisiste. Il a fallu attendre ces dernières années pour que des progrès significatifs soient accomplis. Cela, notamment, grâce aux travaux de deux chercheures de l'université d'Etat de Cleveland, Mary Ellen Waithe et María Colomer Vintró, entre 2000 et 2003, et à la publication, par Ricardo González, de plus de 200 documents inédits découverts dans les archives d'Albacete. Aujourd'hui se dégage enfin un vision plus nette de notre auteure. On en est venu à une plus juste appréciation de la place qui revient à Oliva Sabuco parmi les Humanistes de la Renaissance et sa biographie s'est quelque peu précisée, même si de nombreuses zones d'ombre subsistent. Oliva Sabuco est le cinquième des huit enfants enfants nés de l'union du « bachelier » Miguel Sabuco Alvarez (1529?-1588), plusieurs fois procureur-syndic de sa ville (peut-être aussi apothicaire, c'est-à-dire pharmacien), et de Francisca de Cózar, originaire de Vianos, une localité voisine d'Alcaraz. Trois seulement de ces enfants étaient encore en vie en 1587, quand paraît la Nouvelle philosophie : Oliva, âgée de 25 ans, Alonso, son aîné de 13 ans, et qui semble avoir été pharmacien lui aussi, et un autre frère, Miguel, qui décèdera peu après. A l'époque leur mère était déjà morte et leur père avait contracté un second mariage avec une jeune femme sans fortune, elle aussi de Vianos, Ana García, dont naîtra un garçon. Entre-temps, Oliva, on l'a dit, s'était mariée. Son époux, Acacio de Buedo, a occupé diverses charges publiques à Alacaraz. Au moins quatre enfants naîtront de ce ménage. La dot substantielle versée par Don Acacio lors du mariage de l'une de leurs filles, Francisca, ainsi que le montant élevé des diverses opérations financières, dont on a retrouvé la trace, montrent qu'Oliva Sabuco bénéficiait d'une position économique confortable. Oliva Sabuco n'a
pas fait d'études universitaires. Elles étaient interdites
aux femmes. On n'en connaît pas moins, en Espagne,
quelques exemples notables de femmes qui, à la Renaissance,
ont pu bénéficier d'une excellente formation. Et c'est le
cas, d'évidence, d'Oliva Sabuco. Elle a appris la médecine
avec son père (et peut-être avec son grand-père, qui
pourrait avoir été médecin). Elle a acquis également
des connaissances en philosophie classique et contemporaine (Erasme,
Juan
Luis Vives pourrait avoir fourni le socle de sa réflexion).
Plusieurs letrados, qui gravitaient autour
de sa famille, ont pu aussi lui ouvrir leurs bibliothèques, à
commencer par son parrain, le Dr Heredia, médecin à Alcaraz,
et qui semble avoir contribué lui aussi à sa formation médicale.
On cite surtout l'érudit Pedro Simon Abril,
célèbre pour sa traduction d'Aristote,
qui faisait autorité en littérature
classique grecque et latine, et
qui fut précepteur à Alcaraz entre 1578 et 1583.
La Philosophie nouvelle de la nature de l'hommeEn 1728, le docteur Martin Martinez, publia à Madrid, l'édition nouvelle d'un livre qui portait ce titre un peu long : Nueva filosofia de la naturaleza del hombre, no conocida ni alccanzada de los grandes filosofos antiguos, laqual mejora la vida y salud humana.... escrita y sacada à luz par Doña Oliva Sabuco de Nantes Barrera, natural de la ciudad de Alcaraz (Nouvelle philosophie de la nature de l'homme inconnue aux grands philosophes anciens, laquelle améliore la vie et la santé humaine, écrite et publiée par Madame Oliva Sabuco, née dans la ville d'Alcaraz). Cette publication se basait sur une édition qui en avait été faite en 1622 à Braga, au Portugal. Le livre était alors tout à fait inconnu aux lecteurs espagnols. Et pourtant, il avait déjà été imprimé trois fois en Espagne, en 1587, 1588 et en 1589. Mais il avait été maltraité et oublié. La hardiesse de son contenu lui avait probablement attiré de terribles haines et ses ennemis l'avaient probablement voué à la destruction.Les ennemis de
dame Oliva.
Quels étaient donc les ennemis de doña Oliva? Comme ce livre renfermait beaucoup de nouveautés, les persécuteurs pouvaient être l'Eglise, aussi bien que les partisans convaincus de la tradition et de la routine médicale. L'Eglise.
La censure de la congrégation de l'Index fut scrupuleusement observée, et s'appliqua aussi aux exemplaires survivants des premières éditions, si bien qu'il ne se rencontre peut-être pas en Espagne un seul exemplaire des deux éditions de 1588 et de 1622 qui ne soit couvert de ratures aux endroits marqués par la griffe inquisitoriale. Etrangement, on trouve cependant, à la bibliothèque nationale de Rome un exemplaire intact... Celui-ci permet de constater que l'inintelligent censeur (pardon pour le pléonasme) semble s'être préoccupé de biffer les quelques passages qui auraient pu apparaître de près ou de loin (parfois de très loin) comme des encouragements à penser par soi-même. En fait, l'auteure de la Philosophie nouvelle, confrontée au pouvoir de nuisance de l'Eglise s'attache à ne lui laisser aucune prise. Elle exprime volontiers sa religiosité, mais elle évite toute théologie. Elle parle surtout de Platon, d'Aristote, de Pline, et si elle évoque l'Église, c'est seulement pour lui confirmer son allégeance. Elle ne mentionne ni la Bible, ni Jésus. Les
médecins et l'establishment scolastique.
« C'est par là surtout que se recommande ce code de réformes qui touche à tant de choses, et dont la rédaction a été inspirée certainement par le désir du bien public » (Guardia, Oliva Sabuco, in Revue philosoph., 1886).Le contenu de la Philosophie nouvelle. Le livre de Sabuco est écrit avec beaucoup de naturel et d'aisance, et çà et là avec une simplicité pleine d'élégance. Il est de ceux qu'on relit volontiers, sa langue est belle, saine et forte. La première partie, la plus considérable, est en espagnol et réunit cinq traités distincts. Les quatre premiers étant des dialogues, qui tiennent autant de la littérature que de la philosophie. • De la connaisance de soi-même. Il s'agit du traité de loin le plus substantiel, avec ses 70 titres ou chapitres. L'auteure s'y attache principalement à la nature humaine et à la psychologie. • De la composition du monde tel qu'il est. Un petit traité de cosmographie.Ces quatre premiers traités servent d'introduction, au cinquième, intitulé : • Dialogue de la vraie médecine et de la vraie philosophie. On y trouve une synthèse théorique de tout l'ouvrage.La partie latine est formée de deux traités : • Brève exposition (Dicta brevia) de la nature humaine et fondements de l'art médical. C'est une collection d'adages et de règles diététiques et thérapeutiques reposant sur l'idée que la vraie connaissance de l'humain est un préalable à toute médecine.Dans les deux parties, les têtes de chapitres sont d'une remarquable netteté. Les questions sont toujours bien posées, et si elles ne sont pas toujours résolues à la satisfaction du lecteur, c'est que la matière est ardue et inépuisable. La délicatesse du ton adoucit la discussion et la plus fine ironie donne à ces entretiens une grâce piquante. La connaissance
de soi.
L'étude de la nature ne suffit pas pour argumenter contre les habitués d'universités. Dès le début de l'entretien, on voit poindre la vieille doctrine de l'humide radical, l'inscription du temple de Delphes apparaît, et le plus savant des interlocuteurs, Antonio, oppose à ses camarades, Rodonio et Veronio, l'autorité d'Hippocrate, de Galien, de PIatonet de Pline. A propos d'une perdrix poursuivie par un faucon, laquelle tombe morte à leurs pieds, les trois amis traitent des effets de la peur, et par suite de l'influence des émotions sur les animaux et sur l'humain. L'auteure, en reconnaissant ainsi, et de façon si remarquable, la vie affective des animaux, eux-aussi soumis aux émotions et aux sentiments, se sépare nettement, sans le dire, de son illustre compatriote, le médecin Gomez Pereiro, prédécesseur de Descartes, et le premier des Modernes qui remit en circulation et en honneur la doctrine oubliée de l'automatisme des animaux. Elle admet la conception des trois âmes : végétative, sensitive, raisonnable, reconnaissant la première dans les plantes, la première et la seconde chez les animaux, et les trois ensemble chez l'humain. Malgré d'évidentes réminiscences de Platon, cette conception assez nouvelle se rapproche beaucoup de l'opinion de Galien sur les rapports du physique et du moral. Opinion essentiellement physiologique, d'autres diraient profondément matérialiste développée ex professo par le médecin espagnol Huarte dont le livre fameux parut pour la première fois, en 1575 (Examen de ingenios par la ciencias, Baeza, in-8°). Mais ce livre, qui avait eu un succès fut aussi prodigieux que rapide, est conforme à la doctrine galénique des tempéraments, aussi vieille que la médecine grecque, tandis que la crase et l'idiosyncrasie ne tiennent qu'une place insignifiante dans la Philosophie nouvelle. Preuve irrécusable que l'auteur ne marchait pas sur les traces d'autrui. On voit dès à présent qu'Oliva Sabuco n'a de commun que la hardiesse des vues et l'indépendance de l'esprit avec les deux plus illustres médecins-philosophes espagnols du XVIe siècle; mais elle se tient beaucoup plus près de Huarte que de Pereira, en tant qu'elle considère les animaux comme des êtres sensibles et passionnels. C'est avec ces idées, alors assez peu répandues qu'elle aborde la grosse question des passions. Le premier dialogue, et le plus important roule sur la nature humaine, il constitue un véritable traité d'autant plus remarquable qu'il n'a rien de dogmatique dans la forme. Les
passions, causes des maladies.
C'est à l'âme raisonnable et à ses facultés, dont le siège est dans la tête que l'humain doit selon Sabuco le triste privilège de ressentir les funestes effets des passions. Il est le seul des êtres vivants qui souffre du présent, qui se chagrine du passé, qui s'inquiète de l'avenir. De là tant de maladies et de morts subites, car le chagrin tue et rien que l'imagination peut produire les plus pernicieux effets. Des exemples pris dans l'Antiquité
ou dans l'histoire nationale sont cités
comme preuves; d'autres sont empruntés à la vie ordinaire
et montrent que les suites du chagrin ou du désespoir sont les mêmes
dans toutes les classes sociales. Le chagrin met la discorde entre l'âme
et le corps; il en résulte la maladie, la mort ou la folie; ce désaccord
suspend les fonctions de la partie végétative.
La Nouvelle philosophie de la Nature, d'Oliva Sabuco. Page de garde de l'édition de 1588. Cette étiologie de la fièvre consomptive, dite nerveuse, n'est pas vulgaire, nous dit Sabuco. Les femmes, en général, et particulièrement dans l'état de grossesse, ajoute-t-elle, sont beaucoup plus sensibles que les hommes aux suites du chagrin et de la moindre contrariété. Combien d'enfants à la mamelle meurent victimes des peines de leur mère! Il n'est pire ennemi de l'humaine espèce que le chagrin et sa fille, la tristesse. Aussi les bonnes paroles produisent-elles d'excellents effets. On voit que l'auteure ne partageait pas le préjugé des médecins empiriques ennemis de la méthode thérapeutique inaugurée par l'orateur Antiphon, lequel eut la singulière idée d'ouvrir à Corinthe un bureau de consolation pour le traitement des maladies morales. Cet essai réussit pas, et l'inventeur fit à la tribune un emploi plus fructueux de son éloquence. Leuret n'est donc pas le premier qui ait conçu et appliqué le dessein de traiter les malades d'esprit par la logique et la morale. La colère est une passion qui doit être traitée en douceur, par des moyens analogues : en s'insinuant dans le coeur de la personne offensée, irritée et qui ne respire que vengeance. La persuasion agit à peu près à la façon de Molière, arrêtant ses amis décidés à se suicider au moment où ils allaient se jeter dans la Seine. En pareil temps, il suffit de gagner du temps; la nuit porte conseil, et il n'y a plus rien à craindre quand la réflexion a remplacé l'emportement. Sénèque ne dit pas mieux en son classique traité de la colère. Un bon ami, la promenade au grand air, l'eau froide, la vue des champs, le bruit des arbres agités par le vent, le murmure d'une eau courante, la musique enfin sont aussi des remèdes très efficaces. Isménias, médecin de Thèbes en Béotie, appliquait la musique au traitement de toutes les maladies. La crainte et la peur ne sont pas moins redoutables que le chagrin et la colère. Nombre de condamnés à mort meurent avant l'exécution et la peur tue aussi bien les animaux que les humains. Beaucoup de femmes enceintes meurent ou avortent victimes d'une peur imaginaire. Le plaisir et la joie peuvent également tuer, quand ils sont excessifs et trop brusques. L'expérience prouve qu'il y a péril à donner une bonne nouvelle sans préparation; les vieillards surtout veulent être ménagés. Du reste, c'est la joie qui entretient la vie et la santé, tandis que l'ennui et le chagrin produisent la maladie et la mort. L'espérance et le désespoir ont des effets analogues. La haine est aussi l'ennemi de la vie. La honte paralyse les facultés. On voit souvent dans les épreuves publiques des universités des candidats réduits à l'impuissance par ce sentiment. L'angoisse et le souci n'ont pas de moins funestes effets, bien qu'ils soient moins graves que ceux causés par l'oisiveté, mauvaises digestions, fatigue du corps, vieillesse anticipée. C'est un mauvais bagage qu'il faut déposer avec les vêtements, quand vient l'heure du sommeil. A chaque jour suffit sa peine; il est imprudent de trop surcharger l'avenir. Sabuco aborde ici un chapitre fondamental et d'une grande clarté. On comprend très bien cette division des passions en deux classes : celles qui sont favorables, et celles qui sont contraires à la santé et à la vie. Il serait difficile d'établir mieux l'étiologie morale des phénomènes vitaux. La joie fait vivre, le chagrin tue. Les passions salutaires produisent un accord des deux éléments, corporel et spirituel, les autres produisent le désaccord et ouvrent la porte aux maladies et à la mort. Platon le savait, mais les médecins n'ont rien compris à cette étiologie. Sans doute, dit notre auteure, le cerveau prend sa part des aliments que l'estomac lui prépare, notamment pendant le sommeil; mais les maladies produites par les excès de table ne sont rien en comparaison de celles qu'engendre le chagrin. Il trouble l'âme même dans le cerveau où elle réside; ce qui signifie que les désordres de l'innervation sont bien plus graves que ceux de la nutrition. Les
autres causes des maladies.
La peste pénètre dans l'individu par la respiration, par l'odorat, et bientôt le cerveau s'en ressent dans ses fonctions. Le cerveau respire tout comme le coeur, et l'effort qu'il fait pour se débarrasser de l'élément délétère entraîne une si grande perte de liquide, que l'estomac en perd sa chaleur. Il en résulte un trouble profond de l'harmonie organique qui peut amener la mort. C'est un empoisonnement qu'il faut combattre par les moyens les plus énergiques, par les antidotes et les contre-poisons. Avec un peu de bonne volonté, il serait facile de dire que c'est là une vue plutôt perspicace. On n'a su que beaucoup plus tard que l'action des poisons sur le système nerveux est immédiate et directe. Evidemment l'auteure en savait infiniment plus que ses contemporains, les docteurs galénistes et arabistes, sur l'étiologie et la pathogénie des épidémies et des fièvres par intoxication et l'on voit qu'il n'admettait point l'essentialité que Broussais a eu tant de peine à détruire. Sabuco a reconnu aussi que la plupart des épidémies, connues autrefois sous le nom générique de peste, suivirent comme on a coutume de dire la marche du Soleil, allant de l'orient à l'occident. Puis viennent des considérations sur les causes nombreuses qui peuvent altérer la pureté de l'air, et sur le processus des épidémies : « Fuyez, dit-elle, du côté d'où elles viennent et non du côté où elles vont.»Après ces pages admirables de bon sens et de justesse, l'auteur paye tribut à son temps, en exposant très ingénument une théorie du mauvais oeil et indique les remèdes propres à combattre les mauvais effets de cette influence. Les poisons et les venins n'ont d'action efficace qu'en atteignant le cerveau. Pour arrêter les suites d'une morsure venimeuse, le plus sûr est de couper la partie mordue ou de l'isoler par la ligature, pour empêcher le venin d'arriver au cerveau. Parmi les aliments vénéneux, l'auteur ne manque pas de compter la cervelle des bêtes malades et la chair des animaux en rut. Après avoir ingéré des aliments suspects ou de mauvaise qualité, le mieux est de vomir. Le changement de climat rend l'humain malade parce que son organisation dépend du sol qu'il habite, de l'air qu'il respire, de l'eau qu'il boit, et que tout cela influe sur ses aliments animaux et végétaux. De là, viennent les différents caractères des peuples, et mille autres particularités qui tiennent aux circonstances extérieures. Notre organisme ressent aussi les effets des changements de temps et de lune. A propos du travail et de la fatigue qui l'accompagne, l'auteure recommande la devise : « Festina lente », et remarque fort à propos que la sueur, les larmes et les excrétions en général sont comme des exutoires naturels qui maintiennent l'équilibre du métabolisme; c'est par la que le cerveau se décharge de ses impuretés. Avant parlé des effets du bruit sur le cerveau et des suites fâcheuses que peut produire un son excessif et subit, notamment chez les femmes enceintes, l'auteure est amené à traiter de la bienfaisante influence de la musique. Il n'est pas, dit-elle, de remède plus efficace pour toutes les maladies du cerveau, c'est-à-dire pour toutes les affections de toute nature qui atteignent les centres nerveux. Enumérant tous les avantages de l'harmonie, l'auteure s'étonne qu'une médication aussi puissante soit tombée en désuétude. Bon
régime et hygiène de vie.
A ce propos, l'auteur fait des réflexions
sur le régime. La boisson doit être réglée avec
Le sommeil doit être réglé en raison de son importance, car il préside à la nutrition. Excessif, il a les mêmes inconvénients que l'oisiveté. Pendant le sommeil fonctionne la vie organique, pendant la veille la vie animale. Les crudités et les mauvaises digestions viennent pour la plupart de ce que, contrairement aux lois de la nature, le cerveau est obligé de travailler lorsqu'il devrait se reposer. Le repos est de rigueur après le repas; repos d'esprit et de corps. Beaucoup de maladies n'ont d'autre cause que la violation des lois du régime. Après avoir traité de la nutrition l'auteure parle de l'effet des aliments sur le métabolisme et, à ce sujet, il prescrit un régime spécial aux femmes enceintes, et aux mères nourrices, régime essentiel, parce que, dans la première enfance, c'est surtout les système nerveux central qui croît et se développe. L'alimentation est étudiée simultanément au triple point de vue de la santé, de la maladie et de la morale. La faim et la soif sont des sensations du système nerveux, lequel désire les aliments solides ou liquides, selon qu'il est à l'état d'humidité ou de sécheresse. La vieillesse et la mort sont, les conséquences naturelles de l'épuisement du liquide nourricier par la sécheresse des centres nerveux des nerfs qui en émanent et des expansions nerveuses de la périphérie. Sabuco esquisse ensuite une théorie de l'inflammation. La douleur locale, à la suite d'un coup, d'une blessure ou d'une tumeur, peut avoir les plus fâcheuses conséquences. Comme le cerveau est le centre des sensations, dès qu'une partie du corps souffre, il y envoie des émissaires : des humeurs qui gonflent et endolorissent la partie malade, si bien que la mort peut s'ensuivre. C'est une excellente précaution que de faire une ligature au-dessus du point douloureux, pour couper le chemin à l'humeur. Broussais aurait signé le très curieux et très intéressant chapitre qui traite du froid, appelé par lui ennemi de la vie. Sabuco le traite encore plus énergiquement d'ennemi de la nature. Il tue soit immédiatement soit indirectement. Mais la chaleur escessive agit à peu près comme le froid rigoureux. L'air ambiant, qui est de l'eau raréfiée, est le principal aliment. Pour maintenir la bonne température et les qualités vitales de l'air, il le faut renouveler, comme on renouvelle de l'eau dormante, par un courant d'eau vive. Rien n'est plus pernicieux que l'air vicié de la chambre d'un malade. L'air renouvelé, tempéré par la fraîcheur de l'eau, imprégné de senteurs salutaires, nourrit, vivifie, rajeunit et alimente le cerveau. Après avoir parlé des effets du Soleil et du serein, et donné à ce sujet divers conseils pratiques, Sabuco passe en revue d'autres causes moins importantes de santé et de maladies, toujours fondées sur les rapports de l'humain avec le monde extérieur, puis elle revient à l'étiologie morale. Pour
un art de vivre.
L'imagination est comme un monde vide qui donne la forme de tout ce qu'on y jette. La peur imaginaire peut donner la mort. L'auteure en cite des exemples, et remarque à ce propos que les effets de l'imagination ne sont pas moindres durant le sommeil que pendant la veille. L'imagination agit chez les animaux, puisqu'ils rêvent, et chez l'humain elle tient souvent lieu de bonheur. Beaucoup de gens ne sont heureux qu'en imagination, et à défaut de la réalité, se contentent de l'image. Dans le chapitre suivant, consacré à l'action du Soleil comme agent de vie, l'auteur fait des remarques sur la migration des oiseaux, pittoresques faute d'être exactes. Mais il a encore plus de fantaisie dans l'oiseux chapitre consacré à l'influence de la Lune. Ce qui semble plus intéressant, c'est cette remarque venant ensuite, que la croissance des êtres vivants est accompagnée du contentement et de la joie, tandis que la décroissance produit la tristesse. Voilà une notion assez nette de la conscience organique ou vitale. Négligé par les psychologues classiques, cet élément se retrouvera chez les psychologues du XIXesiècle dans leur analyse des sensations internes et des principes de la connaissance. A la fin de ce chapitre, l'un des interlocuteurs, Veronio, se plaignant de la complaisance avec laquelle Antonio (c'est le berger savant) répond à Rodonio, au sujet de la croissance et de la décroissance du cerveau, c'est-à-dire de la vie et de la mort, lui rappelle la promesse de traiter de la connaissance de soi-même. A cette demande, le protagoniste répond qu'il est parfaitement dans la question, la connaissance de soi-même consistant principalement dans la connaissance des passions et des causes de maladies. Un
regard plus théorique.
La comparaison du microcosme et du macrocosme sert ingénieusement à mettre en pleine lumière les rapports de l'humain avec le monde extérieur, conformément aux principes de la philosophie naturelle. Ce chapitre renferme toute la psychologie d'Oliva Sabuco, sensualiste en somme, puisqu'elle rend les facultés tributaires des sens, puisque le sensorium ne peut rien par lui-même sans les sensations externes. Le sens commun siège dans la région frontale, avec l'entendement et la volonté, qu'elle ne sépare pas plus que Spinoza; l'imagination et la conception occupent le département intermédiaire et à l'arrière est le siège de la mémoire qui conserve les images du passé. L'entendement prononce, la volonté ordonne, et les organes exécutent. Pour rendre ses explications plus claires, l'auteure expose brièvement le mécanisme de la vision; et comme elle touche à des matières délicates elle a soin de déclarer qu'elle se soumet d'avance aux décisions de l'Église : Avez-vous vu un miroir, qui nous représente toutes les choses qui sont devant lui? Eh bien, ces figures et apparences incorporelles, et qui n'occupent aucun espace, sont appelés espèces. Celles-ci entrent dans la vision, et de cette façon il se forme dans cette fenêtre transparente qu'est l'oeil, la figure de la chose que l'on regarde,; de là cette figure incorporelle passe par un petit tube (c'est un nerf creux) jusqu'au sens commun (qui est le premier compartiment à l'avant du front) et, aussitôt arrivée, elle est comprise, vue et jugée par l'entendement, qui dit à la volonté ce que c'est, - la volonté qui est aussi à cet endroit, et non dans le coeur, organe charnu et inapte en ce qui concerne les espèces. Tout ce qui vient d'être dit, sub correctione Sancte Matris Ecclesiae, à qui je m'en remets.On notera l'insitance dans ce passage à placer le siège de l'intellect (comme elle le fait ailleurs pour les émotions), dans le cerveau, et non dans le coeur. Parmi les auteurs modernes, Oliva Sabuco est l'une des premières à adopter ce point de vue. Le principe de tous les actes, de tous les sentiments, de tous les mouvements, de tous les phénomènes vitaux, réside dans la tête. Les vapeurs de la terre et de la mer s'élèvent, se condensent en images et retombent en pluie, il en est de même des vapeurs de l'estomac, qui montent au cerveau et produisent le sommeil. C'est là que, transformées en « chyle », elles retombent, dans les cas de maladie sous la forme de bile et de flegme; les ventosités précèdent cette sorte de pluie. Ce que Sabuco appelle chyle (chilo) correspond en fait à ce que ces successeurs appelleront le « suc nerveux », autrement dit le liquide cérébro-spinal (ou céphalorachidien). Elle lui attribue un rôle qui n'est pas le sien, mais on a aussi vu plus haut, à propos de sa théorie de l'inflammation, comment elle envisageait l'envoi par le cerveau d'émissaires jusqu'aux organes blessés : ainsi, par petites touches, elle ouvre la voie à l'idée de neurotransmetteurs pour assurer la coordination entre le cerveau et le reste du corps, se montrant dès lors très en avance sur les idées de son temps, surtout lorsqu'on songe que, trois décennies plus tard, Descartes en sera encore à invoquer les « esprits animaux » pour répondre à la même problématique. Sans les passions qui le tuent, l'humain serait sujet aux lois de la nature, comme tous les êtres vivants, il n'aurait qu'un petit nombre de maladies, comme les bêtes, et mourrait de mort naturelle après avoir parcouru les deux périodes de croissance et de décroissance, sauf accidents imprévus. La vie monte et descend par deux pentes
opposées : la montée est agréable, la descente triste.
Tout ce qui vit est en mouvement et se transforme. Le péril n'est
pas tant dans le déclin que dans l'ascension. Combien de personnes
saines, fortes et robustes sont terrassées soudainement par la mort,
soit à l'âge florissant soit en pleine maturité. C'est
que le flux du cerveau se précipite comme une pluie d'orage, tandis
qu'ils se fait tout doucement pour les natures maladives, dont la vie précaire
se prolonge indéfiniment.
Cette théorie est de tout point contraire à celle de Cervantès suivant lequel la folie de Don Quichotte fut le résultat des veilles prolongées qui desséchèrent à tel point le cerveau du bon chevalier, qu'il en perdit la raison. Ce rapprochement n'étonnera pas ceux qui savent que les médecins espagnols, à l'époque, considéraient Cervantès comme une autorité en pathologie mentale. Sabuco, souvent péremptoire, ici encore revendique l'excellence de sa doctrine, puisqu'elle va jusqu'à prétendre que les vieillards engendrent des enfants très intelligents. L'antithèse du sec et de l'humide avec celle du chaud et du froid ont servi de base pendant vingt siècles à la médecine humorale; les qualités premières répondaient aux quatre éléments. Au lieu de s'aventurer en des explications subtiles Sabuco remarque finement que les fruits produits par des terres humides ont moins de saveur et de durée. Du reste elle raille agréablement les hypothèses des Anciens sur les années climatériques et leurs combinaisons de chiffres cabalistiques. A propos de la croissance et de la décroissance du coeur, imaginée par les Egyptiens, elle se sert d'une formule, qui revient souvent sous sa plume, notamment contre les médecins : Cuncta errore plena. Ce qu'elle a fort bien vu, c'est qu'en tout, la période d'état est de beaucoup la plus courte, et que les changements insensibles qui se font dans les périodes ascendante et descendante de la vie transforment profondément le tempérament, le caractère, les moeurs, les passions et toutes les fonctions de l'organisme, bref le physique comme le moral. Le tableau des changements insensibles est digne d'un médecin physiologiste, d'un moraliste observateur et d'un peintre de sentiments et d'idées. Oliva Sabuco n'a rien emprunté aux peintures classiques des divers âges de la vie, et les siennes sont si vraies, si vivantes, qu'elles échappent à l'analyse : il faudrait les reproduire avec sa vigueur de pinceau. Le reste de l'ouvrage.
Le
monde tel qu'il est.
Sabuco, adoptant la conception encore dominante
à l'heure même où la révolution
copernicienne est déjà engagée, évoque
la structure géocentrique du monde qu'elle compare à un oeuf
d'autruche, avec son jaune (la Terre),
ses trois blancs (l'eau, l'air et le feu) et ses onze coquilles emboîtées
(sept cieux porteurs des sept astres, dans cet ordre : Lune,
Mercure,
Vénus,
Soleil
(176 fois plus gros que la Terre), Mars,
Jupiter,
Saturne;
le huitième ciel est celui des étoiles, parmi lesqueles quinze
sont 107 fois plus grosses que la Terre; le neuvième est le ciel
de cristal; le dixième le premier mobile, qui entraîne tous
les autres; le onzième ciel, au-delà duquel aucune matière
n'existe, est l'Empyrée, la demeure de
Dieu
et de la cour céleste).
Le Système du monde de Pierre Apian (Cosmographie, 1524). Elle explique ensuite avec clarté l'alternance des jours et des nuits, les saisons, les phases de la Lune, les éclipses, quelques phénomènes météorologiques. Rien d'original, et même des idées déjà dépassées à son époque. Mais le fait que l'auteure est tenu à insérer dans un ouvrage de médecine ces considérations illustre bien la visée holistique de tout son propos. L'amélioration
du monde et de ses républiques.
Sabuco est de nouveau à son affaire : c'est l'homme, sont sujet. « L'homme en chair et en os, celui qui naît souffre et meurt - surtout meurt - celui qui mange boit, joue, dort, pense aime », comme écrira plus tard Unamuno (1864-1936) au seuil de sa propre réflexion. Pour elle, il faut commencer par réformer la justice. Les procès sont une plaie : par les aigreurs, les colères qu'ils suscitent, ils sont néfastes pour la santé; beaucoup de personnes meurent à cause d'eux. Mieux vaux un arrangement boiteux qu'une procédure interminable. Trop de livres de droit, trop de lois, pas assez de clarté. A croire que les lois ont été faites seulement pour protéger ceux qui les ont écrites. Tout le monde, même les plus pauvres, devraient être en mesure de comprendre les lois et devraient aussi bénéficier de leur protection. Et puis, a-t-on besoin de perdre tant de temps à les apprendre pour savoir comment conduire sa vie? A l'image de Juan Luis Vivès, elle se montre préoccupée de la question sociale, du scandale de inégalités excessives. Des mesures doivent être prises pour réduire la pauvreté des laboureurs et des bergers. Leurs productions doivent être mieux rémunérées; des lois doivent les protéger contre les spoliations ou les frais inutiles qu'on leur impose. Il est nécessaire aussi d'améliorer l'accès à l'eau pour tous, et de développer les systèmes d'irrigation à grande échelle. On devrait faire venir des plantes utiles d'Amérique et les cultiver en Espagne. Des remarques sur l'hérédité des vertus et des vices conduisent ensuite Sabuco à évoquer une forme d'eugénisme, une démarche qu'elle juge bien préférable aux mariages arrangés qui ne cachent que de sombres histoires d'argent. Elle évoque ensuite des recettes pour engendrer soit des garçons, soit des filles. La
vraie médecine et la vraie philosophie.
In fine.
Plus d'un point de son oeuvre prouve qu'elle connaissait l'anatomie du système nerveux, soit d'après Valverde, élève de Realdo Colombo et correcteur de Vésale, soit d'après Charles Estienne, dont les beaux travaux sur la structure de la moelle et le grand sympathique étaient connus depuis plus de quarante ans. Résumant en termes généraux toute sa doctrine, Oliva Sabuco ajoute : « Quand vous irez à la ville paisible, avertissez les médecins qu'il se trompent du tout au tout, et vous ferez oeuvre méritoire ».Ces derniers mots prouvent clairement que la philosophie nouvelle avait pour but de préparer la rénovation de la médecine par la réforme radicale de la science de l'homme. Pour détrôner la vieille théorie médicale, c'est-à-dire le galénisme et l'arabisme, fortifiés depuis la Renaissance par le culte d'Hippocrate, surnommé le Divin, encensé comme une idole par le troupeau servile des commentateurs; il fallait renouveler la philosophie naturelle, il fallait fonder la connaissance de la nature humaine sur une base plus solide et plus large que l'hypothèse orientale des quatre humeurs, des qualités premières correspondantes des trois âmes et des trois sortes d'esprits. Il fallait aussi à toute téléologie (invocation des prétendues causes finales), et inscrire la science dans une vision moderne de la causalité (une des grandes affaires de la Renaissance). En d'autres termes, il fallait commencer par démolir de fond en comble I'imposant édifice de la médecine grecque commencé par Hippocrate, continué par les Alexandrins, achevé par Galien, conservé par les Arabes, restauré par les érudits, et fréquenté comme un temple par la quasi-totalité des médecins élevés dans le respect superstitieux de la tradition classique et de l'orthodoxie. Entreprise hardie, presque surhumaine, car le travail de démolition demandait plus de courage et d'énergie que l'oeuvre même d'édification. L'échec de cette femme courageuse, qui la première imagina de réduire la nature animale en général, et la nature humaine en particulier, à l'unité souveraine du système nerveux, fut complet. Une pareille tentative ne pouvait d'ailleurs pas réussir dans un pays dont les universités perdaient leurs franchises et renonçaient forcément aux traditions libérales et à la tolérance, sous la pression d'un pouvoir ombrageux rendant l'orthodoxie obligatoire par la force et la persécution. Les docteurs orgueilleux et infaillibles n'admettaient pas qu'on enseignât hors des écoles et sans s'être assis sur les bancs. II ne fut tenu aucun compte, de cette haute manifestation de l'intelligence. (Mélanie Lipinska).
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