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Le Roman comique de Scarron (vers 1662), est un ouvrage original et bien écrit, qui rivalise avec les plus agréables romans picaresques de la littérature espagnole et qui est resté un des meilleurs entre les romans du second ordre. On a eu raison de prétendre qu'il n'avait pas été sans influence sur le perfectionnement de la langue française. « Des ridicules de province, dit Chénier, des comédiens de campagne, des scènes d'auberge ou de tripot, voilà ce qu'on y trouve. Les incidents, les personnages, le style, tout y est ignoble et grotesque, mais tout est vrai. Le livre amuse, on le lit encore; il restera, tant le naturel sait prêter d'agrément aux tableaux qui en paraissent le moins susceptibles. »Voici le canevas de ce roman : Un jeune homme amoureux d'une jeune fille que lui a confiée sa mère en mourant, à bout de ressources, s'engage avec celle qu'il aime dans une troupe de comédiens sous les noms de Destin et de Mlle de L'Etoile. Respectant sa maîtresse et attendant d'être en mesure pour l'épouser, il est constamment obligé de la défendre, par la ruse et les armes à la main, contre un jeune noble débauché, sans foi ni honneur, du nom de Saldagne. Vainqueur de tous les périls, il deviendra probablement l'heureux époux de Mlle de L'Etoile; mais on ne peut l'affirmer; car le livre n'est pas achevé. C'est dans ce cadre si restreint que se meuvent les personnages si comiques de Ragotin, La Rancune, Roquebrune, Mlle de La Caverne et autres acteurs ou amis des artistes. En écrivant le Roman comique, Scarron a su faire choix d'un sujet qui lui permit d'être en même temps vrai et burlesque, de se livrer à son irrésistible penchant pour la bouffonnerie sans sortir de la nature et sans blesser le goût de son temps. Sa verve plaisante, féconde en traits badins, en trivialités et en vives caricatures, loin d'être déplacée, se trouve en rapport complet avec les personnages et avec le fond même du sujet. Le livre n'est bouffon que parce que les personnages sont bouffons et doivent l'être; c'est une véritable comédie. Dès l'abord, le comédien Destin, malgré la singularité de son accoutrement, nous prévient en sa faveur par " la richesse de sa mine". Bientôt Mlle de L'Etoile accroît cette première impression, sans parler de la figure un peu plus effacée de leur ami Léandre, l'amant de Mlle Angélique. Ce sont là les trois rôles qui gardent toujours la dignité des honnêtes gens, tout en se déridant parfois, comme il sied en plaisante compagnie. En outre, Scarron (on ne s'y serait guère attendu) a mis du sentiment et de l'émotion en certaines pages, par exemple en plusieurs endroits de l'histoire de Destin, racontée par lui-même, et dans le passage où La Caverne exprime sa douleur lors de l'enlèvement de sa fille Angélique, qu'elle croit déshonorée. Le livre de Scarron est d'ailleurs une vraie comédie; on y retrouve des types supérieurement tracés dans une intrigue un peu décousue et qui forme une pièce à tiroirs. Voici d'abord Ragotin, petit bourgeois hargneux, querelleur, enthousiaste, bel esprit et esprit fort, très chevaleresque, très galant et très empressé près des dames, ardent à se poser en champion, mais malheureux en querelles comme en amour, personnage ridicule au physique aussi bien qu'au moral. Voici La Rancune, ce fripon misanthrope, crevant de vanité et d'envie, et néanmoins exerçant toujours une sorte d'ascendant incontesté par la supériorité de son imperturbable sang-froid. Il n'est pas jusqu'aux rôles tout à fait accessoires et secondaires et, que l'auteur n'a fait qu'esquisser, dont les portraits ne nous frappent, tels que ce grand et flegmatique La Raguenodière, un des aïeux du Porthos des Trois mousquetaires. Tout cela est certes autre chose que du burlesque; c'est du comique, sinon très profond et très fin, au moins en général très vrai, plein de vivacité, de verve et de vie et ne dépassant pas les bornes. Ce n'est pas à dire que le burlesque n'abonde pas; Scarron ne pouvait ne plus être lui-même, et la scène du pot de chambre l'eût fait reconnaître, même s'il n'eût pas signé. Il a, au contraire, largement usé des ressources du genre, mais sans en abuser. Ainsi les grêles de coups et les avalanches de taloches qui pourront sembler revenir trop souvent, les distributions de coups de raquettes, de soufflets et de claques, Scarron ne les a nullement exagérées pour qui connaît les moeurs de son époque, où le bâton jouait un grand rôle. Ce que l'on peut reprocher à Scarron, c'est la longueur des conversations et l'intercalation de quatre nouvelles, sans compter l'histoire de Destin, qui s'interrompt et se reprend à plusieurs reprises. Ces récits trop nombreux sont amenés brusquement, sans lien, sans préparation, sans faire en rien corps avec l'ouvrage. En outre, ils ont le tort de se ressembler presque tous par le fond et d'exiger du lecteur une attention trop soutenue. Ces horsd'oeuvre, en disproportion avec le cadre de l'ouvrage, ne font qu'en ralentir la marche et le faire tomber dans le défaut des romans à la Scudéry. Quant au style du Roman comique, il est vif et d'une rapidité singulière; bien autrement net et précis que celui de Mlle de Scudéry, il court au but. Malgré ses négligences et ses incorrections, il a plus de justesse, moins de lourdeur et d'embarras dans les tournures. La langue de Scarron est remarquable par le naturel, le trait, la rapidité la clarté même en général; sans avoir une force ou une élévation que ne comportent ni le genre choisi ni le talent de l'auteur, elle est en progrès sur celle de beaucoup de contemporains. Scarron s'est un peu inspiré, pour son Roman comique, du Voyage amusant d'Augustin Rojas de Villandrado; c'est-à-dire qu'il en a pris l'idée, mais rien autre chose; il en a fait un pendant et non une imitation, car le style, le plan et l'intrigue différent. Il a tiré ses nouvelles, les trois premières : l'Amante invisible, A trompeur, trompeur et demi et les Deux frères rivaux, des Délassements de Cassandre, par don Alonso Castillo Salorzano, et la quatrième, le Juge de sa propre cause, des Nouveaux exemples d'amour de doña Maria de Zayas. Tels sont ses emprunts à la littérature espagnole, avec quelques souvenirs lointains de Don Quichotte.
Quelques écrivains ont voulu achever l'oeuvre de Scarron, Le premier en date est un anonyme édité par le libraire Offray, auquel on a attribué à tort cette suite du Roman comique. Il ne manque ni de verve ni d'esprit, mais son style est lourd et enchevêtré. Le second est Préchac ou Preschac, qui a imité assez bien, et non sans esprit, le genre de Scarron, mais, au lieu de poursuivre ses caractères, il a plutôt recherché les plaisanteries et les farces vulgaires. Le troisième est M. D. L., qui, dans sa Suite et conclusion du Roman comique, a transformé le Roman comique en un fade roman romanesque. Toutes ces suites datent de 1660 à 1671. En 1849, Louis Barré a donné une conclusion fort courte, uniquement pour dénouer les fils entre-croisés par Scarron. La Fontaine et Champmeslé ont donné, en 1684, Ragotin ou le Roman comique, comédie en cinq actes et en vers. Ils avaient tâché de réunir les mots, les traits et les événements les plus remarquables du livre de Scarron. La pièce est intéressante et bien versifiée, mais elle contient trop de récits et les faits sont trop accumulés. En 1733, Le Tellier d'Orvilliers mit en vers, avec une rare exactitude, le Roman comique, tour de force peu réussi et d'ailleurs fort inutile. (PL). Terminons cet article par quelques appréciations empruntées, la première à Géruzez, la seconde à Théophile Gautier. « Le Roman comique, dit Géruzez, malheureusement inachevé, vivra longtemps encore, par le naturel des pensées, la pureté du style, le ferme dessin des caractères et le comique des situations. Ces premiers livres nous ont fait connaître des physionomies qu'on n'oublie pas : Destin et L'Etoile, ce couple gracieux et digne dans une vile condition, et dont la mystérieuse destinée pique vivement la curiosité; Ragotin, avec ses risibles colères, sa petite taille disgracieuse et ses hautes visions de poste et d'amant; La Rancune issu de Panurge en ligne directe, et enfin le grand et flegmatique La Baguenodière. Ce n'est pas un pinceau vulgaire qui a dessiné cette galerie de portraits. On ne se lasse pas de relire les scènes plaisantes auxquelles sont mêlés ces personnages si divers, dont le caractère ne se dément jamais. Cet ouvrage donne seul la mesure du talent de Scarron et montre ce qu'il aurait pu faire si, écrivant à loisir, il eût suivi les inspirations du bon goût, au lieu d'obéir aux périlleux caprices de l'humeur et de l'imagination. » « Le chef-d'oeuvre de Scarron, dit à son tour Th. Gautier, est, à coup sûr, le Roman comique, vrai modèle de naturel, de narration et d'originalité. Rien ne ressemble moins à l'Illustre Bassa, à la Clélie, au Grand Cyrus et autres fadaises contemporaines. Si quelque chose peut en donner l'idée, ce sont les romans espagnols du genre dit picaresque, parmi lesquels on compte Lazarillo de Tormes, Guzman d'Alfarache, El Diablo Cojuelo et beaucoup d'autres. L'action du Roman comique se passe aux environs du Mans, que Scarron avait visités et qu'il décrit avec la sûreté et la facilité de touche d'un homme qui peint d'après nature. Les personnages ne sont pas moins finement indiqués que les lieux. Il semble qu'on assiste aux mésaventures de Ragotin, tant le détail est vrai, le geste sûr et la scène nettement indiquée. Les caractères du comédien La Rancune, de l'avocat Ragotin sont devenus des types. Le Destin, Mlle de L'Etoile et Mlle La Caverne vivent dans toutes les mémoires. Il n'est pas jusqu'à la grosse Bouvillon qui n'ait un cachet de réalité si fermement empreint qu'il semble qu'on l'ait connue. C'est d'ailleurs une excellente prose, pleine de franchise et d'allure, d'une gaieté irrésistible, très souple et très commode aux familiarités du récit, et, quoique plus portée au comique, ne manquant cependant pas d'une certaine grâce tendre et d'une certaine poésie aux endroits amoureux et romanesques. Mlle de L'Etoile est une figure charmante, une délicieuse personnification de la poésie. » |
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