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Paul
Ricoeur,
est un philosophe français né le
27 février 1913 à Valence (Drôme) et mort le 20 mai 2005 à Châtenay-Malabry
(Hauts-de-Seine). Ses contributions à la philosophie touchent à des domaines
aussi divers que la phénoménologie,
l'herméneutique, la philosophie de l'action,
l'éthique, la philosophie de l'histoire et la mémoire. Sa capacité Ã
intégrer différentes perspectives et à dialoguer avec d'autres disciplines
a fait de lui une figure centrale de la philosophie contemporaine.
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Paul
Ricoeur (1913-2005).
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générée par une IA (Open Dall-e).
Ricoeur perd son
père en 1915, tué au combat pendant la Première
Guerre mondiale. Il est élevé par ses grands-parents maternels Ã
Rennes.
Il fait ses études secondaires au lycée de Rennes où il se distingue
par ses aptitudes. Il se passionne très tôt pour la philosophie. En 1933,
il entame des études à l'École Normale Supérieure (ENS) de Paris. Il
y rencontre des intellectuels influents, notamment Gabriel Marcel et décroche
son agrégation de philosophie en 1935. Entre 1936 et 1939, il enseigne
au lycée de Colmar, puis au lycée de Lorient.
Pendant cette période, il se marie avec Simone Lejas (1935).
Mobilisé en 1939,
lors de la Seconde Guerre mondiale,
il est fait prisonnier par les Allemands en 1940 et passe cinq ans dans
un camp de prisonniers de guerre en Allemagne. Durant sa captivité, il
continue d'enseigner et d'écrire, traduisant notamment Ideen
(Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique
pures) de Husserl en français. Libéré
en 1945, Ricoeur retourne en France et reprend son enseignement au lycée
de Champollion à Grenoble. En 1948, il
publie Gabriel Marcel et Karl Jaspers, philosophie du mystère et philosophie
du paradoxe. Il est nommé maître de conférences à l'université
de Strasbourg, l'année suivante. Cette
période marque le début de sa collaboration avec d'autres philosophes
et de son engagement intellectuel.
En 1950, il fait
paraître Philosophie de la volonté I : Le volontaire et l'involontaire,
premier volet d'une trilogie inachevée sur la philosophie de la volonté
et qui sera suivi par Finitude et culpabilité et L'homme faillible.
• Philosophie
de la volonté I : le volontaire et l'involontaire" (1949, 1960). -
Dans ce premier volume, Ricoeur commence par examiner la dialectique entre
ce que nous faisons volontairement et ce qui nous arrive involontairement.
L'ouvrage est divisé en deux parties : I, le volontaire (analyse
des actes volontaires, des choix, et de la décision; examen des motifs
et des désirs qui sous-tendent l'action volontaire); II, l'involontaire
(étude des aspects involontaires de l'action humaine, comme les pulsions,
les émotions, et les contraintes physiologiques et sociales; discussion
sur les interactions entre le volontaire et l'involontaire dans l'expérience
humaine). Paul Ricoeur s'intéresse aux conditions de possibilité de l'action
volontaire et à ses limites. Il étudie les différentes dimensions de
la volonté, comme le désir, le choix, la décision,
et l'action elle-même. Il s'interroge sur la capacité de l'individu Ã
agir selon sa volonté tout en étant contraint par des facteurs involontaires
comme les impulsions, les habitudes, et les contraintes extérieures. Utilisant
une méthode phénoménologique, le philosophe décrit les structures de
l'expérience vécue de la volonté. Il s'inspire de Husserl
et de Jean-Paul Sartre pour développer son analyse.
L'ouvrage s'intéresse également à la manière dont la compréhension
de soi et du monde est liée à la capacité d'agir et de se considérer
comme un agent libre. Ricoeur examine le rôle de l'interprétation dans
la constitution de la volonté, et comment nos interprétations du monde
influencent nos actions.
Il est nommé professeur
à la Sorbonne à Paris en 1956, où il
enseignera jusqu'en 1967. Dans l'intervalle il estl est également invité
à enseigner aux États-Unis, notamment à l'université de Chicago. En
1959, il publie La symbolique du mal, un ouvrage dans lequel aborde
les thèmes de la faute, du péché et de la symbolique religieuse. Cette
période voit aussi une intensification de son intérêt pour l'herméneutique
et la phénoménologie.
• Philosophie
de la Volonté II : finitude et culpabilité (1960) . - dans
ce t le deuxième volume du projet plus large de Paul Ricoeur sur la philosophie
de la volonté, étudie en profondeur en profondeur
les notions de finitude, de culpabilité et de mal, en s'appuyant sur une
analyse herméneutique des symboles du mal dans différentes traditions
culturelles et religieuses. L'auteur commence par une analyse de la condition
humaine, caractérisée par la finitude. Il montre comment la conscience
de cette finitude est liée à l'expérience de la culpabilité : la finitude
humaine implique des limites intrinsèques, et la reconnaissance de ces
limites conduit souvent à un sentiment de
culpabilité
et de fragilité. Ricoeur s'intéresse particulièrement à la symbolique
du mal, cherchant à comprendre comment différentes cultures et religions
représentent et interprètent le mal. Il analyse des mythes
et des symboles variés, allant du péché originel dans le christianisme
aux mythologies grecques et aux traditions
orientales, pour illustrer la manière dont le mal est conceptualisé et
vécu. En utilisant une méthode herméneutique, il déchiffre les symboles
du mal et cherche à comprendre leur signification profonde. Il soutient
que les symboles et les mythes du mal ne doivent pas être pris littéralement
mais interprétés comme des expressions de réalités psychologiques et
existentielles profondes.
Paul Ricoeur publie
en 1965 De l'interprétation : Essai sur Freud, où il analyse les
liens entre la psychanalyse freudienne et l'herméneutique. L'année suivante,
il cofonde la revue Esprit, renforçant par là son rôle central
dans le débat intellectuel en France. Il professeur à l'université de
Nanterre l'année suivante. Il y jouera un rôle clé pendant les événements
de Mai 68, en travaillant à de concilier les
revendications des étudiants avec l'administration universitaire. Il démissionne
de son poste de doyen de Nanterre en 1969 en raison de désaccords sur
la gestion des révoltes étudiantes.
• De
l'interprétation : essai sur Freud (1966) . - Dans cet ouvrage Paul
Ricoeur aborde la psychanalyse de Sigmund
Freud en utilisant une méthode herméneutique. Ricoeur cherche Ã
comprendre et à interpréter les théories freudiennes sur l'inconscient,
les rêves, et les mécanismes de défense, tout en intégrant ces concepts
dans une perspective philosophique plus large. Il introduit la notion d'herméneutique
du soupçon, une approche critique qui vise à démasquer les vérités
cachées derrière les apparences. Il associe Freud, Marx
et Nietzsche à cette démarche. Il souligne
que la psychanalyse de Freud est une forme d'interprétation visant Ã
révéler les significations latentes derrière les symptômes, les rêves
et les actes manqués. Ricoeur aborde la théorie freudienne de l'inconscient,
décrivant comment les désirs refoulés et les pulsions inconscientes
influencent le comportement humain. Il étudie le modèle freudien de la
psyché, en particulier les concepts de ça, moi et surmoi, et leur rôle
dans la dynamique psychique. Une partie importante du livre est consacrée
à l'analyse des rêves, un domaine central pour Freud. Ricoeur discute
la méthode freudienne d'interprétation des rêves, mettant en lumière
la distinction entre le contenu manifeste (ce qui est raconté) et le contenu
latent (les désirs inconscients révélés par l'interprétation). L'auteur
examine aussi comment Freud utilise les symboles pour interpréter les
manifestations inconscientes, tels que les rêves et les symptômes névrotiques.
Il met en perspective la notion de symbolisme chez Freud avec d'autres
formes de symbolisme dans les traditions culturelles et religieuses.Bien
que Ricoeur soit profondément respectueux de l'oeuvre de Freud, il n'hésite
pas à critiquer certaines de ses conclusions. Il cherche à intégrer
les idées freudiennes dans une philosophie plus large de l'interprétation,
suggérant que les théories de Freud peuvent enrichir la compréhension
herméneutique de l'expérience humaine.
De
1970 à 1985, Ricoeur enseigne régulièrement à l'université de Chicago.
Pendant cette période, il s'implique profondément dans la vie académique
américaine. En 1975, il fait paraître La Métaphore vive, ouvrage
consacré à la théorie de la métaphore et le langage, et, entre 1983
et 1985, il publie trois volumes de Temps et Récit (Temps et
Récit I : L'intrigue et le récit historique, Temps et Récit II : La
configuration dans le récit de fiction, et Temps et Récit III : Le temps
raconté), où il étudie la relation entre temps, récit et histoire.
• Temps
et récit
(1983-1984-1985). Dans cet ouvrage en trois volumes , Paul Ricoeur aborde
la relation entre temps et narration et montre comment les récits structurent
notre expérience du temps. Le volume I (Intrigue et récit historique)
commence par une analyse de la notion d'intrigue (ou muthos) comme
elle apparaît dans la Poétique d'Aristote.
L'auteur examine comment les événements sont organisés en une structure
narrative cohérente. Il étudie ensuite la manière dont les récits historiques
donnent du sens aux événements passés en les structurant narrativement.
Il aborde également la question de l'objectivité en histoire, comparant
la narration historique aux récits de fiction. Dans le volume II (La configuration
dans le récit de fiction, Ricoeur se penche sur la narration fictionnelle.
Il analyse comment les récits de fiction structurent le temps d'une manière
unique. Pour ce faire, il étudie les oeuvres de grands romanciers comme
Proust,
Mann, et Woolf et montre
comment la fiction manipule le temps narratif. Le concept d'imitation
créatrice est introduit, qui correspond au fait que la fiction ne
se contente pas de refléter la réalité mais crée des mondes narratifs
autonomes. Le volume III (Le temps remémoré) traite de la mémoire et
de la manière dont le récit contribue à la formation de l'identité
personnelle et collective. Ricoeur examine la relation entre la mémoire
individuelle et la mémoire collective, pour mettre en lumière le rôle
du récit dans la construction du passé. Il conclut par une réflexion
philosophique sur le temps, intégrant les concepts
de temps cosmique (physique) et de temps vécu (expérience humaine).
Suivront les parutions
de Soi-même comme un autre, où il approfondit sa réflexion sur
l'identité personnelle et l'herméneutique du soi, et de La Mémoire,
l'Histoire, l'Oubli, une analyse de la mémoire et de l'histoire, et
de leurs impacts sur la compréhension humaine.
• Soi-même
comme un autre (1990). - Dans ce livre, Ricoeur aborde la question
de l'identité personnelle et de l'alterité (la relation avec l'autre),
en articulant une théorie de l'herméneutique de soi. Il distingue
entre deux aspects de l'identité : l'identité
idem
et l'identité ipse. L'identité idem renvoie à ce qui reste
constant dans une personne au fil du temps, tandis que l'identité ipse
concerne la capacité d'un individu à se reconnaître comme le même Ã
travers les changements. Cette distinction permet à Ricoeur de montrer
comment une personne peut rester identique tout en changeant. Il propose
que l'identité personnelle se construit et se comprend à travers des
récits. L'identité narrative est la façon dont les individus racontent
leur vie, intégrant les événements passés et les projets futurs en
une histoire cohérente. La narration permet de donner du sens à la temporalité
de l'existence humaine, en reliant le passé, le présent et l'avenir.
Le titre de l'ouvrage reflète l'idée que la compréhension de soi passe
nécessairement par la reconnaissance de l'autre. Ricoeur soutient que
l'altérité est constitutive de l'identité personnelle. Cette relation
avec l'autre n'est pas seulement externe mais interne : l'autre fait partie
de soi-même, et l'identité se construit dans un dialogue constant avec
autrui. Ce constat pert à Ricoeur d'analyser la notion de responsabilité
personnelle, en particulier comment les actions sont attribuées à des
agents responsables. Il analyse les conditions de l'imputabilité, c'est-à -dire
ce qui permet de dire que quelqu'un est responsable de ses actes. L'éthique
chez Ricoeur est ainsi profondément liée à la question de l'identité.
Il argue que l'éthique doit prendre en compte la singularité des personnes
et de leurs histoires. L'ouvrage examine par ailleurs l'aspect ontologique
de l'identité, c'est-à -dire la manière dont l'existence
et l'être se manifestent dans la temporalité et
la relation à autrui.
• La mémoire,
l'histoire, l'oubli (2003). - Dans ce livre, Ricoeur étudie les interrelations
entre mémoire, histoire et oubli, pour offrir une analyse profonde et
nuancée de ces trois concepts fondamentaux pour la compréhension humaine
du passé. Le philosophe commence par une analyse phénoménologique de
la mémoire. il s'intéresse à la manière dont les souvenirs sont formés
et conservés. Il distingue entre la mémoire individuelle et la mémoire
collective, et s'intéresse à la manière dont les souvenirs personnels
s'articulent avec les souvenirs partagés par une communauté. La question
de la fidélité de la mémoire est centrale : comment être fidèle au
passé tout en reconnaissant les distorsions inévitables? Ricoeur aborde
également la mémoire traumatique, où le souvenir des événements douloureux
est marqué par des difficultés de remémoration et de représentation.
Ricoeur propose ensuite son épistémologie de l'histoire. Il examine la
nature de l'histoire en tant que discipline scientifique : quels sont les
critères de vérité et de preuve en histoire? Ricoeur traite des méthodes
historiques, de la critique des sources à la construction des récits
historiques. Il voit l'histoire comme une forme de représentation du passé
et analyse la manière dont les historiens narrativisent les événements
pour en faire un récit compréhensible. La relation entre les faits bruts
et leur interprétation est discutée pour montrer les défis de l'objectivité
historique. Enfin, l'auteur questionne les notions d'oubli et de représentation.
Ricoeur distingue différents types d'oubli
: l'oubli simple, l'oubli pathologique (comme dans l'amnésie) et l'oubli
intentionnel (comme le pardon). L'oubli est vu non seulement comme
une perte de mémoire, mais aussi comme une condition de la mémoire elle-même,
permettant la sélection et la hiérarchisation des souvenirs. La dimension
éthique de l'oubli est abordée, notamment dans le contexte de la justice
et du pardon. Ricoeur s'interroge sur le rôle de l'oubli dans la réconciliation
après des conflits ou des injustices.
Ajoutons enore qu'au
cours de sa carrière, Paul Ricoeur, renouant avec les racines historiques
de l'herméneutique, a également appliqué
son approche herméneutique aux textes bibliques et religieux, pour tenter
d'en comprendre la signification profonde et leur impact sur la vie humaine. |
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