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Pascal (Pasquale) Paoli, fils de Hyacinthe Paoli, est né le 25 avril 1725 au village de la Stretta, dans la piève de Rostino, dépendante de la juridiction de Bastia (Corse), et est mort à Londres le 5 février 1807. Son enfance s'écoula au milieu des haines qu'excitait le nom génois et au bruit des armes de ses concitoyens, qui commençaient à se débattre avec avantage contre l'oppression sous laquelle les avait courbés une oligarchie faible et perfide. Lorsque les Français conduits par Maillebois eurent reconquis, au profit de Gênes, la Corse révoltée, les défenseurs de l'indépendance de cette île durent céder à l'empire de la force, et se soustraire par l'exil au joug qu'ils avaient voulu briser. - Pascal Paoli (1725-1807). Paoli suivit son père, qui avait choisi Naples pour asile. Admis à I'école militaire de cette ville, il y puisa une instruction forte. Le célèbre Genovesi, son professeur du législation, lui trouvant une portée d'esprit peu communne, annonça que cet élève étonnerait un jour l'Europe. Paoli se prépara en silence à l'accomplissement de cet augure. L'imagination remplie des sentiments pénibles de l'exil, des conseils de son père, et de ce narcissisme qui fait croire à sa haute destinée, il demeura grave et sérieux, et échappa aux penchants de la jeunesse. Clemente, son frère aîné, que la Corse plaçait au rang des plus braves, était resté dans cette île pour y entretenir la popularité de sa famille, et pour indiquer à son père l'instant propice du retour. Porté par la reconnaissance de ses concitoyens à la magistrature suprême qui se partageait entre plusieurs, il profita de l'opportunité des circonstances pour représenter les inconvénients de pouvoirs ainsi divisés. Il avertit son père, qui, glacé par l'âge, et ne pouvant répondre lui-même à l'appel de Clemente, fit effort pour se séparer de Pascal, dépositaire de toutes ses espérances. Pascal, encore simple enseigne dans un régiment de cavalerie, s'embarqua pour la Corse, emportant les bénédictions et les mâles instructions d'Hyacinthe. La noblesse de ses traits et de ses manières, son affabilité insinuante, la chaleur de ses discours, le nom qu'il portait, et sa réputation agrandie par l'éloignement, attirèrent sur lui la bienveillance générale. Il eut l'adresse de faire ajourner les délibérations d'une consulte ou assemblée nationale qu'il savait disposée à lui conférer le généralat, mais en lui donnant un collègue. Une autre consulte, siégeant à San-Antonio di Casabianca, en juillet 1735, le proclama, quoique absent, chef unique de l'île. La fortune de Paoli ne sembla pas se soutenir; il échoua devant plusieurs postes génois, et perdit beaucoup de monde à San-Pelegrino. Marius-Emanuel Matra, naguère l'un des généraux électifs de la nation, mortifié de la préférence que Paoli avait obtenue, se porta son ennemi, fut vaincu dans une première lutte; et, n'obéissant plus qu'à cet esprit de parti, accepta le rôle de stipendié de Gênes. Surpris par ce rival supérieur en forces, et cerné dans le couvent de Bozzio, Paoli allait périr, sans la résolution généreuse d'un autre de ses ennemis. Thomas Cervoni était irrité contre Paoli pour des motifs également personnels. Se mère apprend ce qui se passe à Bozzio, et lui crie de prendre les armes. « Mais l'outrage que j'ai reçu. - Il s'agit bien de ton injure; la cause de la liberté est en péril dans la personne de son défenseur. Marche, ou je maudis le sang et le lait que je t'ai donnés. »Cervoni ne balance plus; suivi d'une poignée d'hommes déterminés, il se jette dans la mêlée, et dégage Paoli. Celui-ci, après l'action, demande son libérateur; mais, fidèle à sa haine, le libérateur était parti. Matra fut trouvé parmi les morts; Paoli donna des larmes à son sort, et voulut qu'il fût inhumé honorablement. Il fit respecter son autorité dans les pièves d'au delà des monts,qu'il visitait pour la première fois avec un appareil qui parut tenir du merveilleux aux yeux des habitants de cette contrée. Peu de temps après, il chassa la garnison génoise du poste de Rogliano, éleva des fortification à Nouza, et surtout à Furiani. Bastia se trouva ainsi bloquée, et l'ex-doge Grimaldi, s'étant présenté avec 6000 hommes pour bombarder Furiani, éprouva une résistance meurtrière, que les Corses rappellent avec orgueil. Une petite marine, créée par Paoli, désola le commerce de Gênes par ses croisières, et surprit la plupart des tours du cap Corse. La présence d'un visiteur général du clergé, envoyé par le pape Clément XIII sur la demande de Paoli, fortifia encore l'ascendant de ce général. Les Génois prirent ombrage des démarches du commissaire du Saint-siège, et le décrétèrent de prise de corps : le clergé corse écrivit pour sa défense, et les productions d'une polémique animée sortirent, avec le journal de l'île, d'une humble imprimerie, la première qu'on y eût connue. Cependant le sénat de Gênes recourait aux négociations. Paoli repoussa hautement les propositions d'un ennemi humilié, et fit décréter en 1761 par la consulte de Vensolasca que la nation n'entendrait aucune parole de paix avant que son territoire eût été évacué, et son indépendance reconnue, sauf à régler une indemnité pour les pertes du gouvernement génois. Paoli écrivit dans toutes les cours pour justifier cette résolution, et poursuivit ses avantages. Le petit port de Macinajo l'arrêta près de huit mois. Il remporta deux victoires à Furiani, et acheva de ruiner, presque sans combat, le parti de Matra, son ancien antagoniste. L'Europe, qui l'avait proclamé le vengeur de sa patrie, admira encore plus en lui le génie du législateur. Paoli essaya peu en fait d'organisation militaire; il se contenta de former deux corps réguliers, et maintint la prise d'armes en masse et les marches temporaires, comme une coutume nécessaire aux prodiges de la bravoure personnelle. Il créa des tribunaux permanents, qui offraient un double degré de juridiction; il suspendit le cours des vengeances particulières, qui perpétuait la haine dans les familles; introduisit une nouvelle monnaie, établit l'uniformité des poids et mesures, et coordonna les éléments d'une administration stable, résultat pour lequel ses compatriotes avaient fait des efforts continuels, quoi qu'en ait dit Voltaire, mais dont ils n'avaient pas connu les moyens. Paoli ne recula pas devant l'usage des méthodes terroristes : des juntes de guerre ou des commissions qui parcouraient l'île, escortées de forts détachements et revêtues d'un pouvoir extra-légal, jetèrent la terreur chez les partisans secrets de Gênes, et continrent les mécontents qu'offusquait la puissance du général. Deux inspecteurs reçurent la mission de ranimer l'agriculture dans chaque province. Les consultes eurent à leur tête un président qui communiquait avec le chef du gouvernement et son conseil, et de plus un orateur chargé de transmettre les voeux du peuple. L'initiative demeura partagée entre la consulte et le pouvoir exécutif; celui-ci put se prévaloir d'un veto qui suspendait seulement les résolutions de l'assemblée s'il n'était pas motivé, mais qui, dans le cas contraire, les arrêtait indéfiniment. Paoli fit sans danger un essai de la tolérance civile, en admettant un juif à l'exercice des droits politiques. Prodigue de respects envers le clergé, il sut l'assujettir aux charges communes, restreindre l'influence de ce corps dans les consultes, et s'en appuyer utilement en d'autres circonstances. Cependant il échoua dans son projet de séculariser tout à fait la justice, en cessant de reconnaître le privilège de la juridiction ecclésiastique; il ne put même abolir l'abus du droit d'asile. Sous son administration, la population, malgré la guerre, s'accrut d'environ seize mille habitants. L'instruction publique, à son tour, excita sa sollicitude. Il établit une espèce d'université à Corte : des professeurs nationaux y enseignèrent la théologie, le droit civil et canonique, le droit naturel et la philosophie, les mathématiques et la rhétorique, à une jeunesse nombreuse, auparavant condamnée à chercher sur le continent de dispendieuses leçons. Suivant l'exemple du général, les moines lurent avec affection les ouvrages français; Montesquieu, Voltaire et Rousseau se glissèrent dans leurs mains. L'imagination de ce dernier philosophe s'était exaltée en faveur des Corses; et dans quelques lignes de son contrat social, il avait eu la confiance de leur promettre un glorieux avenir. Paoli lui demanda, par l'intermédiaire du comte de Buttafuoco, officier corse au service de la France, un plan de législation pour son pays, et l'invita plus tard à y venir chercher le repos. Son dessein était moins d'invoquer les lumières d'un homme célèbre que de fixer auprès de lui un écrivain dont l'éloquence ajoutait une nouvelle force à ses manifestes. Rousseau céda aux instances dont il était l'objet; mais les circonstances l'empêchèrent de se transporter au milieu des Corses. Paoli avait conçu quelques alarmes en voyant débarquer des troupes françaises sous le commandement du comte de Marbeuf. La cour de Versailles les envoyait au secours de Génois pour leur tenir lieu d'intérêts des sommes qu'ils avaient prêtées à la France pendant la Guerre de sept ans. Paoli se rassura et vécut en bonne intelligence avec les Français, lorsqu'il se fut aperçu qu'ils avaient ordre de garder les places maritimes pendant quatre ans, et nullement d'aider les Génois à prendre l'offensive contre leurs anciens sujets. Cette inaction aurait dû le convaincre, au contraire, des vues secrètes que la France portait sur la Corse. Paoli fut tellement dupe des négociations entamées entre lui et le duc de Choiseul, ministre des affaires étrangères, qu'il demeura persuadé que, si l'indépendance de son pays était encore menacée, c'était l'Espagne qu'il devait craindre. Pour entretenir l'ardeur guerrière de ses compatriotes, il entreprit au commencement de 1767 une conquête hors de l'île : il enleva Capraïa aux Génois. Ceux-ci, désespérant de résister, prirent enfin le parti de céder à la France une souveraineté qui leur échappait. Paoli réclama, mais en vain, contre un pacte qui disposait d'une nation sans la consulter. Le combat de Ponte-Nuovo, où les Corses, enveloppés entre deux feux, essuyèrent une défaite meurtrière, ruina les espérances de Paoli : il rembarqua précipitamment pour Livourne, et passa en Angleterre avec son frère et ses neveux. Ils y vécurent obscurément du peu de ressources qui lui restaient et des secours du gouvernement qui leur offrait un asile. AIfieri dédia son Timoléon à l'illustre exilé. L'assemblée constituante ayant, en 1789, associé la Corse au bénéfice des lois françaises, Mirabeau se hâta de déclarer à la tribune qu'il était temps de rappeler les patriotes fugitifs qui avaient défendu l'indépendance de cette île, et présenta cette mesure comme une expiation de l'injuste conquête à laquelle il se reprochait d'avoir lui-même participé dans sa jeunesse. Sa proposition fut décrétée, et Paoli accourut de Londres à Paris pour remercier les nouveaux législateurs. « Vous avez, leur dit-il, honoré de vos suffrages ma conduite passée : elle vous répond de ma conduite future. J'ose dire que ma vie entière a été un serment à la liberté : c'est l'avoir déjà fait à la constitution que vous établissez. »Paoli fut salué par les acclamations de la multitude parisienne, et Louis XVI, auquel il fut présenté par le marquis de Lafayette, lui conféra le titre de lieutenant général et le commandement militaire de la Corse. Son retour dans cette île excita un enthousiasme qui tenait du délire. Le voeu de ses concitoyens le mit à la tête de la garde nationale, et le porta en même temps à la présidence de l'administration du département. On le vit seconder sincèrement les opérations de l'assemblée constituante : ses lettres étaient pleines de sentiments d'estime pour les membres les plus marquants de cette assemblée, et il usa de tout son pourvoir pour installer à Bastia l'évêque constitutionnel. La défiance refroidit son attachement pour le gouvernement français. Une motion de l'abbé Charrier, qui proposait de céder la Corse au duc de Parme, en échange du Plaisantin, dont la possession indemniserait le pape de la perte d'Avignon, devint aux yeux de Paoli un indice du peu d'importance que mettait la France à conserver son pays. La progression foudroyante de la Révolution française acheva de l'ébranler. Il pleura Louis XVI, se détacha insensiblement du parti démocratique de l'île, et promit son appui au parti contraire, que révoltaient les assignats, la persécution religieuse, les exactions et les mesures de la Convention. Cette assemblée retentit bientôt de dénonciations contre Paoli; on l'accusa de chercher à rendre à la Corse son indépendance, et d'avoir fait manquer une expédition contre la Sardaigne, dirigée par le vice-amiral Truguet. Placé sur une liste de vingt généraux inculpés de trahison, il ne garda plus de ménagements, et résolut de rompre tous les liens qui l'attachaient à la France. Les mécontents se rallièrent à sa voix, et il fut élu, le 26 juin 1793, généralissime et président d'une consulte formée à Corte. Mis hors la loi par la Convention, le 17 juillet, il expulsa les Français de l'île, après y avoir appelé les Anglais. Trois députés de la consulte qu'il présidait se rendirent à Londres pour offrir la couronne au roi d'Angleterre. Ce prince l'accepta, et consentit que les formes du gouvernement britannique fussent adaptées à la Corse. Mais Paoli avait été joué pour la vice-royauté, qui fut donnée à lord Minto. Il fut même frustré de la présidence du parlement du nouveau royaume, pour laquelle Pozzo di Borgo fut préféré. Une mésintelligence ouverte s'éleva entre lui et le vice-roi. Persuadé que l'intérêt de son pays était de lier irrévocablement sa cause avec celle de l'Angleterre, il étouffa ses ressentiments pour exhorter ses concitoyens à demeurer fidèles à Sa majesté Britannique et passa de nouveau à Londres (1796), où il fit entendre des plaintes auxquelles le gouvernement ne donna que peu d'attention. Il acheva sa carrière dans un village près de Londres, le 3 février 1807. Son testament contenait des legs pour l'amélioration de l'instruction publique dans son ancienne île. (F-t.). |
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