| Charles Nodier est un écrivain français, né à Besançon le 29 avril 1780, mort à Paris le 27 janvier 1844. Fils d'un avocat, ancien professeur à l'Oratoire, qui se chargea lui-même de son éducation, il fut élevé dans les plus strictes traditions oratoriennes, et manifesta un goût précoce pour les belles-lettres. Il suivit avec fruit, à Strasbourg, les leçons d'Euloge Schneider, helléniste renommé et patriote effervescent. A douze ans, il était élu membre de la Société des amis de la constitution de Besançon et y prononçait un discours de réception qui fut fort applaudi. Il fit partie d'une députation envoyée à Pichegru pour le complimenter de sa victoire sur l'armée autrichienne. Cependant, son père, qui était président du tribunal criminel, s'effraya des excès révolutionnaires et confia son fils aux soins d'un vieil ami, M. Girod de Chantrans, qui se retira avec lui au hameau de Novilars. Dans cette studieuse retraite, Nodier compléta son instruction, apprenant l'allemand et l'anglais. Revenu à Besançon après la Terreur, il entra à l'Ecole centrale. Il en sortit à dix-sept ans et fut nommné bibliothécaire adjoint à Besançon. En 1799, oubliant ses débuts dans la politique, il s'amuse à parodier, avec quelques amis, la séance d'un club républicain. Poursuivi et traduit devant le jury, il fut acquitté. Sa famille désirait qu'il entrât au barreau, mais il se dégoûta vite des études juridiques, n'ayant pu passer son premier examen. Il vient à Paris en 1800, et y fait imprimer des romans et des mémoires scientifiques, mais en même temps il écrivait dans le Citoyen Français et publiait sous le manteau une ode satirique, la Napoléone, et un petit roman, les Proscrits, qui lui valurent un emprisonnement de quelques mois à Sainte-Pélagie, puis son expulsion de la capitale. Il continua à Besançon sa propagande contre le gouvernement consulaire, et, impliqué dans le fameux complot dénoncé par Méhée et dont le but était une alliance entre les royalistes et les jacobins, il fut recherché par la police et s'enfuit dans les montagnes du Jura. Après quelques mois de vie errante, protégé par Jean de Bry, préfet du Doubs, il obtint une chaire de littérature à Dole. Il y épousa bientôt Mlle Desirée Charves, et cette union fit le bonheur du reste de sa vie. Son professorat étant mal rétribué, il accepta d'être secrétaire d'un riche Anglais philologue et maniaque, sir Herbert Croft, qu'il quitta en 1809. En 1812, il fut nommé bibliothécaire à Laybach, puis directeur du Télégraphe illyrien. Mais bientôt les provinces illyriennes étant détachées de l'Empire (1813), il revint à Paris, collabora au Journal de l'Empire; puis, après la chute de Napoléon, il se jeta avec ardeur dans les polémiques suscitées par la nouvelle situation politique. En 1820, il quitta la rédaction des Débats pour passer à celle de la Quotidienne. En 1821, il voyagea en Ecosse avec le baron Taylord. Il avait déjà publié beaucoup d'ouvrages, et sa situation littéraire s'affirmait de jour en jour. En 1824, il était nommé bibliothécaire de l'Arsenal. Cette nomination vint à point. Nodier avait jusque-là toujours été jeune, trop jeune, brillant, sémillant, jetant sa verve à tous vents. « Un nouveau cercle d'habitudes se forma, écrit Sainte-Beuve. La jeunesse, quand elle se prolonge, est toujours embarrassante à finir; rien n'est pénible à démêler comme les confins des âges: il faut souvent que quelque chose vienne du dehors et coupe court. Dans sa retraite une fois trouvée, an soleil, au milieu des livres dont une élite sous sa main lui sourit, la vie de Nodier s'ordonna : des après-midi flâneuses, des matinées studieuses, liseuses et de plus en plus productives de pages toujours plus goûtées. » Les soirées de l'Arsenal, bientôt inaugurées, marquent une date dans notre histoire littéraire. C'est là que se forma, en effet, le premier cénacle romantique : avec Victor Hugo, Lamartine, Sainte-Beuve, Vigny, les deux Deschamps, le jeune Musset. etc. Nodier, grand admirateur de Goethe et de Shakespeare, amoureux du fantastique, partisan passionné du wertherisme, eut une influence marquée sur la nouvelle école. Plus tard, l'Arsenal groupa tous les dimanches autour de jeunes femmes charmantes, dont la plus brillante était la fille de Nodier, Mme Menessier, tous les jeunes écrivains de talent, tous les hommes les plus distingués; et ces soirées cordiales ont laissé les plus grands souvenirs. On y vit : le baron Taylor, Jal, Amaury-Duval, Hetzel, Reber, Bixio, Marmier, Gigoux, Jasmin, Arvers, Alexandre Dumas et son fils, etc. Nodier fut élu membre de l'Académie française le 24 octobre 1833. Jusqu'à son dernier jour, il continua d'écrire. Il s'éteignit doucement. Modeste et indulgent, il n'avait que des amis, et sa mort fut unanimement pleurée. La ville de Besançon lui a éleva une statue. - Le chien de Brisquet « En notre forêt de Lyons, vers le hameau de la Goupillière, tout près d'un grand puits-fontaine qui appartient à la chapelle Saint-Mathurin, il y avait un bonhomme, bûcheron de son état, qui s'appelait Brisquet, ou autrement le fendeur à la bonne hache, et qui vivait pauvrement du produit de ses fagots avec sa femme, qui s'appelait Brisquette. Le bon Dieu leur avait donné deux petits enfants, un garçon de sept ans, qui était brun et qui s'appelait Biscotin, et une blondine de six ans, qui s'appelait Biscotine. Outre cela, ils avaient une chienne à poil frisé, noire par tout le corps, si ce n'est au museau qu'elle avait couleur de feu; et c'était le meilleur chien du pays pour son attachement à ses maîtres. On l'appelait Bichonne. Vous vous souvenez du temps où il vint tant de loups dans la forêt de Lyons. C'était dans l'année des grandes neiges que les pauvres gens eurent si grand-peine à vivre. Ce fut une terrible désolation dans le pays. Brisquet, qui allait toujours à sa besogne et qui ne craignait pas les loups à cause de sa belle hache, dit un matin à Brisquette : « Femme, je vous prie de ne laisser courir ni Biscotin, ni Biscotine, tant que M. le grand louvetier ne sera pas venu. Il y aurait du danger pour eux. Ils ont assez de quoi marcher entre la butte et l'étang, depuis que j'ai planté des piquets le long de l'étang pour les préserver d'accident. Je vous prie aussi, Brisquette, de ne pas laisser sortir la Bichonne, qui ne demande qu'à trotter. » Brisquet disait tous les matins la même chose à Brisquette. Un soir il n'arriva pas à l'heure ordinaire. Brisquette venait sur le pas de la porte, rentrait, ressortait et disait : « Mon Dieu, qu'il est attardé!... » - Et puis elle sortait encore en criant; « Eh! Brisquet! » Et la Bichonne lui sautait jusqu'aux épaules, comme pour lui dire : « N'irai-je pas ? - Paix! lui dit Brisquette... Ecoute, Biscotine, va jusque devers la butte, pour voir si ton père ne revient pas... Et toi, Biscotin, suis le chemin au long de l'étang, en prenant bien garde s'il n'y a pas de piquets qui manquent, et crie bien fort : Brisquet ! Brisquet !... Paix-là! Bichonne! » Les enfants allèrent, allèrent et, quand ils se furent rejoints à l'endroit où le sentier de l'étang vient couper celui de la butte : « Mordienne, dit Biscotin, je retrouverai notre pauvre père, ou les loups m'y mangeront. - Pardienne, dit Biscotine, ils m'y mangeront bien aussi. » Pendant ce temps-là, Brisquet était revenu par le grand chemin de Puchay, en passant à la Croix-aux-Anes, sur l'abbaye de Mortemer, parce qu'il avait une hottée de cotrets à fournir chez Jean Paquier. « As-tu vu nos enfants? lui dit Brisquette. - Nos enfants? dit Brisquet, nos enfants? mon Dieu! sont-ils sortis? - Je les ai envoyés à ta rencontre jusqu'à la butte et à l'étang, mais tu as pris par un autre chemin. » Brisquet ne posa pas sa bonne hache. Il se mit à courir du côté de la butte. « Si tu menais la Bichonne? » lui cria Brisquette. La Bichonne était déjà bien loin. Elle était si loin que Brisquet la perdit bientôt de vue, et il avait beau crier : « Biscotin! Biscotine! » on ne lui répondait pas. Alors, il se prit à pleurer, parce qu'il s'imagina que ses enfants étaient perdus. Après avoir couru longtemps, longtemps, il lui sembla reconnaître la voix de la Bichonne. Il marcha droit dans le fourré, à l'endroit où il l'avait entendue, et il y entra, sa bonne hache levée. La Bichonne était arrivée là au moment où Biscotin et Biscotine allaient être dévorés par un gros loup. Elle s'était jetée devant en aboyant, pour que ses abois avertissent Brisquet. Brisquet, d'un bon coup de sa bonne hache, renversa le loup raide mort; mais il était trop tard pour la Bichonne, elle ne vivait déjà plus. Brisquet, Biscotin et Biscotine rejoignirent Brisquette. C'était une grande joie, et cependant tout le monde pleura. Il n'y avait pas un regard qui ne cherchât la Bichonne. Brisquet enterra la Bichonne au fond de son petit courtil, sous une grosse pierre, sur laquelle le maître d'école écrivit en latin : C'est ici qu'est la Bichonne, Le pauvre chien de Brisquet. Et c'est depuis ce temps-là qu'on dit en commun proverbe : Malheureux comme le chien à Brisquet, qui n'allit qu'une fois au bois et que le loup mangit. » (Ch. Nodier). | Il est assez difficile de caractériser l'oeuvre de Nodier. Romancier, poète, publiciste, philologue et critique, Charles Nodier a imprimé à tous ses ouvrages le cachet d'une élégante correction de style. Ses romans sont écrits sous la dictée d'une imagination quelquefois fantasque. Il a mêlé la fiction à l'histoire dans le Dernier Banquet des Girondins. Ses travaux de philologie et de critique, son Dictionnaire des onomatopées, son Examen critique des dictionnaires de la langue française, ses Eléments de linguistique, etc., lui assurent un rang parmi les écrivains qui savent allier le goût à la variété des connaissances. Au final, il apparaît comme un homme d'imagination vive et ardente qui a touché à tous les genres sans se fixer à rien. Conteur charmant, écrivain à la phrase fluide, harmonieuse et nuancée, il a mis de la fantaisie dans l'histoire, dans la philologie, dans l'entomologie et jusque dans la bibliographie. C'était un causeur incomparable, et c'est par ses causeries plus peut-être que par ses écrits qu'il a exercé une influence indéniable sur l'évolution de la littérature au commencement du XIXe siècle. (R. S.).
| En bibliothèque. - Citons parmi les nombreux ouvrages de Charles Nodier : Dissertation sur l'usage des antennes dans les insectes et sur l'organe de l'ouïe dans ces mêmes animaux (Besançon, 1798, in-4); Pensées de Shakespeare extraites de ses ouvrages (Besançon, 1801, in-8); Bibliographie entomologique (Paris, 1801, in-8); le Dernier Chapitre de mon roman (1803, in-12); le Peintre de Saltzbourg (1803, in-12) dont le sous-titre, caractéristique de l'époque, vaut d'être mentionné : Journal des émotions d'un coeur souffrant; les Essais d'un jeune barde (Paris, 1804, in-12); les Tristes ou Mélanges tirés des tablettes d'un Suicidé (1806, in-8); Stella ou les Proscrits (1808, in-12); Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises (1808, in-8); Archéologie ou système universel et raisonné des langues (1810, in-8); il s'agit de son fameux système relatif à la formation du langage qu'il attribue tout simplement à l'imitation des bruits de la nature; Questions de littérature légale (1812, in-8); Histoire des sociétés secrètes de l'armée (1815, in-8); Jean Sbogar (1818, in-8); Thérèse Aubert (1819, in-12); Adèle (1820, in-12); Lord Ruthwen ou les Vampires (1820, 2 vol. in-12) dont il tira le Vampire, mélodrame en 3 actes; Bertram (1821), tragédie en 5 actes; Voyages pittoresques et romanesques dans l'ancienne France (1820 et suiv., in-fol.) avec Taylor et A. de Cailleux; Smarra ou les Démons de la nuit (1821); Trilby ou le Lutin d'Argail (1822, in-12); Mélanges tirés d'une petite bibliothèque (1829, in-8); Histoire du roi de Bohème et de ses sept châteaux (1830, in-8); Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire (1821, 2 volumes in-8); la Fée aux miettes (1832, in-12), l'un des plus charmants et le plus populaire de ses romans; Mademoiselle de Marsan (1832, in-8); Souvenirs de jeunesse (1832, in-8); Inès de las Sierras (1837, in-8); les Quatre Talismans (1838, 2 vol. in-8); la Neuvaine de la Chandeleur et Lydie (1839, in-8); Trésor des fèves et fleur des pois, le Génie Bonhomme, Histoire du chien de Brisquet (1844, in-8); Journal de l'expédition des Portes de fer (1844, in-8), rédigé sur les notes du duc d'Orléans; Franciscus Columna (1844, in-12). On a donné une édition de ses Oeuvres complètes (Paris, 1832-1834, 12 volumes. in-8), qui ne mérite pas du tout ce titre, et sa Correspondance inédite (Paris, 1876, in-8). Il faut mentionner aussi ses éditions annotées des classiques, entre autres de La Fontaine, de Molière, de Voltaire, la mystification littéraire des oeuvres de Clotilde de Surville ou il eut une grande part, et un certain nombre de pamphlets contre les vices et les moeurs de son temps, publiés sous les pseudonymes de Old Book, docteur Neophobus, le Dériseur sensé. etc. | | |