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Nisard

J.-Marie-Napoléon Désiré' Nisard est un écrivain français, né à Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or) le 20 mars 1806, mort à San Remo (Italie) le 27 mars 1888. Après de bonnes études à Sainte-Barbe, il entra dans le journalisme et écrivit au Journal des Débats (1826), qui était alors un des principaux organes de l'opposition. Pendant les journées de Juillet, il fit le coup de fusil sur les barricades avec ses deux frères et un de ses oncles qui y fut tué. Après la révolution de Juillet, il fut quelque temps attaché au ministère de l'instruction publique, puis abandonna le Journal des Débats et la défense du gouvernement de Louis-Philippe pour passer dans le camp des libéraux, au National, que rédigeait Armand Carrel, son ami dévoué; il publia à la même époque un petit roman fantaisiste et un peu léger, le Convoi de la laitière, qu'il a cherché plus tard à faire disparaître et qui est devenu introuvable. Il était alors un des collaborateurs les plus fougueux du National.

Dans ces premiers essais, Nisard montrait un grand talent de polémiste, nourri des classiques; c'est alors qu'il eut l'idée de devenir en littérature le champion du passé et de s'attaquer au romantisme. Dans un manifeste célèbre publié du haut de la chaire littéraire du National, il distingua « la littérature facile de la littérature difficile » : la première consiste à écrire Henri III, Antony, Marion de Lorme; la seconde s'efforce d'imiter les Epîtres de Boileau et de traduire Hérodote ou Virgile. Jules Janin répondit avec esprit dans la Revue de Paris (1834). Nisard continua dans cette voie et publia une série d'Etudes sur les poètes latins de la décadence (1834), ouvrage érudit et éloquent, écrit d'ailleurs dans un style exubérant, digne d'un romantique : le souci de peindre d'une manière transparente le verbeux Stace sous la figure de Lamartine, l'emphatique Lucain sous l'apparence de Hugo, et généralement ses contemporains sous les masques latins, marque un parti pris qui amoindrit la valeur de l'ouvrage. 

Sous le ministère Guizot, Nisard fut nommé maître de conférences à l'Ecole normale (1835 à 1844), chef du secrétariat au ministère de l'Instruction publique (1836), maître des requêtes au conseil d'État (1837), et chef de la division des sciences et des lettres (1838). Il avait fait le sacrifice de ses anciennes convictions républicaines, pour se rallier au gouvernement. En 1842, il devint député ministériel (1842 à 1848) et fut élu à Châtillon-sur-Seine; député conservateur, il fit peu parler de lui. 

En 1843, Villemain le nomma en remplacement de Burnouf à la chaire d'éloquence latine au Collège de France. Pendant ce temps, Nisard avait publié un volume de Mélanges (1838), un Précis de l'histoire de la littérature française (1840), une étude sur Erasme (1842), suivie de la traduction de son Eloge de la folie. Il avait entrepris avec de nombreux collaborateurs, Hauréau, Gérusez, Burnouf , Littré, etc., une édition, qui porte son nom, des classiques latins, suivie de leurs traductions : Collection des auteurs latins (1838-1850, 27 volumes). Enfin, en 1844, parut le premier volume de son Histoire de la littérature française (qui ne fut complétée que plus tard, en 4 volumes, de 1855 à 1861). Dans toutes ces études d'histoire et de critique en retrouve la grande théorie littéraire de Désiré Nisard : la décadence de la littérature française depuis le XVIIe siècle; le siècle de Louis XIV est aussi bien l'idéal politique et social que l'idéal littéraire; la langue de Boileau et de Racine est la seule à imiter.
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Les quatre sortes de critique littéraire
(Villemain, Sainte-Beuve, Saint-Marc Girardin, Nisard)

« Si je ne suis pas dupe d'un vain désir de distinguer, il y a eu, de notre temps, quatre sortes de critique littéraire. La première est comme une partie nouvelle et essentielle de l'histoire générale. Les révolutions de l'esprit, les changements du goût, les chefs-d'oeuvre en sont les événements; les écrivains en sont les héros. On y fait voir l'influence de la société sur les auteurs, des auteurs sur la société : c'est proprement l'histoire des affaires de l'esprit.

La seconde sorte de critique est à la première ce que les mémoires sont à l'histoire. Elle s'occupe plus de la chronique des lettres que de leur histoire, et elle fait plus de portraits que de tableaux. Pour elle, tout auteur est un type, et aucun type n'est méprisable. Aussi ne donne-t-elle pas de rangs; elle se plaît à ces talents aussi divers que les visages. Elle est plus poétique que philosophique, car la philosophie s'attache aux ressemblances, aux lois générales de l'esprit; la poésie, c'est le sentiment des variétés de la vie individuelle. Pour le fond comme pour la méthode, cette critique est celle qui s'éloigne le plus de la forme de l'enseignement et qui a l'allure la plus libre. La pénétration qui ne craint pas d'être subtile, la sensibilité, la raison, pourvu qu'elle ne sente pas l'école, le caprice même à l'occasion, le fini du détail, l'image transportée de la poésie dans la prose, telles en sont les qualités éminentes. En lisant certaines Causeries sur des lettrés illustres, on pense à Plutarque, et on le retrouve.

La troisième sorte de critique n'est ni une histoire, ni une galerie de portraits; elle choisit, parmi tous les objets d'étude qu'offrent les lettres, une question qu'elle traite à fond, en prenant grand soin de n'en avoir pas l'air. S'agit-il, par exemple, de l'usage des passions dans le drame, elle recueille dans les auteurs dramatiques les plus divers et les plus inégaux les traits vrais ou spécieux dont ils ont peint une passion; elle compare les morceaux, non pour donner des rangs, mais pour faire profiter de ces rapprochements la vérité et le goût; elle y ajoute ses propres pensées et, de ce travail de comparaison et de critique, elle fait ressortir quelque vérité de l'ordre moral. C'est là son objet : tirer des lettres un enseignement pratique, songer moins à conduire l'esprit que le coeur, prendre plus de souci de la morale que de l'esthétique. C'est de la littérature comparée qui conclut par de la morale.

J'éprouve quelque embarras à définir la quatrième sorte de critique. Celle-ci se rapproche plus d'un traité; elle a la prétention de régler les plaisirs de l'esprit, de soustraire les ouvrages à la tyrannie du chacun son goût, d'être une science exacte, plus jalouse de conduire l'esprit que de lui plaire. Elle s'est fait un idéal de l'esprit humain dans les livres; elle s'en est fait un du génie particulier de la France, un autre de sa langue; elle met chaque auteur et chaque livre en regard de ce triple idéal. Elle note ce qui s'en rapproche : voilà le bon; ce qui s'en éloigne voilà le mauvais. Si son objet est élevé, si elle ne fait tort ni à l'esprit humain, qu'elle étudie dans son imposante unité, ni au génie de la France, qu'elle veut toujours montrer semblable à lui-même, ni à notre langue, qu'elle défend contre les caprices de la mode, il faut avouer qu'elle se prive des grâces que donnent aux trois premières sortes de critique la diversité, la liberté, l'histoire mêlée aux lettres, la beauté des tableaux, la vie des portraits, les rapprochements de la littérature comparée. J'ai peut-être des raisons personnelles pour ne pas mépriser ce genre, j'en ai plus encore pour le trouver difficile et périlleux. »
 

(Nisard).

L'Académie consacra le succès de ces théories étroites et pompeuses en préférant Nisard à Alfred de Musset en 1850. Après la révolution de 1848 qui fit perdre à Nisard ses places, le coup d'Etat les loi rendit; en 1852, il fut nommé inspecteur général de l'enseignement et eut une grande part dans la réorganisation du système d'études opérée à l'Ecole normale selon les idées du ministre Fortoul; il succéda à Villemain dans la chaire d'éloquence française à la Faculté des lettres; en 1855, des troubles éclatèrent à son cours, à la suite d'une leçon où Nisard faisait la distinction des deux morales, celle des simples particuliers et celle qui est permise aux princes; un procès, véritable événement politique, traduisit en police correctionnelle une quinzaine d'étudiants qui furent condamnés à la prison. Nisard continua ses leçons pendant deux années, puis fut nommé directeur de l'Ecole normale (1857-1867); il entreprit d'abord quelques réformes administratives, puis s'attira l'animadversion des élèves en faisant renvoyer l'auteur d'une adresse à Sainte-Beuve; l'Ecole normale fut licenciée momentanément, En 1867, Nisard devint sénateur. En octobre 1876, il fut mis à la retraite et nommé inspecteur général honoraire.

Outre son Histoire de la littérature française, qui reste son principal titre littéraire, Désiré Nisard a publié : Mélanges d'histoire et de littérature (1868); les Quatre grands Historiens latins (1875); Renaissance et Réforme (1877); Discours académiques et universitaires (1884); Nouveaux mélanges d'histoire et de littérature (1886); Considérations sur la Révolution française et sur Napoléon Ier (1887). Après sa mort, on a réuni ses Souvenirs et Notes biographiques (1888) et Aegri Somnia, Pensées et Caractères (1889). Comme académicien, il reçut Ponsard, auquel il recommanda de relire Boileau, le duc de Broglie, Saint-René Taillandier.

Son éloquence terne et grise était peu appréciée. En tant qu'écrivain, il a parlé avec érudition, esprit et talent au nom du sens et du goût; l'expression abondante, mais claire et morale de ses observations, plaît à beaucoup d'esprits modérés et distingués. Comme l'a dit Sainte-Beuve, « un académicien lui a trouvé du nerf, les savants lui trouvent de la grâce ». (Ph. Berthelot).

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Dictionnaire biographique
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