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Nicole

Pierre Nicole est un moraliste français, né à Chartres le 19 octobre 1625, mort à Paris le 16 novembre 1696.

Le père de Nicole, avocat au Parlement, chambrier de la chambre ecclésiastique de la ville de Chartres, était un fin lettré. Il envoya son fils, en 1642, à Paris, pour y faire sa philosophie au collège d'Harcourt. De là, le jeune Nicole passa à la Sorbonne pour y faire sa théologie. Mais les relations toutes nouées qu'il avait avec Port-Royal par sa tante, la célèbre mère Marie des Anges, lui ouvrirent bientôt les portes de cette illustre maison où nous le trouvons de très bonne heure enseignant les belles-lettres et la philosophie. C'est de cet enseignement, associé à celui d'Arnauld, que devait sortir la Logique de Port-Royal. Les troubles qui s'élevèrent en 1649 à la Sorbonne, au sujet des cinq propositions, le détournèrent du doctorat et de la prêtrise. Pour rester libre, il ne s'éleva pas au-dessus du degré de clerc tonsuré. Mais ses liaisons avec les solitaires se fixèrent. Il se retira à Port-Royal des Champs, quand les Ecoles durent quitter Paris. Bientôt, en 1654, il fit la connaissance d'Arnauld qui apprécia son genre de talent et l'associa aux luttes que les jansénistes eurent désormais à soutenir. C'est ainsi qu'il fournit des documents à Pascal pour ses Provinciales, rédigea en latin plusieurs des écrits qu'Arnauld dut produire en Sorbonne pour sa défense. En 1657, il se jette lui-même dans la lutte en publiant en latin les Disquisitiones sex Pauli Irenaei et le Belga Percontutor. En 1658-1659, il voyage en Flandre et sur les bords du Rhin. C'est là qu'il écrit, sous le pseudonyme de Wondrock, soi-disant théologien allemand, la retentissante traduction latine des Provinciales (Cologne, 1658). De retour en France, il reprend son poste aux côtés d'Arnauld avec qui il habite secrètement à Paris, chez Mme Aragon, sous le nom de M . Rosny.

En 1664, tous deux émigrent à Châtillon, près de Paris, dans la maison d'un ami; peu après, nous les retrouvons cachés à Paris, rue des Postes, puis dans l'hôtel même de M. de Longueville. Dans ces retraites, troublé par de continuelles alertes, il se multiplie dans sa collaboration avec le grand polémiste de Port-Royal. Cependant, ces luttes fatiguaient sa constitution délicate et, dans le fond, répugnaient à son tempérament porté vers la conciliation et les concessions. A Port-Royal, bon nombre de solitaires lui reprochaient amèrement ses avances à la faculté et à la cour de Rome. Mais, au dehors, ces divisions étaient soigneusement cachées. Nicole continuait à se battre bravement aux côtés d'Arnauld. Il collaborait à l'Apologie pour les Religieuses de Port-Royal de M. de Sainte-Marthe, au Nouveau Testament de Mons, publié par Port-Royal tout entier. De son côté, il est l'auteur, entre autres écrits de controverse, du Traité de la Foi humaine et surtout des célèbres Imaginaires (1664), au nombre de dix, suivies des huit lettres, intitulées Visionnaires, dirigées contre Desmaretz de Saint-Sorlin, auteur d'une comédie de ce nom; de la Perpétuité de la Foi (1669-1676) et d'un grand nombre d'autres ouvrages de polémique. En 1674, parut le premier des treize volumes du traité le plus célèbre de Nicole, les Essais de Morale.

 A ce moment, la paix de l'Eglise (1669) avait, pour quelques années, adouci l'âpreté des querelles religieuses. Aussi voyons-nous Nicole préoccupé de recouvrer sa liberté en relâchant peu à peu les liens qui l'unissaient à l'infatigable Arnauld. Sans doute, rien ne fut altéré de leur amitié; mais Nicole multiplia par des voyages et de longs séjours chez ses amis de Beauvais, Troyes, Chartres, les occasions de vivre loin de son terrible ami. Il fit pourtant, en 1671, un voyage à Angers en compagnie d'Arnauld. En 1676, il va dans le Midi, jusqu'à Aleth, pour y visiter le pieux évêque Pavillon.
Malheureusement, en 1677, la persécution contre Port-Royal recommença. Nicole, sur les instances de ses amis et de Mme de Longueville, consentit à écrire au nouveau pape,Innocent XI, une lettre où il dénonçait quelques propositions scandaleuses des jésuites. L'effet de cette lettre à la cour de Louis XIV fut tel qu'Arnauld et Nicole jugèrent prudent de passer en Belgique. Arnauld voulait pousser jusqu'en Hollande. C'est alors que Nicole, lassé de ces luttes sans trêve, refusa de fuir plus loin et se sépara définitivement de son ami avec lequel il continua d'ailleurs à entretenir la plus affectueuse correspondance. Il fit plus, il s'humilia et écrivit à l'archevêque de Paris, M. de Harlay, une lettre où il lui expliquait sa conduite et l'assurait de son intention d'éviter à l'avenir toute occasion de déplaire. Naturellement cette lettre excita, de la part des jansénistes, de grandes clameurs contre le pauvre Nicole, qui, d'ailleurs, dut attendre deux ans, sur la frontière, la permission de se retirer à Chartres. En 1683; il fut autorisé à rentrer à Paris. Âgé de cinquante-huit ans, malade et lassé, il put enfin jouir de sa retraite, écrivant quelques traités contre les protestants et visité par quelques amis, par Bossuet lui-même, qui l'estimait hautement, dans sa modeste maison du faubourg Saint-Jacques. C'est là qu'une attaque de paralysie l'emporta à l'âge de soixante-dix ans.

L'homme et l'écrivain.
Ainsi qu'on a pu s'en rendre compte par la courte notice qui précède, Nicole n'est pas de la forte génération des jansénistes, de celle de Saint-Cyran, de Sacy, d'Arnauld et de Pascal. D'une timidité physique presque maladive, d'humeur douce et candide, il n'avait pas le tempérament fait pour la lutte, et il s'y trouva engagé moins par vocation que par ses amitiés et par son talent dont Port-Royal, après la mort de Pascal, ne pouvait se passer. Il avait, en effet, sur Arnauld, la supériorité du polémiste alerte, spirituel, habile à mettre à la portée des laïques les plus épineuses controverses théologiques. A ce point de vue, il est le véritable continuateur de Pascal. On rapporte qu'avant de traduire en latin les Provinciales, il avait relu Térence en entier. Aussi cette traduction est-elle, presque à l'égal de l'original, un modèle de bonne comédie, et l'un des adversaires de Nicole le traitait ironiquement de pascalin. Sans être un mondain, il avait du goût pour la conversation et ne craignait pas d'y apporter une préciosité dont on retrouve parfois la trace dans ses lettres. Mais ses grands ouvrages sont écrits dans une langue élégante et sobre, précise et souple dans l'expression des plus fines nuances, mais un peu terne et incolore.

On trouvera la liste complète des oeuvres de Nicole dans le t. XXIX des Mémoires de Nicéron et à la fin de sa biographie par l'abbé Goujet. Nous noirs contenterons d'indigner et d'analyser les principaux :

Epigrammatum delectus ex omnibus tum veteribus tum recentioribus poetis, cum Dissertatione de vera pulchritudine (Paris, 1659). Cet ouvrage, attribué par quelques bibliographes à Lancelot, a été édité pour la septième fois à Londres, 1711. C'est un recueil d'épigrammes antiques, à l'usage des écoles, précédé d'une assez médiocre dissertation sur le vraie et la fausse beauté que le P. Vavasseur s'empressa de réfuter vigoureusement. 

La Perpétuité de la foi de l'Eglise catholique touchant l'Eucharistie (Paris, 1664). Cet ouvrage, connu sous le nom de Petite Perpétuité, par opposition au grand ouvrage dont il sera question ci-dessous, eut coup sur coup quatre éditions (Liège, 1701, 6e édition).

• Traité de la foi humaine (Paris, 1664).

Les Imaginaires, petites lettres dans le goût des Provinciales, an nombre de 10, dont la première est du 24 janvier 1664, suivies des huit Visionnaires, le tout réuni en 2 volumes (Liège, 1667). Dans les premières, Nicole s'efforce de démontrer que la querelle élevée au sujet des cinq fameuses propositions de Jansénius sont une mauvaise chicane, un prétexte pour jeter sur Port-Royal l'odieux d'une hérésie imaginaire. La première de ces lettres est la meilleure; le début, où la bonne humeur tempère le sarcasme, n'est pas indigne des Provinciales et fait pressentir Bayle. Quant aux Visionnaires, elles dénonçaient le mysticisme fanatique et bizarre de Desmaretz de Saint-Sorlin, auteur d'une comédie du poème nom. On sait que, par allusion à la première profession de Desmaretz, Nicole frappait assez rudement sur les « poètes de théâtre... empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes des fidèles », et que Racine, grisé par le succès de son Alexandre, répondit vivement à son ancien maître par la célèbre Lettre à l'auteur des Visionnaires (1666), qu'il devait si amèrement regretter plus tard. 

La Perpétuité de la foi de l'Eglise catholique touchant l'Eucharistie, défendue contre le ministre Claude (Paris, 1669, 72-74, 3 vol. in-4). Cet ouvrage, communément désigné sous le nom de Grande Perpétuité, parut sous le nom d'Arnauld qui n'y avait prêté qu'une collaboration secondaire, mais dont la réputation semblait à la modestie de Nicole une plus solide recommandation que son propre nom. C'est le plus considérable des travaux théologiques de Nicole; Claude avait, en 1666, répondu à la Petite Perpétuité. C'est à réfuter cette réponse que Nicole employa les loisirs de la paix de l'Église. La réconciliation entre Rome et Port-Royal se cimentait ainsi aux frais des calvinistes. Aussi l'ouvrage, dédié au pape Clément IX, et revêtu de l'approbation d'une cinquantaine de prélats et docteurs de l'Église, eut-il un grand retentissement. On prétend qu'il détermina la conversion de bon nombre de protestants et hâta celle de Turenne. La dialectique en est des plus habiles; mais elle n'est guère qu'une continuelle défaite. Evitant la méthode de discussion, c.-à-d. l'examen détaillé des textes proposés par l'adversaire, il préfère la méthode de prescription, « dans laquelle, par l'examen de certains points capitaux, on décide ou toutes les controverses, ou quelques dogmes fort étendus qu'il serait long de discuter en détail ». Néanmoins la Grande Perpétuité est, avant l'Histoire des Variations, le plus puissant effort tenté pour établir la continuité du dogme catholique.

Essais de Morale et lnstructions théologiques (Paris, 13 volumes; 1671 et suiv. ; réimprimé en 25 vol. en 1741 et 1744, avec divers opuscules de Nicole, et une notice biographique par l'abbé Coujet). Un Choix de petits traités de morale de Nicole a été publié par Silvestre de Sacy (Paris, 1857). A relire aujourd'hui les Essais, on a peine à comprendre l'enthousiasme de quelques contemporains, de Mlle de Sévigné surtout, qui, du traité sur les Moyens de conserver la paix avec les hommes, l'un des meilleurs en effet, aurait voulu « faire un bouillon et l'avaler ». On ne peut surtout y voir « la même étoffe que Pascal ». Évidemment, ces analyses exactes du coeur humain, sorte de sermons en dehors de la chaire, ce style châtié et par endroits légèrement précieux, ont dû paraître aux contemporains plus neufs qu'ils ne le semblent aujourd'hui, où nous avons grand peine à les lire sans ennui. 

De l'Unité de l'Église, ou Réfutation du nouveau système de Jurieu (Paris, 1687, Une seconde fois, Nicole, rentré en grâce à Paris, payait sa rançon aux frais du calvinisme. (Th. Ruyssen). 
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De la discussion

« Il est difficile de renfermer dans des règles et des préceptes particuliers toutes les diverses manières de contredire les opinions des autres sans les blesser. Ce sont les circonstances qui les font naître, et la crainte charitable de choquer nos frères qui nous les fait trouver. Mais il y a plusieurs défauts généraux qu'il faut avoir en vue d'éviter, et qui sont les sources ordinaires de ces mauvaises manières. Le premier est l'ascendant, c'est-à-dire une manière impérieuse de dire ses sentiments, que peu de gens peuvent souffrir, tant parce qu'elle représente l'image d'une âme fière et hautaine, dont on a naturellement de l'aversion, que parce qu'il semble que l'on veuille dominer sur les esprits et s'en rendre le maître...

C'est encore un fort grand défaut que de parler d'un air décisif, comme si ce qu'on dit ne pouvait être raisonnablement contesté; car l'on choque ceux à qui l'on parle de cet air, ou en leur faisant sentir qu'ils contestent une chose indubitable, ou en faisant paraître qu'on leur veut ôter la liberté de l'examiner et d'en juger par leur propre lumière, ce qui leur paraît une domination injuste. Ceux qui ont cet air affirmatif témoignent non seulement qu'ils ne doutent pas de ce qu'ils avancent, mais aussi qu'ils ne veulent pas qu'on en puisse douter. Or c'est trop exiger des autres et s'attribuer trop à soi-même. Chacun veut être juge de ses opinions et ne les recevoir que parce qu'il les approuve. Tout ce que ces personnes gagnent donc par là est que l'on s'applique encore plus qu'on ne ferait aux raisons de douter de ce qu'ils disent, parce que cette manière de parler excite un désir secret de les contredire et de prouver que ce qu'ils proposent avec tant d'assurance n'est pas certain ou ne l'est pas au point qu'ils se l'imaginent.

La chaleur que l'on témoigne pour ses opinions est un défaut différent de ceux que je viens de marquer, qui sont compatibles avec la froideur. Celui-ci fait croire que non seulement on est attaché à ses sentiments par persuasion, mais aussi par passion; ce qui fait une impression toute contraire à celle que l'on prétend. Car le seul soupçon qu'on a plutôt embrassé une opinion par passion que par lumière la rend suspecte.

C'est un défaut si visible que de s'emporter dans la dispute à des termes injurieux et méprisants qu'il n'est pas nécessaire d'en avertir; mais il est bon de remarquer qu'il y a de certaines rudesses et de certaines civilités qui tiennent du mépris, quoiqu'elles puissent venir d'un autre principe. C'est bien assez qu'on persuade à ceux que l'on contredit qu'ils ont tort et qu'ils se trompent, sans leur faire encore sentir, par des termes durs et humiliants, qu'on ne leur trouve pas la moindre étincelle de raison.

Enfin la sécheresse, qui ne consiste pas tant dans la dureté des termes que dans le défaut de certains adoucissements, choque aussi pour l'ordinaire, parce qu'elle enferme quelque sorte d'indifférence et de mépris; car elle laisse la plaie que la contradiction fait sans aucun remède qui en puisse diminuer la douleur. Or ce n'est pas avoir assez d'égards pour les hommes que de leur faire quelque peine sans la ressentir et sans essayer de l'adoucir, et c'est ce que la sécheresse ne fait point, parce qu'elle consiste proprement à ne le point faire et à dire durement les choses dures. On ménage ceux que l'on aime et que l'on estime, et ainsi on témoigne proprement à ceux que l'on ne ménage point qu'on n'a ni amitié ni estime pour eux. »
 

(P. Nicole, Essais de Morale).
François Nicole est un mathématicien né à Paris le 23 décembre 1683, mort à Paris le 18 janvier 1758. Destiné d'abord à l'état ecclésiastique, mais poussé par Montmort vers les mathématiques, il donna, en 1702, la solution d'un problème sur la rectification de la cissoïde (Journal des Savants, 1703) et présenta quatre ans plus tard à l'Académie des sciences un travail sur la théorie des roulettes, qui le fit admettre, la même année, comme mécanicien pensionnaire. 

Ses recherches portèrent ensuite sur le calcul des différences finies, qu'il enrichit de plusieurs applications nouvelles, sur la théorie des épicycloïdes sphériques, sur les lignes du troisième ordre. En 1727, il publia dans le Journal des Savants une Méthode pour découvrir l'erreur de toutes les prétendues solutions de la quadrature du cercle, et un Lyonnais, Mathulon, qui avait promis 3000 livres à qui lui démontrerait que sa propre solution était fausse, les lui paya immédiatement. 

Les mémoires de F. Nicole, au nombre de vingt-six, sont épars dans le recueil de l'Académie des sciences (1707-1747). Il n'a rien fait paraître à part. (L. S.).

Jules Nicole est un helléniste né à Genève le 20 novembre 1842. Il a pris sa licence ès lettres à Paris, a enseigné de 1872 à 1874 à l'École pratique des hautes études à Paris, puis occupe depuis 1874, la chaire de langue et littérature grecques à l'Université de Genève. Au nombre de ses ouvrages, citons : les Scolies genevoises de l'lliade (Paris et Genève, 1891, 2 volumes); le Livre du préfet (Genève, 1893, avec traduction française, Genève et Bâle, 1894); les Papyrus de Genève (Genève, 1896), etc.
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