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Dans sa signification la plus générale, le terme de nativisme désigne les théories philosophiques qui attribuent aux facultés propres de l'esprit, dans l'acquisition de la connaissance, un rôle prépondérant sur celui que joue l'expérience. Il s'applique à toutes les doctrines de l'innéité et s'oppose au terme d'empirisme, qui désigne les doctrines adverses. Mais, à côté de ce sens large, le terme de nativisme a une acception plus restreinte que l'usage a consacrée : on l'emploie pour désigner en particulier les théories de l'innéité appliquées à la question de la perception de l'espace. Envisagées à ce point de vue, les théories nativistes soutiennent que les représentations d'étendue sont des données premières de la conscience, qu'elles sont innées. La doctrine de l'innéité n'a pas toujours été présentée sous la même forme dans l'histoire de la pensée philosophique. Bien qu'animée du même esprit général, elle a néanmoins subi des variations considérables qui correspondaient aux exigences nouvelles de la pensée critique et qui peuvent être considérées comme des progrès. Dans l'Antiquité, elle apparu comme une doctrine de l'objectivité pure : les idées sont considérées par Platon comme des réalités; l'esprit se retrouve dans les choses parce qu'il retrouve en elles les idées qu'il a contemplées, dans une existence antérieure, à leur état de pureté (théorie de la réminiscence). Avec les temps modernes, le point de vue de l'objectivité disparaît. On ne se représente plus l'idée comme quelque chose d'extérieur à l'esprit; déjà, pour Descartes, la réalité des idées se mesure à la clarté de la conception. Mais l'union de l'esprit, et des choses ne se conçoit pas encore par elle-même : c'est Dieu qui établit entre eux une correspondance. Avec Kant, le point de vue de la subjectivité s'affirme nettement, et l'union de l'esprit et du monde apparaît comme une nécessité rationnelle. L'esprit impose au monde ses formes pures, et l'union de l'intelligence et de l'expérience sensible n'est autre chose que la condition même de toute perception. Si diverses qu'elles soient dans leur forme, ces doctrines de l'innéité s'accordent toutes sur un point essentiel. Sans rejeter l'expérience, elles la croient incapable d'expliquer la connaissance. C'est précisément ce point que contestent les empiristes. Quelques tendances générales se dégagent du détail de leurs objections : les doctrines de l'innéité, disent-ils, affirment et ne prouvent rien. Dire qu'une idée ou qu'un principe sont innés, c'est éviter d'en rechercher la nature et d'en expliquer l'origine. De toute façon, elles encourent le reproche d'arbitraire qu'on peut adresser à toute philosophie, et à toute méthode aprioristes, arbitraire qu'on aura chance d'éviter si l'on recourt à l'expérience et qu'on y cherche le critérium objectif de toute vérité. Cette critique générale renferme une part de vérité et une part d'erreur. Elle porte juste, si l'on considère les solutions des théories nativistes comme des solutions toutes faites. Rien ne serait aussi dangereux pour le progrès de la pensée philosophique que de résoudre des problèmes par des affirmations et d'opposer des fins de non-recevoir à l'expérience; ce serait condamner la philosophie à des constructions artificielles, sans fondement dans la réalité. Mais les théories de l'innéité ne sont pas nécessairement arbitraires; elles l'ont peut-être été, le plus souvent, en fait ; mais les variations qu'elles ont subies et les progrès qu'elles ont réalisés montrent qu'elles peuvent ne pas l'être. Avec le progrès de la pensée critique, leur tâche et leur domaine propre semblent se préciser davantage; elles seules paraissent fondées à déterminer d'une façon de plus en plus nette la nature, le rôle, la portée et aussi les limites des nécessités proprement rationnelles. De leur côté, les philosophes empiristes ont rendu de grands services à la philosophie en déterminant, par une observation aussi exacte que possible du réel, les conditions et les circonstances au milieu desquelles s'exerce l'activité de l'esprit. Ils ont rappelé la philosophie au sens de la vie concrète. Mais, à leur tour, ils s'efforceraient en vain de substituer des questions d'origine ou de genèse à des questions de nature. Montrer dans quelles conditions l'intelligence se développe et s'exerce n'entraîne pas, comme corollaire, la nécessité de la faire sortir tout entière de l'expérience. Leibniz n'a-t-il pas expliqué comment des idées peuvent être à la fois innées et inconscientes, c.-à-d. être antérieures à l'expérience et avoir cependant besoin de l'expérience pour se révéler? Cette tentative de conciliation devrait suffire pour montrer que les théories nativisles et empiristes, loin de s'opposer, peuvent se prêter un mutuel appui, à condition de définir chacune leur tâche et d'abandonner aussi chacune une partie de leurs prétentions. Pour prendre un exemple, la théorie associationniste échoue lorsqu'elle vent faire sortir le principe de causalité d'associations particulières et d'habitudes mentales ; elle n'explique ainsi ni la nécessité ni l'universalité du principe. Mais, de son côté, les théories nativistes, si elles s'en tiennent à la pure affirmation des caractères essentiels qui conviennent à ce principe, sont impuissantes à expliquer comment il prend naissance et se développe dans la pensée humaine appliquée à l'expérience. On peut concilier les deux théories si l'on reconnaît à l'une une valeur plus proprement pratique, à l'autre une valeur plus proprement rationnelle. Ces considérations générales éclaircirent peut-être la question compliquer du nativisme considéré dans soir application à la perception de l'espace. Parmi les théories nativistes qui considèrent ce point particulier, on distingue deux groupes principaux, qui, semblables par la thèse qu'ils soutiennent, diffèrent néanmoins par leur point de vue. D'un côté, les théories nativistes logiques, qui reposent sur un système général de la connaissance : telles les théories de Descartes, Leibniz et Kant. D'autre part, les théories psycho-physiologiques, comme celles de Müller et de Stumpf, qui considèrent le processus de la localisation comme originel et antérieur à l'expérience, mais le font dépendre de la structure de l'organisme. Cette distinction n'a pas seulement la valeur d'une classification. Elle met en garde contre une confusion qu'on serait tenté de faire entre nativisme et idéalisme d'un côté, et, de l'autre, par opposition, outre empirisme et matérialisme. Le nativisme peut être soit idéaliste, soit matérialiste : dans le premier cas, l'idée d'espace est considérée commue innée à la conscience ; dans le second, l'innéité de l'espace est rapportée à la seule constitution anatomique des organes. La théorie de la perception, que Kant a exposée dans l'esthétique transcendantale, est considérée comme l'expression la plus complète et la plus parfaite de la théorie nativiste. Dans les philosophies antérieures à la philosophie kantienne, la question de la perception de l'espace ne se pose pas d'une manière très précise ; il s'agit, en effet, de définir bien plus la nature de l'espace que la façon dont nous le percevons. Pour Descartes, l'innéité de la notion d'espace s'impose en vertu de la clarté et de la distinction de cette idée. Leibniz, par la distinction qu'il fait entre l'étendue et l'espace, modifie déjà profondément la doctrine de l'innéité et fait une place plus grande à le question de la perception. En effet, d'après lui, l'espace n'est pas une, réalité, mais une abstraction. Ce que nous percevons directement, c'est l'étendue concrète et limitée; nous en dérivons ensuite par abstraction l'idée d'espace vide et illimité, l'étendue étant l'ordre des coexistences réelles et l'espace l'ordre des coexistences possibles. Pour Kant enfin, la question de la réalité de l'espace ne se pose plus ; elle se résout dans celle de la perception. L'espace n'est, en effet, qu'une forme pure et à priori de la sensibilité ; en d'autres termes, notre sensibilité on faculté de percevoir est ainsi faite qu'elle ne peut recevoir les matériaux de la connaissance sans les mouler dans cette forme qui est en elle et en elle seulement, l'espace. Contre ces théories qui soutiennent l'innéité de la notion d'espace se sont élevées les objections des empiristes anglais et allemands. Elles ont, dans l'un et l'autre pays, un caractère usez distinct et doivent être examinées séparément. En Angleterre, les objections ne sont pas parties originairement de l'empirisme, puisqu'on trouve dans Berkeley une théorie de l'acquisition de la notion d'espace. Mais elles ont été surtout formulées par Bain, Stuart Mill et Herbert Spencer. L'effort de ces philosophes a été, en général, de montrer que la notion d'espace exigeait, pour être perçue, le concours de l'activité musculaire et motrice et qu'elle ne pouvait, par conséquent, être acquise que par l'expérience. L'espace, en tant qu'état de conscience, n'aurait pas d'autre origine ni d'autre sens qu'une association de sensations musculaires avec des sensations tactiles ou visuelles. La réversibilité de nos sensations, soit tactiles, soit musculaires, suffit pour expliquer la simultanéité et le caractère extensif de nos sensations d'espace. Aussi le sens du toucher est-il, d'après ces théories, plus important à considérer que le sens de la vue pour expliquer la perception de l'espace : la vue seule ne nous donne que des sensations de couleur, tout au plus de surface ; c'est au toucher que nous devons la notion de distance et de profondeur. Mais l'habitude que nous avons d'associer continuellement entre elles des sensations visuelles et des sensations tactiles finit par voiler à nos yeux l'objet propre de chacune d'elles : c'est là ce qui explique, dit Stuart Mill, "la difficulté que nous avons à croire que l'étendue tire, la signification qu'elle a pour nous d'un phénomène non de synchronisme, mais de succession". Les sensations visuelles, grâce à la richesse et à l'extrême sensibilité de l'organe de la vue, sont beaucoup plus synthétiques que les impressions tactiles ; aussi finissent-elles par les supplanter et par nous faire oublier la part qui revient à ces dernières dans la perception de l'espace. Le débat entre nativistes et empiristes, en Allemagne, est d'espèce plus compliquée. D'abord il a pris, chez les nativistes eux-mêmes, une tournure physiologique : ensuite, il est parfois délicat, dans la confusion des doctrines, de distinguer dans quelle mesure certaines d'entre elles sont nativistes et dans quelle mesure elles ne le sont pas. On oppose en général à ces théories, sous le nom de théories empiristes, les théories de Lotze, Helmholtz et Wundt. Cependant, il faut remarquer que Lotze admet l'innéité de la notion d'espace, en ce sens qu'il admet que l'âme possède en elle-même une faculté de percevoir les sensations sous la forme d'espace; son intention est simplement d'expliquer, par l'expérience, la genèse de cette intuition. Sa théorie est connue sous le nom de théorie des signes locaux. Les signes locaux doivent leur origine à ce fait que deux points de la peau et de la rétine, à la fois par leur structure propre et par leur relation avec des éléments voisins, diffèrent outre eux et modifient le mouvement qui leur est imprimé par la même excitation. Grâce aux caractères distincts des sensations qui en résultent, l'âme assigne à chaque sensation sa position déterminée par rapport à l'objet qui en est la cause. Pour Helmholtz, toute impression sur une partie déterminée de la rétine produit, à l'aide des signes locaux et des mouvements musculaires, une modification déterminée du sensorium. Enfin Wundt tente une conciliation des théories nativistes et des théories empiristes en montrant que la notion extensive procède de la combinaison du mouvement des organes des sens avec les sensations proprement dites, soit, par exemple, des mouvements de l'ail avec les sensations de la rétine. «La notion extensive, dit-il, est une fonction qui procède de la synthèse par association du mouvement et des signes locaux. Lorsque les sensations du mouvement, qui forment un continu d'une seule dimension, se fondent par association avec le continu à deux dimensions, mais de même espèce, des signes locaux, elles engendrent une continuité de même espèce à deux dimensions, c'est-à-dire une superficie.» La diversité des solutions proposées par ces divers philosophes, solutions qui laissent encore pendante la question de la perception de l'espace, en font suffisamment ressortir la difficulté. Peut-être cependant les oppositions qui existent entre les différentes doctrines énumérées ne sont-elles pas irréductibles, si chacune d'elles s'en tient à un ordre de recherches nettement défini et n'émet pas la prétention de se donner pour des solutions totales. Il est impossible de songer ici à entreprendre une discussion détaillée de chacune de ces théories ; il suffit de montrer, dans leurs grandes lignes, leurs oppositions principales et de chercher dans qu'elle mesure on peut les concilier. L'opposition la plus générale entre les théories nativistes et les théories empiristes (nous mettons à part l'école des nativistes physiologistes allemands) vient de ce que les premières, comme il a été dit au début de cet article, s'occupent surtout des questions de nature; et les secondes des questions d'origine, de genèse. Les théories nativistes font ressortir la nécessité d'admettre l'existence de principes rationnels, d'idées irréductibles à l'expérience qui permettent de comprendre l'espace avec ses attributs essentiels, infinité, homogénéité des parties, unité du tout, qui apparaissent comme les conditions fondamentales de la science. Si la notion de l'espace est une notion à priori, c'est que seul l'esprit est doué de l'activité synthétique nécessaire pour réduire à l'unité la multiplicité donnée dans l'expérience, et c'est là ce qui semble avoir été définitivement établi par Kant. Mais, d'autre part, la perception de l'espace est un fait concret et doit être expliqué comme tel, et ici les écoles empiristes anglaises et allemandes ont rendu de grands services à la philosophie et à la science, moins peut-être par les résultats auxquels elles sont arrivées que par les directions de recherches qu'elles ont indiquées. Elles ont en le mérite de montrer le rôle capital que jouait le mouvement, sous ses diverses formes, dans l'acquisition de la notion d'espace et dans la localisation des objets dans l'étendue. Leur tort a eté d'exagérer l'importance de cette découverte jusqu'à la croire capable d'expliquer le fait total de la perception. Une conséquence directe de cette exagération a été de conduire certains auteurs de ces théories à des considérations psychologiques fausses qu'ils ont appuyées de confiance sur des hypothèses scientifiques discutables, qui semblaient propres à les confirmer et dont, en réalité, elles n'avaient peut-être pas besoin. C'est ainsi que les associationnistes anglais se sont appuyés sur l'exemple d'aveugles-nés opérés de la cataracte pour démontrer que le sens de la vue ne pouvait pas nous donner, à lui seul, le sentiment de l'étendue. Comme l'a dit ingénieusement Herbert Spencer, «les perceptions visuelles, en devenant, les symboles des impressions tactiles et visuelles, jouent un rôle analogue à celui des formules de l'algèbre elles abrègent et simplifient». Peut-être y a-t-il lieu d'utiliser de la même façon les théories des empiristes allemands, comme celle de Wundt, par exemple. Sans doute, on lui a reproché avec raison de faire sortir la notion d'espace de l'union de deux éléments qui ne la comprennent ni l'un ni l'autre : la perception de sensations extensives est une perception d'un caractère distinct, original, et jamais on ne pourra la dériver, sinon en faisant appel au miracle, d'une synthèse d'impressions visuelles et d'impressions motrices. Mais, si l'on admet, au-dessus et avant cette synthèse, un pouvoir général de synthèse propre à l'esprit, qui rende possible àpriorntoute détermination et toute union de sensations diverses dans l'expérience, rien n'empèche d'accepter la théorie de Wundt comme une théorie capable d'expliquer le processus physiologique au moyen duquel cette activité synthétique s'applique à la multiplicité qui lui est donnée dans la réalité sensible. (Da Costa, 1900).
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