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Nāgārjuna

Nāgārjuna est un philosophe indien, l'un des principaux représentants de la tradition bouddhiste, et  généralement considéré comme le fondateur de l'école Mādhyamaka ( = voie du milieu) du bouddhisme mahāyāna. Il a vécu approximativement entre le IIe et le IIIe siècle de notre ère. Sa rigueur philosophique et ses contributions dialectiques ont établi des fondations durables pour les débats et les pratiques bouddhistes, tout en offrant des perspectives profondes sur la nature de la réalité et de l'expérience humaine.

La philosophie de Nāgārjuna a eu une profonde influence sur le développement du bouddhisme mahāyāna en Asie, notamment au Tibet, en Chine, au Japon et en Corée. Ses idées ont été intégrées et développées par de nombreux penseurs bouddhistes ultérieurs, tels que les maîtres tibétains comme Tsongkhapa, qui considèrent ses enseignements sur la vacuité sont fondamentaux, et les philosophes chan chinois et zen japonais, notamment son approche de la méditation et de l'expérience directe de la vacuité.

Les détails précis de la vie de Nāgārjuna sont entourés de légendes et de traditions variées. Selon les récits traditionnels, il serait né dans une famille brahmane en Inde du Sud et aurait reçu une éducation extensive dans les enseignements brahmaniques avant de se convertir au bouddhisme. Il est parfois associé à l'université bouddhiste de Nālandā, mais les arguments historiques en faveur de cette association ne sont pas décisifs. Il est l'auteur de plusieurs textes philosophiques clés, dont les plus importants sont:

• Le Mūlamadhyamakakārikā ( = Stances fondamentales de la voie du milieu) est son oeuvre maîtresse. Il y développe de manière systématique la doctrine de la vacuité (śūnyatā), en utilisant des arguments dialectiques pour démontrer que toutes les choses sont vides d'existence intrinsèque.

• Le Vigrahavyāvartanī ( = Rejet des objections) répond aux critiques de la doctrine de la vacuité proposée par Nāgārjuna. Il y clarifie et défend ses positions contre diverses objections.

 • Le Ratnāvalī ( = La guirlande précieuse) offre des conseils éthiques et philosophiques, souvent présenté sous forme de vers.

Le Mūlamadhyamakakārikā.
Le Mūlamadhyamakakārikā, ou Stances fondamentales de la voie du milieu,  est une oeuvre philosophique monumentale dans laquelle Nāgārjuna analyse la nature de la réalité à travers la doctrine de la vacuité (śūnyatā). En utilisant des arguments dialectiques pour démontrer la vacuité de tous les phénomènes, Nāgārjuna propose une compréhension radicale de la réalité qui a des implications profondes pour la philosophie et la pratique spirituelle.

Contenu de l'ouvrage.
Le Mūlamadhyamakakārikā est  composé de 27 chapitres en vers. Résumé des chapitres les plus importants :

Introduction :

• 1. Examen des conditions. - Nāgārjuna examine la nature conditionnée des phénomènes. Il démontre que rien n'existe par soi-même, mais seulement en relation avec d'autres choses.

 • 2. Examen de la marche. - Il analyse le mouvement et démontre que ni le marcheur ni la marche n'existent de manière indépendante.

Analyse des phénomènes :
• 3. Examen des sens. - Ce chapitre traite des relations entre les sens, les objets des sens et la conscience sensorielle.

• 4. Examen des agrégats. - Nāgārjuna déconstruit les cinq agrégats (formant l'individualité) pour montrer qu'ils n'ont pas de nature intrinsèque.

Critique des conceptions philosophiques :
• 7. Examen de la naissance, de la durée et de la destruction. - Il analyse les concepts de naissance, de durée et de destruction, et conclut qu'ils ne possèdent pas de réalité inhérente.

 • 15. Examen de l'essence propre (svabhāva). - Nāgārjuna rejette l'idée que les choses possèdent une essence propre ou une nature intrinsèque.

Application aux doctrines bouddhistes :
  • 18. Examen du soi. - Il applique ses principes à la notion du soi, démontrant l'absence de soi inhérent, en accord avec la doctrine bouddhiste de l'anatta (non-soi).

 • 24 : Examen des nobles vérités. - Dans ce chapitre, Nāgārjuna répond à la critique selon laquelle la doctrine de la vacuité détruirait les fondements du bouddhisme, à commencer par les Quatre nobles vérités. Il examine donc les Quatre nobles vérités à la lumière de la vacuité, montrant que la compréhension correcte des vérités bouddhistes repose sur la reconnaissance de la vacuité de toutes les choses.  Il argumente que, au contraire, une compréhension correcte de la vacuité est essentielle pour saisir pleinement ces vérités et progresser sur le chemin de l'illumination.

Conclusion :
• 25 : Examen du nirvana. -  Il conclut que le nirvana lui-même est vide de nature propre, tout comme le samsara, et que la compréhension de cette vacuité est essentielle pour atteindre l'illumination.
Analyse du Mūlamadhyamakakārikā.
La doctrine centrale de Nāgārjuna est la vacuité (śūnyatā), qu'il définit comme l'absence d'existence intrinsèque de tous les phénomènes.  Il soutient que toutes les choses, aussi bien les concepts et que les phénomènes, sont vides d'existence intrinsèque et indépendante. Cette vacuité n'implique pas que les choses n'existent pas du tout (nihilisme), mais qu'elles n'existent pas de manière autonome ou permanente : elles existent de manière interdépendante et conditionnée. Cette vision défie les conceptions substantielles et intrinsèques de la réalité.

Une grande partie des écrits de Nāgārjuna est dédiée à la méthode dialectique. Il utilise une méthode dialectique sophistiquée appelée prasaṅga (réduction à l'absurde) pour démontrer les incohérences et les contradictions dans les vues philosophiques de ses adversaires. En déconstruisant ces positions, il montre que les concepts conventionnels ne peuvent pas saisir la nature ultime de la réalité. 

Le concept de la voie du milieu (mādhyamaka) est essentiel à la philosophie de Nāgārjuna. Il propose une voie qui évite les extrêmes du nihilisme ( = l'idée que rien n'existe) et de l'éternalisme (= l'idée que les choses existent de manière indépendante et permanente). En reconnaissant la vacuité, on réalise que les phénomènes existent de manière dépendante, ni totalement inexistants, ni éternellement réels.
Implications pour la pratique bouddhiste. 

L'oeuvre de Nāgārjuna a ainsi des implications profondes pour la pratique bouddhiste. En comprenant la vacuité, les pratiquants peuvent se libérer des attachements et des aversions qui naissent de la croyance en une réalité fixe et indépendante. Cela mène à une plus grande sagesse (prajñā) et compassion (karuṇā), et facilite le chemin vers l'illumination.

Le Vigrahavyāvartanī.
Le Vigrahavyāvartanī est un texte fondamental pour comprendre la défense de la doctrine de la vacuité de Nāgārjuna. Par sa méthode dialectique et sa distinction entre les niveaux de vérité, le philosophe montre que la vacuité est une compréhension profonde de la réalité qui transcende les vues dualistes et permet de vivre de manière plus libre et éveillée. Cette œuvre continue d'être une source d'inspiration et de débat dans la tradition bouddhiste et au-delà.

Contenu de l'ouvrage.
Composée en vers et accompagnée de commentaires en prose, cette œuvre se concentre principalement sur la défense de la doctrine de la vacuité (śūnyatā) et l'usage de la dialectique contre les arguments substantiels.

Nāgārjuna commence par exposer l'objectif de son traité : répondre aux objections soulevées contre ses enseignements sur la vacuité et clarifier les malentendus. Il discute la notion de nature propre ou essence intrinsèque (svabhāva) et utilise des arguments logiques pour démontrer que la croyance en une substance permanente mène à des contradictions et des erreurs philosophiques.

Nāgārjuna répond point par point aux critiques de ses adversaires, notamment sur la validité de la perception, de l'inférence et de la connaissance conventionnelle. Ici encore, il utilise des arguments dialectiques pour démontrer que les objections contre la vacuité reposent sur des malentendus de la nature de la réalité.

Il fait une distinction claire entre la réalité conventionnelle (saṃvṛti-satya) et la réalité ultime (paramārtha-satya) et affirme que la compréhension de la vacuité permet de naviguer entre ces deux niveaux de vérité sans contradiction.

Nāgārjuna justifie l'emploi de la méthode dialectique (prasaṅga) pour exposer les contradictions inhérentes aux vues substantielles. Il montre que cette méthode est un outil efficace pour démontrer la vacuité.

Il conclut en réaffirmant que la reconnaissance de la vacuité ne mène pas au nihilisme, mais à une compréhension profonde de la réalité qui transcende les vues dualistes.

Analyse de Vigrahavyāvartanī.
Le Vigrahavyāvartanī est avant tout une défense robuste de la doctrine de la vacuité. Nāgārjuna montre que les objections à la vacuité sont fondées sur une mauvaise compréhension de cette notion. La vacuité n'implique pas l'inexistence totale, mais l'absence de nature intrinsèque indépendante. L'une des contributions majeures de ce texte est la clarification des deux niveaux de réalité :

• La réalité conventionnelle (saṃvṛti-satya) est le niveau où les phénomènes apparaissent et fonctionnent de manière intersubjective et pratique.

• La réalité ultime (paramārtha-satya) est le niveau de vérité où tous les phénomènes sont vides d'existence intrinsèque.

Cette distinction permet à Nāgārjuna de montrer que la vacuité ne contredit pas l'expérience quotidienne et la fonctionnalité des phénomènes dans le monde conventionnel.

Nāgārjuna utilise la méthode dialectique pour réfuter les vues opposées, en montrant les incohérences et les contradictions de toute position qui affirme une essence intrinsèque. Cette méthode n'est pas destinée à établir une nouvelle doctrine substantielle, mais à démontrer l'impossibilité de toute affirmation substantielle sur la réalité ultime.

Le philosophe engage également une critique de l'épistémologie traditionnelle, remettant en question la validité absolue de la perception et de l'inférence comme moyens de connaissance. Il argumente que ces moyens de connaissance sont eux-mêmes conditionnés et interdépendants, et donc ne peuvent pas fournir une connaissance ultime indépendante de la vacuité.

Le Ratnāvalī.
Le Ratnāvalī, ou La guirlande précieuse, est une œuvre didactique de Nāgārjuna adressée à un roi (probablement un mécène ou un dirigeant de l'époque) pour lui donner des conseils éthiques, politiques et philosophiques. Il s'agit d'une oeuvre accessible et pratique qui traduit les enseignements philosophiques de Nāgārjuna en conseils concrets pour la vie quotidienne et la gouvernance. En combinant éthique, politique, et spiritualité, Nāgārjuna propose un guide complet pour mener une vie vertueuse et éclairée, tant pour les individus que pour les dirigeants. 

Contenu de l'ouvrage.
Le texte est structuré en cinq chapitres et est composé de vers qui touchent à divers aspects de la vie morale et spirituelle.

• 1. Les actes et leurs résultats. -  Nāgārjuna explique la loi du karma, où les actions, bonnes ou mauvaises, mènent à des résultats correspondants. Il souligne l'importance de l'intention et de l'action éthique. Il encourage à éviter les dix actes non vertueux et à pratiquer les dix actes vertueux, incluant la non-violence, la générosité, et la vérité.

• 2. L'enseignement du Bouddha. - Il conseille de prendre refuge dans les Trois joyaux : le Bouddha, le Dharma (les enseignements) et le Sangha (la communauté). Nāgārjuna réitère l'importance des Quatre nobles vérités pour comprendre la souffrance et son extinction.

• 3. La pratique des vertus. -  Il discute les six perfections (paramitas) : générosité, moralité, patience, effort, méditation et sagesse, qui sont essentielles pour progresser sur le chemin spirituel. Nāgārjuna met en avant la nécessité de développer la compassion (karuṇā) et la sagesse (prajñā) pour atteindre l'éveil.

• 4. Le chemin du Bodhisattva. - Il décrit la voie du Bodhisattva, un être qui aspire à atteindre l'illumination pour le bien de tous les êtres sensibles. L'accent est mis par l'auteur sur l'altruisme et le service aux autres comme moyen d'avancer sur le chemin spirituel.

• 5. - Conseils politiques et royaux. - Nāgārjuna donne des conseils sur la gouvernance, insistant sur la justice, la générosité et la protection des sujets. Il recommande aux dirigeants d'agir de manière éthique et responsable, en suivant les principes du Dharma pour assurer le bien-être et la prospérité de leur royaume.

Analyse du Ratnāvalī. 
Le Ratnāvalī est notable pour son application des principes bouddhistes à la vie éthique et à la gouvernance. Nāgārjuna souligne que le bien-être d'un royaume dépend de la moralité et de la sagesse de son dirigeant. En promouvant la justice, la compassion et la générosité, un roi peut non seulement créer un environnement stable et prospère, mais aussi favoriser la pratique spirituelle de ses sujets.

Nāgārjuna met un fort accent sur le karma et les résultats des actions. Cette perspective encourage la responsabilité individuelle et collective, en montrant que les actions présentes influencent les expériences futures. Cela incite les individus et les dirigeants à adopter des comportements vertueux pour le bénéfice à long terme.

Les six perfections sont essentielles dans l'enseignement de Nāgārjuna, car elles représentent les qualités à cultiver pour atteindre l'illumination. Ces perfections combinent des aspects éthiques (générosité, moralité), psychologiques (patience, effort), et méditatifs (méditation, sagesse) et fournissent un cadre complet pour le développement spirituel.

Le chemin du Bodhisattva est central dans le Ratnāvalī. Il met en avant l'idéal de travailler pour le bien de tous les êtres. Cet altruisme radical contraste avec une quête d'illumination égoïste et met en avant l'interdépendance de tous les êtres. Cela encourage la pratique de la compassion et de l'engagement social.

Bien que moins explicitement abordées que dans d'autres œuvres de Nāgārjuna, les deux vérités (conventionnelle et ultime) sous-tendent ses conseils. Les pratiques éthiques et les perfections appartiennent au domaine conventionnel, tandis que la sagesse de la vacuité représente la compréhension ultime. Ensemble, elles permettent une vie équilibrée entre le monde phénoménal et la réalité ultime.

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Dictionnaire biographique
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