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Le Motazilisme
est une doctrine scolastique musulmane qui
prit naissance dès le commencement du IIe
siècle de l'hégire et qui exerça pendant deux siècles
une influence prépondérante sur les écoles théologiques
arabes (Les
Mo'tazélistes). Fondée par Wâsil ibn Ata, elle
poursuivit l'explication rationnelle des dogmes fondamentaux de l'Islam
et, par sa méthode autant que par ses
aspirations, fut en opposition constante avec l'orthodoxie supposée
est définie par la doctrine sunnite.
Durant le Ier siècle de l'hégire,
la foi musulmane, attachée à la lettre du Coran,
ne semblait pas avoir dévié de la voie que lui avait tracée
le Prophète. Mais lorsque l'Islam se
répandit à travers l'Irak et la Mésopotamie, il trouva
un terrain tout préparé, par les influences chaldéennes
et mazdéennes, aux discussions théologiques
et aux luttes religieuses. La controverse se fixa bientôt aux trois
points principaux : la notion de Dieu, la prédestination et le libre
arbitre. C'est à Bassorah,
au sein de la première école de dialectique, fondée
par Hassan el-Basri, que se produisit ouvertement la rupture de la théologie
nouvelle avec la vieille orthodoxie. Wâsil ibn 'Ata (699-748), Persan
d'origine, élève de Hassan el-Basrî, s'aperçut
des nombreuses contradictions qui résultaient de l'interprétation
littérale du Coran et, ayant imaginé un état
mixte, place intermédiaire entre le paradis
et l'enfer, pour le croyant autour d'un péché
mortel, se sépara de l'école de son maître, d'où
le nom de séparatistes (mu'tazila) donné par les contemporains
aux nouveaux théologiens. On a donné d'autres explications
du nom de motazilite, mais celle-ci est généralement adoptée.
Les disciples de Wâsil étaient aussi appelés mu'attili
à cause de leur insistance à dépouiller Dieu de ses
attributs ; mais ils protestaient contre l'appellation
de qadarites (partisans du libre arbitre) que leur donnaient leurs
adversaires. On ne possède aucune notice complète sur les
différents systèmes motazilites; Wâsil ibn 'Ata a écrit
beaucoup de traités dont les titres même ne sont pas parvenus
jusqu'à nous. Mais les historiens arabes, et en particulier Shahrastâni,
ont exposé les principaux points de doctrine.
Wâsil veut avant tout éviter
la distinction de personnes établie, selon le Coran,
par les chrétiens, dans le dogme
de la Trinité. Aussi rejette-t-il tous
les attributs éternels de Dieu,
excepté l'Eternité, qui est l'attribut
propre, formel et exclusif de son Essence. Affirmer les attributs, c'est
décomposer la Divinité et faire oeuvre de polythéisme
: le dogme de l'unité
de Dieu
est incompatible avec une telle opinion. Quant
à la prédestination, Wâsil la rejette en ce qu'elle
a d'absolu. Dieu n'est pas l'auteur du mal, mais seulement du bien; l'humain
est un agent libre qui peut choisir entre le bien et le mal, excepté
pour ce qui lui arrive fortuitement. Ce dogme permet aux motazilites
de se regarder comme les défenseurs de l'unité et de la justice
de Dieu. Au sujet d'une question qui avait été posée
dans l'école de Bassorah, il affirme qu'un adepte de la vraie religion,
coupable d'un péché grave et mourant sans repentir, sera
damné éternellement; cependant son châtiment sera moins
terrible que celui de l'infidèle : un lieu lui est réservé
entre le séjour des pieux et celui des incrédules. Enfin,
répondant à une préoccupation des bons musulmans de
l'époque, qui éprouvaient une certaine inquiétude
à voir les destinées de l'Islam entre les mains des usurpateurs
omeyyades et s'effrayaient du scandale causé par la mort d'Othmân,
il donne tort à la fois aux gens du chameau et aux gens de Siffin
(partisans d'Aicha et partisans d'Ali), et méprise les premiers
Omeyyades comme des gens pour qui la religion n'était qu'un moyen
pour atteindre leurs vues ambitieuses.
Tels sont les principes
posés par Wâsil ibn 'Ata et développés par ses
disciples. C'est là seulement que se borna l'enseignement des docteurs
motazilites pendant toute la période
omeyvade. Plus tard, la doctrine fut remaniée
et les motazilites se subdivisèrent en un grand nombre de sectes.
Mais les dogmes établis par Wâsil subsistent intégralement
et l'on voit surgir des idées nouvelles empruntées aux philosophes
grecs et en particulier à Aristote. Il
est assez difficile d'établir avec, précision à quelle
époque la philosophie aristotélicienne
fit son apparition dans les universités arabes et par quelles voies
elle fut introduite; mais nous savons qu'Al-Mançour, deuxième
calife abbasside, fit traduire en arabe un
grand nombre d'ouvrages grecs et cet événement peut nous
expliquer la révolution qui s'opéra alors dans le motazilisme.
Les nouvelles doctrines exposées par les historiens arabes, après
les derniers remaniements, reposent sur quatre points :
1° Dieu
est éternel; l'Eternité est la
propriété exclusive de sa Nature,
mais non les autres attributs en tant que distincts
de sa Nature. Il est omniscient, vivant, tout puissant quant à sa
Nature, et non par l'intermédiaire d'aucune connaissance,
d'aucune vie, d'aucun pouvoir existant en lui comme attributs éternels.
La connaissance, la puissance et la vie sont en effet des parties de son
Essence, et il est nécessaire qu'il en
soit ainsi, car la simple supposition d'attributs donnerait naissance à
une multiplicité d'entités éternelles. La connaissance
de Dieu est du ressort de la raison : il est invisible
par la vue corporelle. La justice doit être le principe animant des
actions humaines : elle est le résultat de l'accord de la conduite
de l'humain avec les préceptes de la raison.
2° Le mot de Dieu a été
créé in subjecto selon l'expression des scolastiques;
il se compose de lettres auxquelles on a donné un son; on en a écrit
des copies dans les livres pour imiter l'original. D'ailleurs, tout ce
qui a été créé in subjecto est accidentel
et périssable.
3° Il n'y a aucune loi éternelle
relativement aux actions humaines : les règles divines qui en dirigent
l'exercice ne sont que les résultantes du développement et
de la progression graduelle d'une loi par laquelle
Dieu a commandé et défendu, promis et menacé. Les
changements et les évolutions des corps proviennent d'une force
innée dans la matière. Toute connaissance
doit nécessairement être acquise par l'intermédiaire
de la raison. La distinction du bien et du mal
est également du ressort de la raison, qui nous montre comme obligatoire
la gratitude pour les bienfaits du Créateur, antérieurement
à la promulgation d'aucune loi à ce sujet. L'humain est donc
bien l'auteur de ses actions : il a une liberté entière et
doit être récompensé ou puni suivant ses actions.
4° Le dogme de l'Unité oblige
à avouer que le Coran
a été créé; il ne peut donc pas être
considéré comme participant à l'essence divine. Il
serait possible même, d'après certains docteurs, d'écrire
un livre aussi bon et, peut-être meilleur que le Coran. Enfin
les motazilites n'admettent aucune conception
corporelle de la divinité et nient les miracles.
Certaines sectes se sont tellement écartées
des dogmes fondamentaux, qu'elles ont abouti des conceptions
pour ainsi dire à l'opposé de leur point de départ,
comme la croyance à la métempsycose,
exposée dans le système de Nazzam. Mais, dépouillée
de ces exagérations, la nouvelle doctrine nous apparaît comme
rationaliste. Elle a tiré d'Aristote
le dogme de la raison. Toutes les vérités
nécessaires pour le salut sont acquises par les seules lumières
de la raison. Se basant sur ce principe qu'elle
a formulé d'abord, elle combat l'anthropomorphisme
et le fatalisme, et, par ses idées
sur le bien et sur le mérite personnel, elle poursuit une réforme
intellectuelle et morale, peut-être sociale et politique. (G.
Salmon). |
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