| Antoine. de Mauchrestien, dit Monchrétien (ou Montchrestien), est un littérateur et économiste, né à Falaise vers 1576, tué au bourg des Tourailles, près de Falaise, le 8 octobre 1624. Son père était apothicaire et s'appelait Mauchrestien. Dans les actes conservés aux archives de Rouen, Montchrestien prend le titre d'écuyer et de sieur de Vasteville et signe « Monchrestien ». Il entra au collège de Caen, et, dès sa sortie, âgé de vingt ans, publia une Sophonisbe, tragédie en cinq actes. De 1596 à 1601 il composa successivement quatre nouvelles tragédies : l'Ecossaise, les Lacènes, David, Aman, et refit Sophonisbe qu'il publia sous un nouveau titre : la Carthaginoise. En 1604 il publia Hector. Le style des tragédies de Montchrestien est plus uniforme, mais aussi plus égal et plus souple que celui des tragédies de Garnier. Il travailla simultanément à une Histoire de Normandie qui ne fut pas imprimée et est aujourd'hui perdue. Un duel avec le frère du sieur de Grichy-Moynes, près Bayeux, l'obligea à prendre la fuite et à se réfugier en Angleterre. II en revint économiste, car il y étudia le mouvement du commerce et de l'industrie. Il compléta ses observations sur l'Angleterre par un voyage en Hollande. Il rentra en France vers la fin du règne de Henri IV, et y épousa «-clandestinement » une veuve, « dame riche appartenant à une des bonnes familles de Normandie ». Il fonda à Aussonne-sur-Loire une aciérie et établit un dépôt à Paris, rue de la Harpe. Son Traité d'économie politique, où, le premier, il baptisa cette science du nom qu'elle porte aujourd'hui, parut en 1615. C'est dans un mouvement de partisans huguenots que Montchrétien fut tué d'un coup de pistolet par Claude Turgot des Tourailles, un ancêtre du ministre de Louis XVI. Sa mort dans un soulèvement huguenot a fait croire unanimement que Montchrétien avait été protestant; cette opinion a été combattue par l' éditeur du Traité d'économie politique qui fait de lui un catholique, et Lanson a appuyé cette dernière hypothèse de nouveaux arguments; Petit de Julleville, au contraire, persiste à voir en lui un protestant. La solution de la question est donnée par ce passage d'un placard contemporain intitulé la Deffaicte des trouppes du sieur de Montchrestien, levées en Normandie contre le service du Roy, sa mort et tout ce qui s'est passé en la poursuitte et exécution des rebelles par les gens de Monsieur de Matignon (Paris, 1621) : « Montchrestien estoit un homme lettré et de plume plus que d'armes et de mains ; de sa première condition il estoit catholique, ainsi que l'on assure; et du depuis ayant espousé une dame de la religion prétendue réformée, changea aussi de religion pour ne perdre l'occasion d'un si avantageux party ». Montchrétien né catholique, et catholique lorsqu'il composa son Traité d'économie politique, se fit protestant à l'occasion de son mariage. (Frantz Funck-Brentano). -- Mort de Marie Stuart (1601) Nous avons ici une narration tragique, faite par un Messager : Montchrestien, en véritable classique, ne met pas son dénouement sous les yeux des spectateurs. « Comme elle est parvenue au milieu de la salle, Sa face paroist belle, encor qu'elle soit palle, Non de [1] la mort hastée en sa jeune saison, Mais de l'ennuy [2] souffert en sa longue prison. Lors tous les assistais attendris de courage [3], Et d'aise tous ravis, regardoient son visage, Lisoient sur son beau front le mespris de la mort, Admiroient ses beaux yeuux, considéroient son port; Mais la merveille [4] en eux fait jà [5] place à la crainte; Du prochain coup mortel leur ame est plus atteinte, Quand, s'abstenant de pleurs, elle force à pleurer, Quand, ne souspirant point, elle fait souspirer. Comme tous demeuroient attachés à sa veuë. De mille traits d'amour mesure en la mort pourveuë, D'un aussi libre pied que son coeur estoit haut, Elle monte au coupeau du funebre eschaffaut [6]; Puis soubsriant un peu de l'oeil et de la bouche : « Je ne pensois mourir en cette belle couche [7]; Mais puis qu'il plaist à Dieu user ainsi de moy, Je mourray pour sa gloire en defendant ma foy. Je conqueste [8] une palme en ce honteux supplice, Où je fay de ma vie à son nom sacrifice, Qui sera celébrée en langage divers Une seule couronne en la terre je pers, Pour en posseder deux en l'eternel empire, La couronne de vie et celle du martyre. » Ces mots sur des souspirs elle envoyoit aux cieux, Qui sembloient s'attrister des larmes de ses yeux. Mais soudain se peignant [9] d'allegresse plus grande, Un père confesseur tout haut elle demande. L'un [10] s'avance à l'instant, qui veut la consoler; Elle, qui reconnoist à l'air de son parler Qu'il n'est tel qu'elle veut, demeure un peu confuse « Donc si peu de faveur, dit-elle, on me refuse? C'est trop de cruauté de ne permettre pas Qu'un prestre catholique assiste à mon trespas Mais quoy que vous faciez je mourrai de la sorte Que mon instruction et ma croyance porte [11]. » Ce dit, sur l'eschaffaut ployant les deux genous, Se confesse elle mesme, et refrappe trois coups Sa poitrine dolente, et baigne ses lumières [12] De pleurs devotieux qui suivent ses prières, Et tient tous ses esprits dans le ciel attachés, Pour avoir le pardon promis à nos péchés. Son oraison finie, elle esclarcit sa face, Par l'air doux et serain d'une riante grace. Elle monstra ses yeux plus dous qu'auparavant, Et son front s'aplanit comme l'onde sans vent; Puis encor derechef [13] forma cette parole : « Je meurs pour toy, Seigneur, c'est ce qui me console. A ta sainte faveur, mon Sauveur et mon Dieu, Je recommande l'ame au partir de ce lieu. » Puis tournant au [14] bourreau sa face glorieuse . « Arme quand tu voudras ta main injurieuse, Frappe le coup mortel, et d'un bras furieux Fay tomber le chef [15] bas et voler l'ame aux cieux. » Il court, oyant [16] ces mots, se saisir de la hache, Un, deux, trois, quatre coups sur son col il delasche [12]; Car le fer aceré moins cruel que son bras Vouloit d'un si beau corps différer le trespas : Le tronc tombe à la fin, et sa mourante face Par trois ou quatre fois bondit dessus la place. » (Montchrestien, L'Ecossaise, acte V, 4). Notes : 1. De, à cause de. - 2. Ennuy (latin in odium, sens très fort. - 3. Courage, coeur. - 4. Merveille, surprise. - 5. Jà, déjà - 6. Coupeau (latin cuppa), sommet. - 7. Réflexion iroénique. - 8. Conqueste, je conquiers. - 9. Se peignant, se colorant. - 10. L'Un, quelqu'un. - 11. Porte, comporte. - 12. Lumières, yeux.- 13. Derechef, de nouveau. - 14. Au, vers.- 15. Chef, tête. -16. Oyant, entendant. - 17. Delasche, lâche de nouveau.
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