| Octave Henri Marie Mirbeau est un écrivain français, né à Trévières (Calvados) le 16 février 1850, mort en 1917. Trévières fut le berceau de sa famille maternelle. Regmalard (Orne) fut le berceau de sa famille paternelle, et c'est là qu'il passa son enfance, qui fut, d'après sa propre confidence, plutôt triste. Il détestait Regmalard, et n'a gardé du pays et de ses habitants qu'un souvenir fâcheux. II préférait Trévières, qui est une petite bourgade tout près d'Isigny, non loin de Bayeux, avec des pommiers, des peupliers et la mer comme fond de tableau. Son père était médecin, mais toute sa famille, depuis plusieurs siècles, était notaire. Sous Louis XIII, un de ses aïeux, tabellion, fut décapité à Mortagne, pour une raison demeurée inconnue. La famille de sa mère était également notaire. Octave Mirbeau adorait sa mère, morte jeune; c'était une femme d'une sensibilité charmante, enthousiaste, un peu névrosée. C'est de ces deux familles bourgeoises, conservatrices par essence, religieuses, qu'est issu ce révolté. Seul, un de ses oncles (l'abbé Jules) se distingua, avant lui, par sa vie fantaisiste et frondeuse. Octave Mirbeau fut élevé chez les jésuites de Vannes et y souffrit beaucoup (Sébastien Roch, qui est une autobiographie). Il conservera toute sa vie le cauchemar de ces années « abominables ». Jeunesse indécise et mal dirigée, avec un goût inné pour la littérature, combattu par son père. Il oscille longtemps entre la médecine et le droit. Finalement, il fait son droit à Paris, mais sans passion, même sans goût. En 1870, il a vingt ans. Il prend part à la campagne en qualité de lieutenant de mobiles dans l'armée de la Loire. En 1872, sous les auspices de Dugué de la Fauconnerie, ami de sa famille, Octave Mirbeau débute à l'Ordre, journal bonapartiste, par des articles littéraires et le feuilleton théâtral qu'il garde un an. Au 16 mai 1877, on le bombarde sous-préfet de Saint-Girons, sur la présentation de M. de Saint-Paul, député de l'arrondissement. Il prend vite en dégoût le métier de fonctionnaire et rentre dans le journalisme. Il écrit alors dans tous les grands journaux (le Gaulois, l'Illustration, l'Écho de Paris, etc.) des articles d'avant-garde sur l'art nouveau des Monet, des Degas, des Rodin. En octobre 1882, il publie dans le Figaro ce retentissant pamphlet : le Comédien, qui agita pendant plusieurs semaines le monde théâtral et le boulevard. Il fonde Paris-Midi et, peu après, avec Paul Hervieu et Grosclaude un pamphlet hebdomadaire : les Grimaces, dirigé surtout contre les républicains et où il fait la guerre aux réputations usurpées, aux ridicules et aux vices du temps avec une bravoure, une intransigeance chevaleresques. C'était trop beau pour durer, les Grimaces disparurent au bout de six mois. Il a quelques duels restés célèbres avec Paul Deroulède, Etienne, Bonnetain, Mendès, etc. Ayant évolué par la suite, il deviendra le défenseur des idées les plus avancées. Écrivain passionné, il est individualiste à outrance, voulant la vie sans entraves, l'absolu de la liberté et de la justice, l'indépendance de la littérature et de l'art. Il publie successivement : les Lettres de ma chaumière (Paris, 1886), réunion de contes paysans d'un réalisme sobre, d'une observation à la fois exacte et comique, d'un style alerte et précis dont quelques-uns sont de petits chefs-d'oeuvre qui soutiennent victorieusement la comparaison avec les meilleurs contes de Maupassant; le Calvaire (Paris, 1887), douloureuse odyssée d'une âme sensible et passionnée, en conflit avec la volupté complexe d'une nature concupiscente, curieuse et inquiète. C'est un des plus saisissants drames d'amour de la littérature française du XIXe siècle. Son héros, Jean Mintié, et son héroïne, Juliette Roux, dépassent, et de quelle hauteur, tous les types similaires connus, depuis Des Grieux et Manon, jusqu'au Ryno de la Vieille Maîtresse, jusqu'à l'Armand Duval et à Marguerite Gautier de la Dame aux camélias, jusqu'au Toto de la Glu et même jusqu'au Jean Gaussin et la Sapho d'Alphonse Daudet. C'est qu'ils sont vrais, c'est qu'ils sont vivants d'une vie réelle, simple, et pourtant complexe, contradictoire et pourtant logique, humaine et profonde et palpitante, observés sans la tricherie et sans le marquetage psychologiques de tous leurs aînés. C'est dans le Calvaire que se trouve l'admirable chapitre sur la défaite de 1870, où Mirbeau a utilisé les souvenirs et les impressions de son service pendant la guerre. L'hypocrisie de la critique a fait naturellement un crime à l'auteur de la sincérité de sa lamentable peinture. Ses autres romans sont : l'Abbé Jules (Paris, 1888), histoire d'un prêtre détraqué, qui fut, paraît-il, en effet, de la famille de Mirbeau. Dans ce livre, il semble que l'écrivain a résolu de s'abandonner à l'outrance de son tempérament. Son personnage est un pur paroxyste évoluant dans une action qu'on ne peut s'empêcher de trouver romanesque; c'est un parent du frère Archangias de la Faute de l'abbé Mouret. S'il existe, c'est d'une vie plus artificielle et littéraire que réelle et observée, quoique tous les faits du roman soient, paraît-il, authentiques. Pourtant il paraît plutôt bâti sur des souvenirs et des documents que d'après l'observation directe et patiente. Mais la verve, l'abondance, la richesse verbales de Mirbeau s'étaient là en toute liberté, et il ne faut pas s'étonner que ce soit celle de ses oeuvres que l'auteur préfère; - la Famille Carmettes (1888) ; - Sébastien Roch (1890), c'est, on le devine, l'enfance de l'auteur racontée avec le scrupule de la vérité, l'enfance flétrie d'un être intelligent, sensible et ardent, qu'on retrouvera, en effet, logiquement et harmonieusement développé dans le Jean Mintié du Calvaire. La peinture d'un internat de jésuites, où Sébastien Roch passe quelques années, est une belle oeuvre en même temps qu'une bonne oeuvre; - les Contes de ma chaumière (petite bibliothèque Charpentier, 1894); - Le jardin des supplices (1898) ; - Le journal d'une femme de chambre (1900); - Dingo (1912). Ainsi que : les Vingt et un jours d'un neurasthénique (1901); Farces et moralités (1904) ; - La 628-E8 (1907); etc. Octave Mirbeau a abordé le théâtre en 1897, par une grande pièce sociale en cinq actes : les Mauvais Bergers, qui fut jouée à la Renaissance par Sarah Bernhardt, belle oeuvre dramatique où abondent les qualités vibrantes de l'écrivain, du dialoguiste et aussi du pamphlétaire. Au mois de mai 1898, il a donné au théâtre Antoine un acte l'Epidémie, scène aristophanesque, d'une éloquence, d'une brutalité et d'un sens caricatural de premier ordre. Vinrent ensuite : Vieux Ménages (1900); le Portefeuille, Scrupules (1902); les Affaires sont les affaires (1903); le Foyer (1908). L'oeuvre d'Octave Mirbeau est double : l'oeuvre da romancier, qui se résume dans les ouvrages dont nous venons de parler; celle du journaliste, qui est éparse. Mais la totalité de son oeuvre le classe au premier rang des écrivains de son temps par la belle clarté du style, par le don d'exposition, le pittoresque, la force et la rectitude de l'expression, par les qualités de son âme sensible, par le sens puissant de la caricature, le comique naturel des personnages qu'il sait découvrir avec une sûreté sans égale. Quant au polémiste, il est hors ligne, et c'est, sans contredit, le premier de ses contemporains. (Huret / G.-F.). - Candidature « Il y a douze ans, ne sachant plus que faire et condamné par une série de malechances à la dure nécessité de me pendre ou de m'aller jeter dans la Seine, je me présentai aux élections législatives - suprême ressource - en un département où, d'ailleurs, je ne connaissais personne et n'avais jamais mis les pieds. Il est vrai que ma candidature était officieusement soutenue par le cabinet, qui, ne sachant non plus que faire de moi, trouvait ainsi un ingénieux et délicat moyen de se débarrasser, une fois pour toutes, de mes quotidiennes, de mes harcelantes sollicitations. A cette occasion, j'eus avec le ministre, qui était mon ami et mon ancien camarade de collège, une entrevue solennelle et familière, tout ensemble. -Tu vois combien nous sommes gentils pour toi!... me dit ce puissant, ce généreux ami... A peine nous t'avons retiré des griffes de la justice - et nous y avons eu du mal - que nous allons faire de toi un député. - Je ne suis pas encore nommé... dis-je d'un ton grincheux. - Sans doute!... mais tu as toutes les chances... Intelligent, séduisant de ta personne, prodigue, bon garçon quand tu le veux, tu possèdes le don souverain de plaire... Les hommes à femmes, mon cher, sont toujours des hommes à foule... Je réponds de toi... Il s'agit de bien comprendre la situation... Du reste elle est très simple... Et il me recommanda : - Surtout, pas de politique!... Ne t'engage pas... ne t'emballe pas!... Il y a dans la circonscription que je t'ai choisie une question qui domine toutes les autres : la betterave... Le reste ne compte pas et regarde le préfet... Tu es un candidat purement agricole... mieux que cela, exclusivement betteravier... Ne l'oublie point... Quoi qu'il puisse arriver au cours de la lutte, maintiens-toi, inébranlable, sur cette plate-forme excellente... Connais-tu un peu la betterave?... - Ma foi! non, répondis-je... Je sais seulement, comme tout le monde, qu'on en tire du sucre... et de l'alcool. - Bravo! cela suffit, applaudit le ministre avec une rassurante et cordiale autorité... Marche carrément sur cette donnée... Promets des rendements fabuleux... des engrais chimiques extraordinaires et gratuits... des chemins de fer, des canaux, des routes pour la circulation de cet intéressant et patriotique légume... Annonce des dégrèvements d'impôts, des primes aux cultivateurs, des droits féroces sur les matières concurrentes... tout ce que tu voudras!... Dans cet ordre de choses tu as carte blanche et je t'aiderai... Mais ne te laisse pas entraîner à des polémiques personnelles ou générales qui pourraient devenir dangereuses et, avec ton élection, compromettre le prestige de la République... Car, entre nous, mon vieux, - je ne te reproche rien, je constate seulement, - tu as un passé plutôt gênant... Je n'étais pas en veine de rire... Vexé par cette réflexion, qui me parut inutile et désobligeante, je répliquai vivement, en regardant bien en face mon ami, qui put lire ce que j'avais accumulé de menaces nettes et froides : - Tu pourrais dire plus justement : «nous avons un passé "... Il me semble que le tien, cher camarade, n'a rien à envier au mien... - Oh! moi... fit le ministre avec un air de détachement supérieur et de confortable insouciance, ce n'est pas la même chose... moi, mon petit..., je suis couvert... par la France!.. Et, revenant à mon élection, il ajouta : - Donc, je me résume... De la betterave, encore de la betterave, toujours de la betterave! ... Tel est ton programme.. Veille à n'en pas sortir. Puis il me remit discrètement quelques fonds et me souhaita bonne chance. » (O. Mirbeau, extrait du Jardin des supplices). | | |