| François Maynard est un poète français, un des meilleurs disciples de Malherbe, né à Toulouse en 1583, mort à Aurillac en 1646. II fut d'abord secrétaire de la reine Marguerite de Navarre, alors divorcée d'avec Henri IV. Son père, conseiller au parlement de Toulouse, désirait le voir entrer dans la magistrature, et le jeune homme fit les études nécessaires pour pouvoir suivre cette carrière honorable; mais son goût pour la poésie l'emporta pendant longtemps. De 1605 à 1611, période durant laquelle il résida à Paris, près de Marguerite, il composa un certain nombre de petites compositions poétiques, où il marque surtout son goût et l'art avec lequel il est possible d'exprimer des émotions simples; en cela, il rompt plus que Malherbe, encore très emphatique à ses rebuts, avec les tentatives ambitieuses et les sonorités de rythme de la Pléiade. En 1619, il publia un poème de Philandre, qui eut plusieurs éditions et commença sa réputation. A cette époque, il venait d'être nommé président au siège présidial d'Aurillac, mais il laissa les fonctions de cette charge à un subdélégué, afin de pouvoir rester pies des beaux esprits dont la société lui plaisait, Desportes et Bertaud principalement. Quoiqu'il n'eût pas à se plaindre de la fortune, il sollicitait sans cesse, trouvant que son emploi de président était fort au-dessous de son mérite. Sur la fin de sa vie, il obtint le titre de conseiller d'État. Comme écrivain, Maynard est un des plus corrects. des plus châtiés et des plus élégantse de son époque. Malherbe, d'après Tallemant des Réaux, disait : " Maynard estoit celui de tous ses élèves qui faisait le mieux des vers, mais qu'il n'avoit point de force, et qu'il s'était adonné à un genre de poésie, voulant dire l'épigramme, auquel il n'estoit pas propre, parce qu'il n'avoir pas assez de pointe d'esprit; pour Racan, qu'il avait de la force, mais qu'il ne travaillait pas assez ses vers; que bien souvent, pour mettre une bonne pensée, il prenait de trop grandes licences, et que de ces deux derniers on feroit un grand poète. " En 1634, Maynard fit un voyage à Rome, à la suite de François de Noailles, comte d'Ayen, ambassadeur de France auprès du Saint-siège. Là, il se lia avec le cardinal Bentivoglio, réputé pour son esprit, et fut traité avec considération par le pape Urbain VIII, qui le gratifia d'un exemplaire de ses poésies latines. Il est probable que tout ceci excita la jalousie du cardinal de Richelieu, et fut une des causes de son mauvais vouloir envers le poète de Toulouse. Maynard le sollicita vainement. Dans un placet en vers, feignant d'être près de mourir et de rencontrer, près du Cocyte, les âmes des héros qui ne manqueront pas de lui demander des nouvelles du cardinal, il se suppose un entretien tout particulier avec François ler, et termine par cette invite à la générosité du cardinal : Mais s'il demande à quel emploi Tu m'as occupé dans ce monde Et quel bien j'ai reçu de toi. Que veux-tu que je lui réponde? Rien, s'écria brusquement Richelieu, à qui le poète lisait sa pièce. Richelieu ne voulut jamais protéger notre poète, parce que, selon Tallemant, "il le trouvait trop caymand ", c'est-à-dire trop quémandeur, trop mendiant. Cependant Maynard avait à coeur le " rien " du cardinal, et il rima, par manière de représailles, un sonnet sur le Bonheur de vivre sans emploi : Et si le ciel, qui me traite si bien, Avait pitié de vous et de la France, Votre bonheur serait égal au mien. Nous lui pardonnons cette épigramme, en faveur de sa pointe malicieuse, mais il nous est impossible de nous apitoyer beaucoup sur le sort d'un personnage qui, investi d'une charge assez importante, devait avoir de quoi vivre; apparemment, il souhaitait de devenir un ministre ou quelque chose d'approchant. Comment s'intéresser à pareille ambition?... Certes Gombauld, qui ne se plaignait pas, était cent fois plus à plaindre. Scarron ne pensait pas comme nous, témoin ce quatrain : Maynard, qui fit des vers si bons, Eut du laurier pour récompense. O siècle maudit! quand j'y pense... On en fait autant aux jambons. Mais peut-être y a-t-il quelque moquerie dans ces regrets burlesques. Maynard trouve de meilleurs accents quand il s'inspire de la misère des poètes qui n'ont ni feu ni lieu; c'est le sujet de la pièce si connue : Muses, Parnasse est une terre où désormais nos nourrissons, Soit dans la paix, soit dans la guerre, Feront de petites moissons. Mais les vers ont perdu leur prix, Et pour les excellents esprits La faveur des princes est morte; Malherbe, en cet âge brutal, Pégase est un cheval qui porte Les grands hommes à l'hôpital. Ces deux derniers vers ont passé en proverbe. Un vaudevilliste ou un faiseur d'opéras-comiques a poussé le sans-façon jusqu'à s'en emparer et à les intercaler à la fin d'un couplet dont l'air était bien connu des anciens habitués du théâtre Feydeau. - Sonnet « Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée, Mon dernier jour est dessus l'horizon. Tu crains ta liberté. Quoi! n'es-tu pas lassée D'avoir souffert soixante ans de prison? Tes désordres sont grands, tes vertus sont petites; Parmi tes maux on trouve peu de bien. Mais si le bon Jésus te donne ses mérites, Espère tout et n'appréhende rien. Mon âme, repens-toi d'avoir aimé le monde; Et de mes yeux fais la source d'une onde Qui touche de pitié le Monarque des Rois. Que tu serais courageuse et ravie Si j'avais soupiré durant toute ma vie Dans le désert sous l'ombre de la Croix! » (F. Maynard). | Du reste, Maynard ne se rebuta pas facilement, et la vieillesse seule le contraignit à "faire la retraite", comme a dit son contemporain et émule Desportes; ce fut après un second voyage à Rome, sous la régence d'Anne d'Autriche, que, " las d'encenser en pure perte les idoles du jour, il dit adieu à Paris " pour aller mourir sur son siège présidentiel d'Aurillac. Il plaça ces vers, en manièra d'inscription, sur la porte de sa bibliothèque ou de son cabinet de travail : Las d'espérer et de me plaindre Des Muses, des grands et du sort, C'est ici que j'attends la mort Sans la désirer ni la craindre. Nous jugeons inutile de reproduire les jugements portés sur notre poète par La Motte, La Harpe et Voltaire. Comme de raison, l'éloge dommine, un éloge mérité. Maynard était bien doué au physique et un moral : figure assez belle et noble, physionomie sympathique, caractère honorable et sûr. Son admission à l'Académie française date de 1632. Il fut nommé membre de l'Académie des Jeux floraux, bien qu'il n'eût pas remporté les trois prix de rigueur. On lui décerna une Minerve d'argent; mais, soit négligence, soit mauvaise volonté de la part de ceux qui étaient chargés de lui faire ce présent, il ne le reçut pas, et s'en plaignit dans une épigramme qui a pour titre : Sur une Minerve d'argent promise et non donnée. "On a toujours remarqué dans les vers de Maynard, dit B. de La Martinière, beaucoup de facilité, une clarté, une elégance et un certain tour qui ne se peut imiter que difficilement. Deux choses ont produit ce bel effet : premièrement, Maynard affecte de détacher tous ses vers les uns des autres, d'où vient qu'on en trouve fort souvent cinq ou six de suite dont chacun a son sens parfait. Secondement, il observe partout une construction simple et naturelle, où il n'y a ni transposition ni contrainte; et, quoiqu'il travaillât avec un soin incroyable, il semble néanmoins que les mots se soient venus placer d'eux-mêmes dans les endroits où ils sont... Ses vers (épigramnmes) sont ordinairement pleins de sel et de délicatesse. Il est un de ceux qui ont le plus contribué à la poésie de la langue française, en recherchant toujours ce qui était plus naturel." -- La Belle vieille « Cloris, que dans mon coeur j'ai si longtemps servie, Et que ma passion montre à tout l'univers, Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie, Et donner de beaux jours à mes derniers hivers? N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire. Ton visage est-il fait pour demeurer voilé? Sors de ta nuit funèbre, et permets que j'admire Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris; Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris. C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née, C'est de leurs premiers traits que je fus abattu; Mais, tant que tu brûlas du flambeau d'hyménée, Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu. Je sais de quel respect il faut que je t'honore, Et mes ressentiments ne l'ont pas violé; Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore, C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé. Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure, Je me plains aux rochers, et demande conseil A ces vieilles forêts, dont l'épaisse verdure Fait de si belles nuits en dépit du soleil. L'âme pleine d'amour et de mélancolie, Et couché sur des fleurs et sous des orangers, J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie, Et fait dire ton nom aux échos étrangers. Cloris, la passion que mon coeur t'a jurée Ne trouvé point d'exemple aux siècles les plus vieux. Amour et la nature admirent la durée Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux. La beauté qui te suit depuis ton premier âge Au déclin de tes jours ne te veut pas laisser ; Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage, En conserve l'éclat, et craint de l'effacer. Regarde sans frayeur la fin de toutes choses; C onsulte le miroir avec des yeux contents On ne voit point tomber ni tes lis, ni tes roses, Et l'hiver de ta vie est ton second printemps. Pour moi, je cède aux ans, et ma tête chenue M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour. Mon sang se refroidit, ma force diminue, Et je serais sans feu, si j'étais sans amour. » (F. Maynard). | | |