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Margueritte

Paul Margueritte, fils du général Margueritte, est un écrivain né à Laghouat (Algérie) en 1860, mort en 1918. II commença ses études au lycée d'Alger, les continua au Prytanée de La Flèche, puis fut employé au ministère de l'Instruction publique (1881-1887). Il débuta par une biographie de son père, intitulée Mon Père (1884), fit partie d'abord du groupe naturaliste, s'en écarta après avoir signé, en 1887, le manifeste des Cinq contre la Terre de Zola, mais conserva le soin du détail, la précision du contour et des lignes, le goût de la vivante réalité. Il a donné, outre de nombreux récits parus dans divers journaux : Tous quatre (1885); la Confession posthume (1886); Pierrot assassin de sa femme (1886); Maison ouverte (1887); Pascal Géfosse (1887); Petit Théâtre (1888); Jours d'épreuve (1859); Amants (1890); Alger l'hiver (1890); la Force des choses (1891); Sur le retour (1892); le Cuirassier blanc (1893); Ma Grande (1893); la Tourmente (1894); Aire d'enfant (1894); Fors l'honneur (1895); l'Eau qui dort (1896); l'Essor (1896). 

Par la suite, il a collaboré avec son frère, Victor, et tous ses livres sont signés : Paul et Victor Margueritte. Ce sont : la Pariétaire (1896); le Carnaval de Nice (1897); Poum (1897); le Désastre (1898); les Tronçons du glaive (1901); les Braves Gens (1901), formant avec le Désastre une trilogie sur la guerre de 1870; les Deux Vies (1902); l'Eau souterraine (1903); la Commune (1904); le Prisme (1905); les Pas sur le sable (1906); le Poste des neiges, Femmes nouvelles, Zette, et une comédie en trois actes-: la Cour et la loi (Odéon, 1905). 

A partir de 1908, les deux frères ont cessé leur collaboration. 
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Les Braves gens

« Anxieusement les regards sondaient l'horizon. Les hauteurs qui de Saint-Menges vont jusqu'à Fleigneux, le Hattoy couronné d'un bouquet sombre, s'animaient, de l'autre côté du vallon de Floing, de troupes en marche. On se demanda, à la couleur des uniformes, si ce n'était pas de l'infanterie de marine. Mais des cavaliers casqués faisaient la navette, descendaient jusqu'au ruisseau. On en vit même qui galopaient jusqu'au bourg d'Illy, au pied du calvaire. Des coups de canon partaient du Hattoy; sur toute la ligne des hauteurs surgissaient des batteries, qui crachèrent rouge, s'enveloppèrent de fumée. Quelques obus arrivèrent jusqu'aux rangs. Tout le 7e corps alors garnissait la crête, mettait son artillerie en ligne. Le fracas de la bataille s'étendait maintenant sur l'immense cercle; le soleil, dans le resplendissement de l'azur, s'élevait, découpant sur la terre sèche l'ombre nette des arbres : lumière chaude où les choses s'épanouissaient, dans une vie heureuse.
C'est alors que sortant de l'Ardenne, de tous les taillis au loin parsemés de villages, des futaies silencieuses, des petits hameaux perdus, une avalanche de bestiaux et d'hommes, chassés par la peur, traqués par la fusillade et l'incendie, se rua, glissant à travers les champs et les routes hérissés de soldats, filtrant le long des parcs et des convois. C'étaient des paysans poussant aux roues leurs chariots surchargés de pauvres meubles; des vieilles traînant des brouettes grinçantes, où s'empilaient des hardes nouées d'un mouchoir; des femmes et des enfants en pleurs. Ils tournaient de côté et d'autre leur visage hagard, leurs yeux stupides. Quelques-uns piquaient de leurs gaules des bandes de moutons ou d'oies, traînaient une vache. Pêle-mêle, se cognant à cet exode de misère, les bêtes des bois et des champs fuyaient aussi, affolées. Des fauves avaient déserté leurs tanières, sangliers qui fonçaient droit, loups clignant au jour leurs prunelles sauvages. Des oiseaux tourbillonnaient par bandes. Des lièvres roux détalaient. Toute cette panique roulait vers les bois de Belgique.

Un renard fila comme un éclair, zigzaguant à travers les rangs des chasseurs d'Afrique. Des cris, des quolibets, des rires montèrent en tempête :

- Hou! Hou! Fissah! Baleck! [Vite! Attention!]

Et pendant cette seconde, on oublia le feu crépitant, la mort qui partout suspendue volait. Robert, en voyant les obus tomber sur un régiment de lanciers voisins, se réjouit égoïstement. Il n'avait plus la notion du temps. Quelle heure était-il? Entre neuf et dix heures peut-être?... Maintenant la grêle dardait plus dru, le fracas était terrible. Une fumée opaque planait au-dessus du ravin. La batterie divisionnaire, capitaine Hartung, en avant, tirait comme à l'exercice, avec une intrépidité superbe. A mesure que les servants tombaient, les sous-officiers les remplaçaient. Les pièces, chargées sans discontinuer, brûlantes, tonnaient coup sur coup; elles ne se turent que quand les coffres furent vides. Le feu s'acharnait sur elles. Hartung ripostait inébranlable, jusqu'à sa dernière gargousse. On vit un moment Margueritte, qu'accompagnait le garde champêtre d'Illy pris comme guide, causer avec le général Brahaut. Et aussitôt ce bruit : on allait charger! Des vieux, pour avoir une dragonne plus solide, tirèrent leur mouchoir et, l'ayant noué à leur main, l'assujettirent à la poignée du sabre. Wahl, ayant roulé le sien, arrangea fraternellement celui de Robert :

- Et tu vois, le poignet comme ça, le tranchant bien à droite!

Robert n'apercevait devant lui, au-dessus de la fumée, que le ciel bleu. Les rangs précédents, le 3e chasseurs d'Afrique devant eux, lui cachaient la crête. Une étrange ivresse s'était emparée de lui, un oubli de tout ce qui avait été jusque-là sa vie; il s'incarnait dans cette minute frémissante, où vibrait toute l'énergie de sa jeunesse. Ses forces étaient décuplées, de se sentir coudoyé, soutenu par ses compagnons, ces amis qui étaient de si rudes lascars, avaient fait la guerre, et dont l'enthousiasme portait le sien. Le dos trapu de M. Taillefer lui inspirait une confiance sans bornes. Il eût, éperonnant Corsaire, suivi la croupe musclée de Biskra jusqu'au bout du monde. Tous partageaient à leur manière cet enivrement. Cambroche ricanait de plaisir; la face matoise de Pirard se plissait avec une malice goguenarde; Wahl était sérieux, Livournet fébrile; Gerboz, raide, tenait sa trompette prête. Soudain les sonneries éclatèrent : Gerboz emboucha le cuivre et, à pleine gorge, cria les notes pressées, haletantes, le lancer joyeux de la charge. D'un seul ébranlement, aux voix fortes des officiers répétant l'ordre, l'escadron, le régiment, la brigade étaient partis.

Margueritte, ayant quitté Brahaut dont les lanciers, les chasseurs et les hussards devaient l'appuyer à droite, venait de pousser de front les chasseurs d'Afrique. Allant reconnaître lui-même le terrain, il était descendu au galop vers le ruisseau de Floing. En sens inverse, déjà les tirailleurs de Nassau grimpaient. Ils étaient à quelques centaines de mètres, atteignaient le remblai de la route qui d'Illy à Floing borde le ruisseau. Margueritte avait rebroussé chemin, couru à ses régiments, et le bras tendu :

- Enlevez-moi ça, mes chasseurs!

Galliffet en tête du 3e, le 1er déboîtant à droite, le 4e à gauche,
la brigade, dans un nuage de poussière, dévala des pentes. Margueritte, contre le calvaire, la suivait du regard. Le 3e atteignit vite les tirailleurs, sabrés, culbutés. La route, alors en déblai, surgit, saut formidable que l'alezan de Galliffet franchit d'un bond. Mais, derrière lui, des pelotons s'écrasent, des cris s'élèvent - A droite! à droite!... Les escadrons s'ouvrent, fondent en ouragan entre les compagnies espacées, qui les foudroient à bout portant. Le corps à corps en désordre tournoie. Un escadron, capitaine Rapp, parvient presque aux batteries, sur la pente du Hattoy. La charge partie en rangs serrés se rompt. Le 4e, obliquant davantage vers Floing, va se perdre dans les carrés, n'arrive même pas aux troupes de soutien. Le 1er, tournant vers Illy, se clairsème. L'escadron de Marles en colonne longe le ruisseau, s'engouffre dans les jardins et les rues du village. Une mêlée confuse disperse le peloton. On sabre autour de soi, comme on peut.

Robert, escorté de Wahl - où donc est Cambroche? Pistolet fait-il des tours aux Allemands? - galope, galope éperdument. Son poignet lui cuit, parce qu'il a frappé comme le lui avait recommandé Wahl, le tranchant bien à droite, trop fort. Le coup a sonné sur un casque, le fantassin s'est écroulé. Est-il mort? Ça n'est vraiment pas difficile de se battre! Il n'y a qu'à rendre à Corsaire et à taper. Tiens, voilà M. Taillefer, Pirard ne le lâche pas d'une longueur. Il a l'air content, le lieutenant, il se redresse sur ses étriers, son flottard bouffe, ses vieux petits yeux gris furettent. Mais qu'est-ce qu'a Wahl? Pourquoi s'arrête-t-il? L'Alsacien range Sidi-Brahim contre une auge de pierre où de l'eau coule. Le vieux cheval boit en sifflant, et Wahl, tranquillement, aspire, dans le creux de sa main, indifférent aux coups de feu qui le visent, partent des maisons. Il est de mauvaise humeur parce que sa lame a glissé sur la semelle de cuir que le Prussien portait - le chameau! - sur sa poitrine. Un si beau coup!... C'était à refaire. Et puis l'arriéré du compte... Avec la rancune, sa dette depuis Pont-à-Mousson allait grossissant.

Livournet, seul à la poursuite d'un fantassin qui se sauvait à toutes jambes, chargeait, grisé d'air, le sabre haut. Le même aveuglement farouche qui l'emportait l'autre jour, dans les bois, l'attachait, frénétique, à la chasse du malheureux. Sa rage se doublait de la souffrance aiguë que lui causait, au cou, le sillon d'une balle. Sur son col jaune un filet rouge avait coulé. A voir son sang, l'exaspération l'avait rendu comme fou. Sa cervelle chaude, aux idées promptes, son entrain de Bordelais blagueur, cher aux dames, tournait à une férocité carnassière, où l'homme des hordes primitives jetait son cri. Devant lui l'uniforme sombre sautait : il voyait les clous des grosses semelles; puis plus rien : où était l'animal? A fond de train, Livournet longea un mur, aperçut au passage le Prussien au guet qui riait et soufflait, et vlan! détendait sa lame courte; Livournet l'évita d'un retrait, sabra dans le vide, sentit avec stupeur Dandy qui, résistant au mors, hennissant de douleur, l'entraînait vertigineusement. Qu'avait cette bourrique!... 

Il vit que son cheval avait la croupe en sang, lardée à fond. Il hurla des injures ignobles, et ne pouvant maîtriser sa bête, le brigadier furieux, emballé, fila en flèche, sur une route déserte, vers les bois du Nord...

Robert et Wahl dressèrent l'oreille. Là-haut, sur le calvaire, grêle, le ralliement sonnait. A quelques pas d'eux, les notes du vigilant appel retentirent. Gerboz, une lueur sur son visage taciturne, gonflait les joues, lançait au loin le son connu, le rythme dont la cadence martelée disait la réunion, la joie de se retrouver, victorieux, vivants, le repos près du chef. Les vibrations du cuivre s'éteignaient, renaissaient, et de partout les dolmans bleus, dociles, apparaissaient, se groupaient. Les chevaux écumant et fumant hennirent de se revoir. A la sortie du villa,, e, le peloton reformé trouvait l'escadron. On se compta. A la tribu, Livournet manquait. Trois blessés rejoignaient péniblement. La tristesse, courte, se dissipa, quand on vit le perruquier de l'escadron qui, démonté, accourait sain et sauf, faisant des gestes, très en arrière. Même, on rit de bon coeur, détendus. Le sang aux pommettes, Roger, fouetté par la course, avait retrouvé quelques forces, se penchait sur l'arçon, plié en deux. M. de Marles, ses gants noircis, était nu-tête. Une balle lui avait rasé le front, fait sauter le képi. Il était très pâle, très calme, une résignation stoïque dans les yeux. Quand son ordonnance lui offrit, en guise de coiffure, une chéchia au gland bleu, il la prit en silence, la planta crânement sur l'oreille, en vieux chass'd'Af', très jeune. Et ses cavaliers lui trouvèrent ainsi plus d'allure encore qu'avec les trois galons de son képi.

- Il est schbeb! [Chic!] dit Cambroche.

Il fallut remonter la pente. Alors il sembla qu'on rentrait dans un enfer. Les obus tombaient si vite, éclataient si pressés, qu'ils soulevaient en avant comme un mur de terre.

Quand la brigade Galliffet, lentement ralliée, fut revenue sur le calvaire, elle y trouva Margueritte mécontent. Longtemps il avait regardé tourbillonner l'essaim bleu, bondir les galops blancs. Malgré l'élan, on s'était désuni. Les carrés sabrés s'étaient reformés aussitôt; les troupes de soutien grossissaient; les batteries, objectif véritable, restaient intactes. La division Brahaut, au lieu de charger de flanc, s'était bornée à une démonstration vaine, et rejetée, ou d'elle-même gagnant les bois du Petit-Terme, de l'autre côté de la Givonne, elle allait donner dans la cavalerie ennemie, se désagrégeait toute. Le général Brahaut, avec son état-major et son peloton d'escorte, tombait aux mains d'un escadron; de Bernis s'échappait, entrait en Belgique.

Près de la brigade Tilliard, qui, gardée en réserve, avait mis pied à terre dans un creux, profité même du répit pour faire manger un peu d'avoine aux chevaux, sous les balles, la brigade Galliffet, trépidante encore, vint à son point de départ se reformer. Sous le ciel bleu, sous le soleil, où le plateau tragique étalait ses labours rouges et ses verdures, une fumée âcre tournoyait au-dessus de l'armée acculée. Les obus la ravageaient comme la grêle un champ d'herbe. Vis-à-vis, les batteries allemandes tonnaient plus fort. Les colonnes noires grouillaient plus denses. Rien ne pouvait entraver dorénavant leur marche triomphante. A l'est de Fleigneux, les escadrons du Prince Royal se joignaient à ceux du Prince de Saxe. Les deux branches des tenailles s'étaient refermées. L'étau de fer et de feu était rivé, irrévocablement. »
 

(P. et V. Margueritte, extrait des Braves gens).
Victor Margueritte, né à Blida (Algérie) en 1867, mort à Monestier (Allier) en 1942, s'engagea en 1886, devint lieutenant de dragons et donna sa démission en 1896, pour s'adonner aux lettres. Il collabora depuis à toutes les oeuvres de son frère qu'il signa avec lui.

Sous son nom seul, il a fait jouer une féérie en un acte et en vers : la Belle au bois dormant (1897); la Double Méprise, traduite de Calderon (Odéon, 1898), et il a publié un recueil de vers : Au fil de l'heure (1898) et divers autres ouvrages, dont le roman la Garçonne (1922). (G.-F.).

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Dictionnaire biographique
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