| Lucrèce (Lucrezia) Borgia est la soeur de César Borgia, née à Rome en 1480, morte à Ferrare la 24 juin 1519. Bien que très calomniée, le souvenir des crimes de son odieuse famille ne doit pas cependant empêcher d'être impartial à son égard. Malheureusement elle servit d'instrument pour les projets ambitieux de son frère. Ses mariages successifs étaient destinés à bâter la fortune de César. Sa remarquable beauté, son esprit cultivé, sa nonchalance naturelle la disposaient à ce rôle, qui lui fut imposé sans qu'elle en eût presque conscience. Elle fut fiancée, dès le jeune âge, successivement à deux seigneurs espagnols, don Chérubin de Centellos et Gaspardo de Procida; mais Alexandre VI, devenu pape, lui fit contracter une union plus relevée avec Jean Sforza, seigneur de Pesaro, bâtard de la famille des ducs de Milan (1493). "Les chroniques de Pesaro racontent ainsi par quel hasard il échappa à une mort violente; Un soir, Giacomino, camérier du seigneur Jean, se trouvait dans la chambre de Mme Lucrèce; César, frère de celle-ci, entra; Giacomino, par l'ordre de madame, s'était caché derrière un fauteuil. César parla librement à sa soeur et dit que l'ordre était donné de tuer Jean Sforza. Quand il fut parti, Lucrèce dit à Giacomino : " Tu as entendu; va et avertis le." Le camérier obéit à l'instant; Sforza se jeta sur un cheval turc et à bride abattue vint en vingt-quatre heures à Pesaro où son cheval tomba mort. César se fit ainsi un ennemi mortel; mais il prit en même temps une leçon de prudence et une salutaire aversion pour les paroles inconsidérées. Le pontife déclara, en vertu de son autorité canonique, la nullité du premier mariage de sa fille. Lucrèce, qui aima sincèrement tous ses maris, pleura quelques jours le premier chez les nonnes de Saint-Sixte." (M. Gebhart). Au mois de juillet 1498, Lucrèce, veuve d'un mari toujours vivant, épousa don Alphonse de Bisceglia, enfant de dix-sept ans, fils naturel d'Alphonse II. Ce mariage ne dura pas longtemps. Par suite de leur alliance avec Louis XII, les Borgia étaient entraînés à combattre les Aragonais de Naples. Au lendemain du jubilé de l'an 1500, qu'il avait célébré avec sa femme et toute la famille pontificale, le malheureux duc de Bisceglia fut blessé par quatre hommes masqués sur les degrés de Saint-Pierre et laissé pour mort. "L'assassin, dit un ambassadeur de Venise, est le même qui a tué le duc de Gandia et jeté son corps dans le Tibre." Lucrèce le soigna avec le plus grand dévouement pendant trente-quatre jours et le pape le fit garder par seize de ses serviteurs. Mais César Borgia, en visitant le blessé, avait tenu un horrible propos : "Ce qui ne s'est point fait au dîner se fera au souper." En effet, le 18 août 1500, César entra dans la chambre d'Alphonse, chassa d'un geste Lucrèce; son bravo attitré Michelotto étrangla sur son lit le duc de Bisceglia. Lucrèce alla pleurer son second époux dans son château de Nepi. Ses larmes avaient irrité César, qui ne souffrait même plus qu'on pleurât ses victimes. A ce moment se place le plus douloureux mystère de la vie des Borgia : Lucrèce donna le jour en 1498 à un fils après son second veuvage. En 1501 on retrouve auprès d'elle un enfant de trois ans du nom de Giovanni, qu'elle élevait comme son frère. Par deux bulles conservées à l'Archivio de Modène, Alexandre reconnaît cet enfant. Par la première Alexandre déclare qu'il est fils de César Borgia de France; par la seconde qu'il est son propre fils. Ce double aveu de paternité permet d'indiquer les termes du problème sans qu'on puisse le résoudre. Il explique les graves accusations des contemporains contre la trop complète intimité du père, du fils et de la soeur. - Lucrèce Borgia, par Bartolomeo Veneto. D'ailleurs elle assistait avec plaisir aux fêtes plus que païennes données par son père dans les palais pontificaux. (dans Burchard à la date du 31 octobre 101, le récit d'une orgie de nuit restée célèbre). Cependant du jour où elle eut épousé Alphonse d'Este, duc de Ferrare (1501) elle mena une vie plus régulière. Une brillante cour de lettrés et d'artistes, dont faisaient partie Bembo, le futur cardinal et l'Arioste, lui prodigua les louanges les plus flatteuses. L'Arioste célèbre ses vertus dans une octave de l'Orlando furioso. En réalité Lucrèce Borgia a été beaucoup plus indifférente au mal que réellement criminelle, et plutôt dénuée de sens moral que vraiment, immorale. Le mot d'amorale convient très bien pour la qualifier. "En elle, dit Gebhart, tout est fuyant, indécis, timide, l'esprit comme le visage, avant tout le caractère. Il est facile de plaider sa cause; elle fut dans les mains de son père et de son frère comme une cire molle, une esclave gracieuse que l'éducation n'a point formée à la pudeur, à la dignité délicate de la femme, très douce, résignée d'avance aux plus navrantes aventures qu'une sorte d'inconscience morale lui rendait moins douloureuses. Elle dut s'habituer à la souffrance, comme elle s'habitua à l'étrange spectacle de la cour paternelle; dans le billet qu'elle écrivit d'une main mourante à Léon X, on entend comme la plainte tranquille d'une malheureuse à qui son passé a laissé une impression de mélancolie plutôt que d'effroi." Victor Hugo a fait de Lucrèce Borgia l'héroïne d'un de ses beaux drames. II la peint beaucoup plus selon la légende que selon la vérité historique. (H. Vast). - Lucrèce Borgia en Flore, par Bartolomeo Veneto (portrait supposé). | |