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Latini

Brunetto Latini est un polygraphe du XIIIe siècle. Villani l'appelle « grand philosophe et souverain maître de rhétorique »  et le loue d'avoir le premier « dégrossi » les Florentins. Né vers 1210, il figure en 1254 et 1255 comme notaire dans les actes publics; en 1260, le parti guelfe, dont il était l'un des principaux appuis, l'envoya implorer le secours d'Alphonse X de Castille; c'est pendant son absence qu'eut lieu le désastre de Monteaperti (4 septembre) qui l'empêcha de rentrer à Florence et le força à chercher un refuge en France, probablement à Paris; il y fut accueilli par un de ses compatriotes qui partageait ses opinions et qu'il appelle son sauveur; c'est pour complaire à ce protecteur qu'il entreprit quelques-unes de ses traductions et c'est là qu'il compila sa grande oeuvre, le Trésor. Il est vraisemblable qu'il rentra en Italie après la victoire de Bénévent. Nous le voyons en effet de 1269 à 1289 occuper des charges plus ou moins importantes dans l'administration de Florence.

En 1269, il était protonotaire du gouverneur de Toscane pour Charles d'Anjou; en 1273, notarius necnon scriba consiliorum communis Florentiae (chancelier chargé de la rédaction des actes); en 1284, l'un des syndics qui conclurent l'alliance de Florence avec Lucques et Gênes contre Pise; en 1287, membre du conseil des Prieurs. II mourut vieux, en 1294 ou 95. On connaît l'hommage de respect et de filiale gratitude que lui rend Dante (Divine Comédie, Inferno, XV, 82-7) et que l'on n'a pas réussi à concilier d'une manière satisfaisante avec le fait qu'il le place non seulement en enfer, mais dans un cercle particulièrement infamant (celui des pécheurs contre nature). Il est plus que probable qu'il n'a pas été pour Dante un maître au sens propre du mot, mais plutôt un ami et un conseiller paternel; il est du moins à peu près assuré qu'il n'a pas tenu à Florence une école, comme on l'a dit de bonne heure, l'importance des charges qu'il remplit ne s'accordant guère avec une fonction aussi modeste et assujettissante. 

Outre quelques opuscules en vers (Favolello, Lauda per un morto, etc.), ses principales oeuvres italiennes se composent surtout de traductions en prose (du De Inventione de Cicéron sous le titre de Rettorica, etc.) et du Tesoretto. Ce dernier ouvrage, composé en même temps que le Trésor, est un abrégé de celui-ci, resté incomplet et original pourtant en quelques parties; Brunetto l'écrivit en vers et lui donna la forme allégorique pour le rendre plus attrayant et plus accessible au grand public.

Mais lui-même considérait comme son ouvrage capital le Trésor, qu'il rédigea en français parce que c'est la « parleüre plus delitable et plus commune à toutes gens », en d'autres termes, la langage qui devait lui assurer la plus grande popularité. Le XIIe siècle et surtout le XIIIe avaient vu naître plusieurs encyclopédies latines dont la prétention était d'embrasser l'ensemble des connaissances humaines (Imago mundi de Honorius Augustodunensis, Speculum universale de Vincent de Beauvais, etc.). L'oeuvre de Brunetto est une des premières tentatives faites pour rendre ce genre d'ouvrages accessible aux personnes qui ignoraient le latin (il avait cependant été précédé par Gautier de Metz dont l'Image du monde est de 1245). 

Brunetto divise son Trésor en trois parties : la première comprend la philosophie théorique, c.-à-d. la science des choses en elles-mêmes, considérées comme objet de connaissance : il y traite de la création du monde (Cosmogonie), de Dieu et de la nature des anges (d'après le livre des Sentences d'Isidore de SévilIe), de l'humain, de la loi divine et humaine, de l'institution de la royauté; il y rattache un abrégé d'histoire universelle, sacrée (d'après la Bible et Isidore) et profane, qui s'arrêtait d'abord à 1260 et qu'il prolongea ensuite jusqu'en 1268. Brunetto fait aussi rentrer dans cette partie la physique, l'astronomie, la géographie (cette partie surtout est presque uniquement composée de traditions fabuleuses) (d'après Solin et Isidore), l'économique (d'après Palladius), l'histoire naturelle (d'après Aristote, Pline, Palladius, Solin, Isidore, le Physiologus d'Hildebert, le De Natura rerum de Martin de Cantimpré, les Bestiaires français et le poème provençal de Daude de Prades). 

Le second livre «  parle des vices et vertus » : c'est donc un traité de morale. Il s'ouvre par un résumé de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote (d'après une traduction latine); le reste est composé de considérations et de sentences morales, empruntées soit à des Anciens, comme Horace, Sénèque, Juvénal, soit surtout à des ouvrages modernes (surtout le Moralium dogma, de Gautier de Lille, le De Arte loquendi et tacendi, d'Albert de Brescia, le De IV Virtutibus cardinalibus de Martin de Dumium, la Summa de virtutibus de Guillaume Perrault; les Libri sententiarum d'Isidore de Séville). 

Le troisième livre n'est pas seulement un traité de rhétorique (surtout d'après le premier livre du De Inventione de Cicéron), mais aussi de politique. Cette dernière partie, malgré les quelques emprunts que Brunetto y a fait au De Officis de Cicéron, au De Clementia, au De Ira de Sénèque, est fort originale l'auteur y traite presque uniquement du gouvernement des républiques italiennes et en particulier de l'institution du podestat : bien qu'il ait connu et utilisé un ouvrage sur le même sujet (l'Oculus pastoralis), il y a surtout déposé le fruit de ses réflexions et de son expérience personnelles, et c'est ce qui donne à cette partie, médiocrement en harmonie avec le reste de l'ouvrage, une valeur toute spéciale. (A. Jeanroy).

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