A la jeunesse « On dit qu'impatients d'abdiquer la jeunesse, Aux sordides calculs vous livrez vos vingt ans; Qu'à moins d'un sang nouveau qui du vieux sol renaisse, La France et l'avenir ont perdu leur printemps. A l'âge où nous errions, livre en main, sous la haie, Tout prêts à dépenser notre coeur et nos jours, On dit que vous savez ce que vaut en monnaie L'heureux temps des chansons, des songes, des amours. On dit que le franc rire est absent de vos fêtes; Que l'ironie à flots y coule par moments; Que chez vous le plaisir, pour parer ses conquêtes, Rêve, au mépris des fleurs, l'or et les diamants; Que vous refuseriez l'amour et le génie, Si Dieu vous les offrait avec la pauvreté; Que vous n'auriez jamais pour la muse bannie Un seul regret, pas plus que pour la liberté! On dit vos coeurs tout pleins d'ambitions mort-nées; On dit que vos yeux secs se refusent aux pleurs; Qu'avec vous le rameau des nouvelles années Porte un fruit corrompu, sans avoir eu des fleurs. Mais je vous connais mieux, malgré votre silence; Le poète a chez vous bien des secrets amis. D'autres vous ont crus morts et vous pleurent d'avance Frères de Roméo, vous n'êtes qu'endormis! Qu'importe un jour d'attente, une heure inoccupée! Tous vos lauriers d'hier peuvent encor fleurir; Vous qui portiez si bien et la lyre et l'épée, Vous qui saviez aimer, vous qui saviez mourir! Hier, une étincelle éveillait tant de flamme! Hier, c'était l'espoir et non le doute amer; Un seul mot généreux, tombé d'une grande âme, Vous soulevait au loin comme une vaste mer. Aux buissons printaniers tout en cueillant des roses, Vous saviez des hauts lieux gravir l'âpre chemin, Et pour vous y conduire, amants des saintes choses, Elvire ou Béatrix vous prenait par la main. Vous les suivrez encor sur la route choisie! Vous gardez pour flambeaux leurs regards fiers et doux; Celui qui cherchera la fleur de poésie Ne la pourra cueillir, s'il n'est pareil à vous. Aimez votre jeunesse, aimez, gardez-la toute! Elle est de vos aînés l'espoir et le trésor; Portez-la fièrement, sans en perdre une goutte; Portez-la devant vous comme un calice d'or. Peut-être on vous dira d'y boire avec largesse, D'y verser hardiment le vin des passions; D'autres vous prêcheront l'égoïste sagesse Qui rampe et se réserve à ses ambitions. Mais aux vils tentateurs vous serez indociles! La muse vous conseille, et vous saurez choisir Restez dans le sentier des vertus difficiles; Votre âge a des devoirs plus doux que le plaisir. » (V. de Laprade). |