Rezefe et
Joabe
Dieu
avait affligé Israël d'une famine pour le punir du crime de
Saül qui avait frappé les Gabaonites, au mépris d'anciennes
alliances. David, sur la réponse de l'oracle,
s'offrit à satisfaire les Gabaonites qui réclamèrent
les fils de Saül afin de les livrer au supplice.
(Cf. le livre des Rois,
II, XXI).
Joab,
le général de David, vient demander à Rezefe, la veuve
de Saül, de lui livrer ses enfants Armon et Mifiboseth. Rezefe qui
les a cachés dans la tombe de Saül lui répond qu'ils
sont morts.
« JOABE.
On console, ô chetive,
Les meres quand
la mort de leurs enfans les prive.
Mais en la mort
des tiens selon ce que je voy
Tu te dois resjouir;
car iceux je devoy
Mener en Gabaon,
non pour sacrifier,
Mais, las! à
celle fin de les crucifier.
REZEFE.
Crucifier, bon Dieu!
ah, je sen un glaçon
Qui penetre mes
os d'une estrange frisson.
JOABE.
Puisque tes fils
sont morts, pourquoy es-tu craintive?
(A part.)
Mais elle tremble
encor. Il faut que je poursuyve [ = que je continue]
A la sonder par
tout. Sa race encores vit;
Je lui veux augmenter
la peur qui la trahit.
(A ses soldats.)
Allez, allez, soudars,
et que tous se despechent
De fureter [ = rechercher
partout] ceux-la qui nostre bien empeschent.
REZEFE.
Allez, fouillez,
cherchez ; que mourir on me face
Si vous les trouvez
vifs, cachez en quelque place....
JOABE.
Si sçauray-je
par force où c'est qu'ils sont mussez [ = cachés],
Et deusse-je troubler
le lieu des trespassez [ = violer les sépultures],
Ores [ = tout à
l'heure] je cognoitray si vous estes parjure
Ou s'avec [ = si
avec] vos ayeux vos fils ont sepulture...
REZEFE.
... Hé,
que voulez-vous faire!
JOABE.
Je veux aller ouvrir
la tombe mortuaire Ou gizent vos ayeux.
REZEFE.
O la chose cruelle!
JOABE.
Je fouilleray par
tout.
REZEFE.
Dieu, ton aide j'appelle.
Helas! ozeries-vous
importuner la pais
Et le repos des
morts? et quant ores [quand même aujourd'hui] leurs fais
Requerroient chatiment,
Dieu ne leur peut-il pas,
Sans qu'on touche
au corps mort, punir l'aine là-bas?
JOABE.
Sus, sus, depechez
vous [ il s'adresse à ses soldats].
REZEFE.
Helas! de vostre fer
Terrassez moi plutost
: ou plutost sors d'Enfer,
O SAUL, et t'en
vien garder ton corps d'encombre [ = dérangement],
Vien ; pour donter
Joabe il ne faut que ton ombre.
JOABE.
Faites ce que je
dy. Donc estes vous retifs, Pour sa vaine fureur et ses. propos plaintifs?
REZEFE.
Ah! je ne souffriray
que ta main sacrilege
Touche à
ces lieux sacrez : plutost, plutost mourray je.
Mais, las! que veus
je faire? ilz s'en vont demolir
La tombe, et mes
enfants ilz vont dessevelir [ = faire sortir des tombeaux],
D'une seule ruine
[ = en ruinant une seule tombe]! ô le malheur! je pers
Mes filz et mon
espous, si les courages fiers [ = cruels]
Des hayneux [ =
ennemis] je n'ebranle avec douce priere...»
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(Jean
de La Taille, La Famine ou les Gabaonites;
acte
III; - fol. 19, verso de l'édition de 1573).
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