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Karamzine

Nicolas Mikhaïlovitch Karamzine est un auteur russe né à Mikhaïlovka (gouvernement de Kazan, en Russie) le 1er septembre 1766, mort à Pétersbourg le 22 mai 1826. Ses ancêtres étaient des princes tatares; son père, commandent en retraite, l'éleva avec le plus grand soin. La lecture de romans français développa en lui une imagination ardente et une grande sensibilité. Il acheva ses études à la pension Schaden, à Moscou. A quinze ans, ses classes terminées, il entra dans l'armée; il la quitta après la mort de son père pour s'adonner entièrement à la littérature. Il débuta par des traductions de l'allemand et du français : la Jambe de bois de Gessner, Emilia Galotti de Lessing, Jules César, d'après la traduction française de Letourneur, etc.

En 1789, il entreprit un voyage à l'étranger afin « de compléter son éducation et de se rendre compte de la position et de l'influence des écrivains en Europe » ; il parcourut l'Allemagne, la Suisse, la France et l'Angleterre et publia ses impressions dans les Lettres d'un voyageur russe, livre qui eut un succès considérable, ruina à jamais l'école pseudo-classique et fut bientôt accepté par tout le monde, comme le modèle de la langue et du style. 
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Paris
(Paris, 2 avril 1790)

« Je suis à Paris! Cette pensée produit dans mon âme je ne sais quelle agitation particulière, rapide, inexplicable, charmante... « Je suis à Paris ! » me dis-je à moi-même, et je cours de rue en rue, des Tuileries aux Champs-Élysées; soudain je m'arrête, je regarde tout avec une curiosité inattendue les maisons, les voitures, les gens et mille idées s'éveillent dans ma tête. Ce qui m'était connu par des descriptions, je le vois à présent de mes propres yeux, je me réjouis et je m'égaye du vivant tableau qu'offre la plus grande et la plus célèbre ville du monde, ville merveilleuse, unique par la variété de ses spectacles.

Cinq journées ont passé pour moi comme cinq heures, dans le bruit, dans la foule, dans les théâtres, dans l'enceinte magique du Palais-Royal. Mon âme est pleine de vives impressions; mais je ne puis m'en rendre compte moi-même, et je ne suis pas en état de vous dire quelque chose de suivi à propos de Paris. Laissez ma curiosité se rassasier. Ensuite viendra le moment d'apprécier, de décrire, de louer, de critiquer. A présent je ne remarquerai qu'une chose qui me paraît le trait principal de Paris : la vivacité inouïe du peuple dans ses mouvements, sa promptitude surprenante à parler et à agir. Le système des tourbillons de Descartes n'a pu prendre naissance que dans la tête d'un habitant de Paris. 

Ici tout le monde se précipite vers un but quelconque. Tout le monde a l'air de se poursuivre mutuellement : on donne la chasse aux pensées, on les attrape au vol; on pressent ce que vous voulez dire, afin de vous expédier le plus tôt possible. Quel étrange contraste, par exemple, avec les graves Suisses, qui vont toujours à pas mesurés, vous écoutent avec la plus grande attention, si bien que l'homme timide, modeste, en rougit; qui vous écoutent même encore alors que vous avez cessé de parler; qui pèsent vos mots et répondent avec tant de lenteur, tant de prudence, par crainte de ne pas vous comprendre. L'habitant de Paris, lui, veut toujours deviner. Vous n'avez pas fini votre question, qu'il vous a fait entendre sa réponse, s'est incliné et a disparu. »

(Karamzine, Lettres d'un voyageur russe).

De retour en Russie en 1791, Karamzine avait fondé le Journal de Moscou, où il publia une foule de nouvelles et de traductions : la Pauvre Lise, Nathalie, la Fille de Boyar, la Henriade de Voltaire, le Roland furieux de l'Arioste, le Voyage d'Anacharsis de Barthélemy, Clarisse Harlowe de Samuel Richardson, etc., puis il édita divers recueils de poésies, nouvelles et traductions : Aglaé, le Panthéon des écrivains étrangers, le Panthéon des écrivains russes, etc.

En 1802, il fonda une revue, le Messager de l'Europe, puis s'adonna aux questions historiques; il publia l'Éloge historique de Catherine ( Catherine II) et des biographies de personnages célèbres. Nommé historiographe de la cour en 1803, il se mit à étudier les manuscrits des monastères et les archives; présenté au tsar Alexandre en 1810, il lui lut son Mémoire sur l'ancienne et la nouvelle Russie. En 1812, sa bibliothèque brilla dans l'incendie de Moscou et c'est à peine s'il put sauver les manuscrits de sa grande histoire de l'empire russe. En 1815, huit volumes étaient achevés et le tsar donna 60 000 roubles pour l'impression (1816-1818). En vingt-cinq jours 3 000 exemplaires furent écoulés.

« L'impression fut grande, écrit Pouchkine, et toute la société, même les femmes du monde, se mit à lire l'histoire de la patrie, jusque-là inconnue; Karamzine paraissait avoir découvert la vieille Russie, Comme Colomb avait découvert l'Amérique. »
L'ouvrage strictement conservateur, véritable glorification et justification de l'autocratie, plut beaucoup à Alexandre qui fit de Karamzine son conseiller et son ami; ce fut l'historien qui dissuada le tsar de restaurer le royaume de Pologne, dans son Opinion d'un citoyen russe (1819). La mort du souverain frappa beaucoup Karamzine, dont la santé était déjà chancelante; les médecins l'engageaient à partir pour l'Italie; Nicolas avait mis à sa disposition une frégate et l'avait doté de 50 000 roubles de pension, lorsque la mort l'atteignit subitement (1826). Karamzine est avec Lomonossov le créateur de la prose russe ; il ouvre la voie aux écrivains du XIXe siècle. (M. M.).


En bibliothèque - Ses oeuvres principales furent traduites très tôt dans toutes les langues de l'Europe; la meilleure traduction de son histoire est celle de Saint-Thomas, Jauffret et Divoff (Paris, 1818-26). Ont été encore traduits en français dès le XIXe siècle : Marpha ou Novgorod conquise, traduction de J.-B.-P. (Moscou, 1804, réimprimée à Genève, 1885); le Sensible et l'indifférent, trad. Arsène Khvostov (Pétersbourg, 1866); la Pauvre Lise (Paris, 1808, et Kazan, 1818); Lettres d'un voyageur russe, par Legrelle (Paris, 1886).
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