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Kangxi

Kangxi ou Kang-hi, le second des empereurs de la dynastie mandchoue Qing (en transcription pinyin : Qing) régnante en Chine jusqu'en 1911. Kangxi signifie «-inaltérable prospérité » et n'est proprement que le nom de la période d'années (1662-1722) pendant laquelle régna ce souverain dont le nom de temple (miaohao) est Cheng-tsou (le saint aïeul) et dont le nom posthume (che-hao) est Ten-hoang-ti (l'excellent empereur); mais les Européens ont pris l'habitude de désigner ce prince lui-même par le nom de Kang-hi (ou Kangxi, en transcription pinyin); la même remarque s'applique à tous les empereurs de la dynastie Qing qu'on appelle communément du nom des années où ils occupèrent le trône (Kien-long, Kia-king, etc.). Le père de Kangxi, Choen-tche, est le premier conquérant mandchou (Les Toungouses) qui ait pu pénétrer à Pékin (1641); aussi, bien que ses prédécesseurs soient les vrais auteurs de son élévation et qu'ils aient été considérés comme des empereurs après leur mort, il est légitime de s'arrêter à lui comme au chef de la dynastie, et de tenir par conséquent Kangxi pour le second des empereurs Qing (et non le huitième, ainsi que le disent les anciennes listes chinoises, ou encore le cinquième, comme on peut également le lire).

A son avènement, Kangxi n'avait que huit ans; le pouvoir fut donc remis à quatre régents qui gouvernèrent en son nom. Un de leurs premiers actes fut d'expulser les eunuques dont l'autorité était devenue trop grande au palais. Dès l'âge de treize ans, le jeune empereur profita de la mort de Soei, le plus âgé des régents, pour prendre en main les rênes du gouvernement. Afin de bien montrer qu'il entendait être dorénavant maître absolu, il fit peu après mettre en accusation un des régents qui s'était rendu coupable de quelques abus et le condamna à mort lui et huit de ses fils. Au moment où Kangxi fut investi du pouvoir suprême, la Chine tout entière lui était soumise en apparence; mais, dans les provinces du Sud, l'obéissance n'était que nominale. En effet, pour récompenser les services de trois généraux chinois qui avaient favorisé leur triomphe, les Mandchous leur avaient laissé prendre une situation presque indépendante : Keng Ki-meou était roi du Fou-kien; Chang Ko-hi, avec le titre de prince pacificateur du Sud, résidait à Canton; enfin le plus puissant de tous, Ou San koei, surnommé le prince pacificateur de l'Ouest, résidait dans le Yun-nan (Yunan). D'autre part, grâce aux troubles qui avaient accompagné la chute de la dynastie Ming, un aventurier surnommé Koxinga (son nom véritable était Tcheng Tcheng-kong  (Zheng Chenggong); Koxinga est la prononciation en dialecte d'Amoy de Kouo-sing-yé = celui qui a pour nom de famille le nom de famille du souverain) s'était fait le roi des mers sur toute la côte du Fou-kien; il s'était d'abord établi à Amoy, puis avait jeté ses vues sur l'île de Formose (Taiwan) d'où il avait délogé les Hollandais en février 1662; il mourut cette même année, mais il laissait tout son pouvoir à son fils, Tcheng-king, qui se trouva ainsi maître de Formose.

La consolidation de l'empire.
L'empereur Kangxi sentait que son autorité avait besoin d'être raffermie dans le Sud de ses États. Pour la mieux marquer, il invita en 1672 Ou San-koei à venir lui rendre hommage; ce puissant vassal refusa d'obéir; bien plus, son fils, qui résidait à Pékin où il se trouvait retenu comme otage, fomenta un complot pour s'emparer de la ville et pour en chasser les Mandchous; mais son projet fut découvert et lui-même mis à mort (1672). Ou San-koei se révolta ouvertement : il commença par remporter quelques avantages; cependant la patience des armées impériales vint à bout de son impétuosité et, lorsqu'il mourut, en 1677, la partie était perdue pour lui. Ou Che-fan, son petit-fils, se vit assiéger dans Yun-nan-fou pendant deux mois et se pendit de désespoir. Ainsi finit une rébellion qui avait d'abord semblé pouvoir ébranler les bases mêmes de la dynastie mandchoue. Le roi de Canton, Chang Ko-hi, n'avait pas fait cause commune avec Ou San-koei; mais, à sa mort survenue en 1676, son fils, Chang Tche-sin, profita de la situation troublée pour se déclarer indépendant; toutefois, il se soumit dès l'année 1677. En 1680, il commit quelque nouvelle faute pour laquelle il fut dégradé et condamné à se donner la mort.

Quant à Keng Qing-tchong, qui avait succédé en 1671 à son père Keng Ki-meou comme roi du Fou-kien, il s'unit en 1674 à Ou San-koei et appela en outre à son aide le roi de Formose, Tcheng-king; mais celui-ci, dès son arrivée dans le Fou-kien, entra en lutte avec son allié, et, au lieu de le secourir, le combattit. Les impériaux profitèrent de ces désunions pour envahir le Fou-kien et pour gagner le roi qui devint dès lors leur plus fidèle partisan. Tcheng-king perdit graduellement toutes les possessions qu'il avait sur le continent et se réfugia à Formose où il mourut en 1681. Son fils, Tcheng Ko-choang, dut en 1683 se soumettre aux Mandchous qui l'internèrent à Pékin et reprirent pied dans l'île. Kangxi n'eut plus alors aucun ennemi à redouter dans toutes les provinces du Sud.

C'est l'Occident qui devait maintenant lui donner des inquiétudes. Galdan-Bokochtou, qui avait succédé en 1665 à son père, Erdeni Baatur-kong-taichi et était devenu chef des Kalmouks (Mongols occidentaux), n'avait pas tardé à étendre son autorité sur toutes les régions qu'arrosent l'Irtych Noir et l'Ili; il se donna le titre de roi des Dzoungars et son empire fut connu sous le nom de Dzoungarie (Djoungarie), en 1678, il envahit la Kashgarie et réunit cette contrée à ses États. Lorsque Galdan voulut porter ses armes vers l'Ouest, les Mongols Kalkhas (Mongols orientaux) implorèrent l'appui de la Chine; en outre, son neveu, Tsevan Rabdan, se révolta contre lui et se réclama de Kangxi; les armées impériales marchèrent contre Galdan et, après de longues campagnes où le pays fut mis à feu et à sang, le chef dzoungar, traqué comme une bête fauve, finit par s'empoisonner (1696). Tsevan Rabdan remplaça son oncle et régna à la fois sur tout le Turkestan oriental et sur Samarcande (Le Kharezm et les khanats ouzbeks); il fut un voisin très turbulent pour les Chinois, mais Kangxi ne jugea pas opportun d'entrer en guerre ouverte avec lui.

Les violentes secousses qui avaient ébranlé toute la Dzoungarie amenèrent peu de temps après une scission dans sa population. Les Torgouts (ou Keraïtes), qui étaient une des quatre « ligues » (oirat) des Kalmouks, quittèrent en 1703 leur pays et émigrèrent vers l'Ouest; ils obtinrent du tsar Pierre le Grand l'autorisation de s'établir entre l'Emba et la Volga (La Russie au XVIIIe siècle). En 1712, Kangxi leur envoya une ambassade; le récit de, cette mission a été fait par un certain Tou-li-chen, dans un ouvrage intitulé I yeou lou qui a été traduit en 1821 par sir G. Staunton. Les Torgouts ne rentrèrent en Dzoungarie que soixante ans plus tard, au moment de l'apogée de la dynastie Qing, sous le règne de l'empereur Kien-long (Qianlong).

En 1749 et 1720, Kangxi envoya son quatorzième fils à la tête d'une armée pour faire reconnaître son autorité aux peuples de la région du Koukou-nor et du Tibet.

Relations avec les Européens.
La Compagnie des Indes néerlandaises envoya à deux reprises des ambassades à Kangxi; l'une (1663-64) fut celle de Jean van Campen et Constantin Nobel; l'autre (1666) fut celle de Peter von Hoorn. En 1667, le vice-roi de Goa fit partir de même un ambassadeur pour Pékin au nom d'Alphonse VI, roi de Portugal. Aucune de ces missions n'eut le succès qu'on en espérait; l'empereur accepta les présents qu'elles apportaient comme un tribut qui lui était dû et ne voulut entendre à aucune de leurs demandes.

La Russie eut avec la Chine des relations diplomatiques suivies de plus d'effet : elle n'envoya pas moins de quatre ambassades à Kangxi : Nicolas Spatar Milescu en 1675-76, Golovin en 1688, Ysbrantz Ides en 1693-95, enfin lsmaïlov et Lange en 1720-22. Les questions que le tsar avait à débattre avec le Fils du Ciel étaient complexes et nombreuses; la frontière entre leurs deux pays était mal définie et cette incertitude donnait lieu à des conflits à main armée qui nuisaient aux rapports commerciaux. Sans trancher entièrement la question de délimitation qui ne fut résolue que par le traité de Kiachta (20 août 1727), Kan hi envoya du moins en 1688-89 des plénipotentiaires, accompagnés des pères jésuites Gerbillon et Pereira qui leur servaient d'interprètes, conclure à Nertchinsk ou Niptchou (27 août 1689) avec les représentants du tsar Pierre le Grand un traité aux termes duquel la petite rivière Kerbichi, les monts Hing-ngan et la rivière Ergon, affluent du fleuve Amour, traceraient la démarcation entre les deux empires : la citadelle de Yaksa (Ya 'ko-sa Albazin), sur l'Amour, serait livrée aux Chinois qui la détruiraient. 

Les Anglais n'entretinrent pas de rapports officiels avec Kangxi; la Compagnie des Indes orientales se contenta de fonder des comptoirs à Amoy et à Fou-tcheou, et, en 1684, de s'établir à Canton, malgré l'hostilité des Portugais. Louis XIV de même ne se fit représenter par aucun ministre auprès de Kangxi; il se borna à lui écrire une lettre dans le style qui était alors d'usage entre les souverains européens; il préparait cependant déjà l'action de la France en Chine par les missionnaires catholiques qu'il y envoyait; c'est ici le lieu d'indiquer quel fut leur rôle.

Kangxi appréciait, à cause de leur connaissance en mathématiques, les pères jésuites dont l'établissement à Pékin datait de la fin de la dynastie précédente. Il aimait à les avoir auprès de lui peut-être aussi comme des ornements exotiques. En 1682 et 1683, il emmena avec lui le P. Verbiest a de grandes chasses qu'il fit dans la Tartarie orientale et dans la Tartarie occidentale (les très curieuses lettres que Verbiest écrivit en latin pour raconter ces expéditions se trouvent reproduites en français dans l'Histoire des deux conquérants tartares, du P. Joseph d'Orléans, pp. 208-273). Puis, considérant que Verbiest était déjà vieux et qu'il n'aurait plus après sa mort que deux «-mathématiciens », Pereira et Grimaldi, il envoya ce dernier lui en chercher d'autres en Europe; le P. Grimaldi ramena du Siam, où ils avaient accompagné l'ambassadeur de Louis XIV, Chaumont, les cinq jésuites français : Bouvet, Gerbillon, Le Comte, Visdelou et de Fontaney; ils arrivèrent à Pékin le 8 février 1688. Gerbillon sut gagner tout particulièrement les bonnes grâces de l'empereur; peu de mois après son installation à Pékin, lui et Pereira furent, comme on l'a vu plus haut, envoyés à Nertchinsk pour négocier avec les Russes; dans cinq autres occasions, Gerbillon accompagna l'empereur aux grandes chasses ou expéditions militaires qu'il faisait en Tartarie. C'est au crédit de ce religieux qu'on doit le fameux édit de tolérance (22 mars 1692) par lequel Kangxi autorisa l'exercice public de la religion chrétienne.

Vers la fin du règne de l'empereur et sur son ordre, les jésuites menèrent à bien l'entreprise immense de dresser des cartes de tout l'empire. Ce travail fut confié aux pères Bouvet, Régis, Jartoux, Fridelli, Cardoso, Bonjour, de Tartre, Mailla et Henderer; ils entrèrent en campagne en 1708, et les pères Fridelli et Régis ne revinrent du Koeitcheou et du Hou-koang que le 1er janvier 1717. L'oeuvre terminée fut présentée à l'empereur en 1718. Ce sont les cartes des jésuites qui ont servi de base à l'atlas de d'Anville et dont les indications seront suivies, pratiquement jusqu'au milieu du XXe siècle, par les géographes européens pour la plupart des localités de l'intérieur de la Chine.

Le crédit que s'étaient acquis les jésuites par leur science était considérable et autorisait les plus grandes espérances, lorsque la malheureuse question des rites vint singulièrement amoindrir leur situation. Sans entrer dans les détails de cette question très compliquée, il nous suffira de dire que les jésuites de Pékin avaient cru pouvoir identifier Dieu avec le Tien (ciel) ou Chang-ti (empereur d'en haut) adoré par l'empereur, et accepter certaines cérémonies religieuses chinoises. C'était là, dirent leurs ennemis, une compromission fâcheuse avec le paganisme. L'affaire fut portée à la cour de Rome et une commission spéciale fut chargée de l'examiner. Sur le rapport de cette commission, le pape Clément XI donna tort aux jésuites et, par un décret du 20 novembre 1704, il décida que les mots Tien et Chang-ti devraient être dorénavant prohibés et que la seule appellation par laquelle on traduirait le nom de Dieu serait celle de Tien-tchou = maître du ciel. Le pape envoya à Pékin en 1705 Mgr de Conon et en 1720 Mgr Mezzabarba pour exposer ses vues à Kangxi; mais les deux légats furent l'un et l'autre fort mal reçus par l'empereur qui méprisait ces subtilités théologiques. L'intransigeance de la cour de Rome fit perdre aux missionnaires le terrain qu'ils avaient gagné en un siècle d'efforts et prépara les persécutions qui devaient se déchaîner contre le christianisme sous le règne de Yong-tcheng, successeur de Kangxi.

Kangxi mourut le 20 décembre 1722 des suites d'un refroidissement qu'il avait pris à la chasse. Son règne de soixante et un ans coïncida presque avec celui de Louis XIV et fut également glorieux; aussi les écrivains du XVIIIe siècle se sont-ils souvent plu à les mettre en parallèle et ont-ils appelé Kangxi le Louis XIV de la Chine (à moins que Louis XIV n'ait simplement été le Kangxi de la France). (Ed. Chavannes).

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