| Jean VIII est le 110e, pape. Il a été élu le 14 décembre 872, et est mort le 15 décembre 882. Il était né à Rome et était archidiacre de l'Eglise romaine lorsqu'il fut élu. Le 25 décembre 875, il couronna comme empereur Charles le Chauve, qui était venu à Rome et avait gagné la faveur du Sénat et du peuple par ses libéralités, et celle du pape par des promesses de secours contre les Sarrasins, vraisemblablement aussi par des promesses de concours pour l'extension de l'autorité du Saint-Siège sur les Eglises de l'Empire. Ce prince se rendit ensuite à Pavie, pour y recevoir la couronne de Lombardie. Les dix-huit évêques assemblés en concile, à l'occasion de ce couronnement, déclarèrent qu'ils l'élisaient unanimement seigneur et protecteur, mais en lui rappelant que c'était la bonté divine qui l'avait, par l'intercession de saint Pierre et de saint Paul, et par le ministère du pape Jean, leur vicaire, élevé à la dignité impériale, pour l'utilité de l'Église. Le 21 juin 876, deux légats siégeaient avec cinquante évêques français au concile de Pontion, convoqué par ordre de Charles le Chauve : on y confirma l'élection de l'empereur et les actes du concile de Pavie ci-dessus mentionnés; on y agita plusieurs fois l'affaire d'Ansegise, archevêque de Sens, que le pape venait d'instituer primat des Gaules et de la Germanie, et vicaire du Saint-siège en ces contrées, soit pour la convocation des conciles, soit pour toutes autres affaires ecclésiastiques. Il devait notifier aux évêques les décrets du pape, lui faire rapport sur l'exécution, et lui référer les causes majeures. Les évêques répondirent qu'ils respectaient le seigneur Jean, leur père spirituel, souverain pontife et pape universel; tous recevaient avec vénération grande Ies choses que, selon son sacré ministère, il avait décidé dans son autorité apostolique, et ils lui rendaient sur toutes choses l'obéissance qui lui était due. Mais, conformément à l'avis de Hincmar, ils réservèrent expressément les droits des métropolitains. Malgré les instances de l'empereur et des légats, Ansegise ne put obtenir rien de plus. Le titre de primat attribué depuis lors à l'archevêque de Sens n'a jamais été considéré dans l'Eglise gallicane comme conférant juridiction. Les Sarrasins tenaient alors quelques fortes positions dans le sud et le centre de l'Italie, et leurs flottes, venant de la Corse, de la Sardaigne et de l'Afrique, dominaient et ravageaient les côtes occidentales. La plupart des villes et des princes avaient renoncé à les combattre; plusieurs même avaient fait alliance avec eux. Jean seul essaya avec constance de leur résister. Mais tous ses efforts restèrent vains, ainsi que toutes ses instances pour obtenir le secours des princes chrétiens. Lorsque la Campanie fut envahie et dévastée, il dut se soumettre à un tribut annuel de 25,000 marcs d'argent. Il avait soutenu jusqu'à la fin le parti de Charles le Chance. Après la mort de cet empereur (13 octobre 877), Lambert, duc de Spolète, et Adalbert, marquis de Tuscie, occupèrent Rome, et forcèrent les principaux habitants à jurer fidélité à Carloman. Le pape, séquestré dans Saint-Pierre, parvint à s'échapper et à gagner la France par mer (avril 878). ll tint à Troyes (août-septembre) un concile, auquel assistèrent trente évêques et le roi Louis le Bègue, qui y fut couronné. On y excommunia Lambert et ses complices, et on condamna, par anathème sans espoir d'absolution, Formose, évêque de Porto (plus tard pape), et Grégoire, maître de la milice de Rome. A la fin du concile, Jean pria les évêques de le suivre pour la défense de l'Eglise romaine, avec tous leurs vassaux armés. L'année suivante, il rentra à Rome. Malgré son aversion contre Carloman, il dut se résigner à couronner son fils, Charles le Gros (12 février 881). Dans l'ordre religieux, les faits les plus importants de ce pontificat se rapportent aux actes de Jean à l'égard de Photius et de l'Eglise grecque. Ces actes ont provoqué des controverses qui s'agitent encore passionnément aujourd'hui, et où se produisent avec une singulière abondance les accusations réciproques de falsification et de suppression de documents si communes dans l'histoire ecclésiastique. Au concile tenu en 869 à Constantinople après la disgrâce de Photius (VIIIe concile général des Latins), Jean avait été le principal rapporteur, et il avait conclu à l'annulation de l'élection de Photius, comme absolument illégitime. Mais Photius fut rappelé plus tard par l'empereur Basile, qui lui confia l'éducation de ses enfants, et après la mort du patriarche Ignace (23 octobre 878), il fut rétabli sur le siège de Constantinople. Un concile général fut convoqué à Constantinople pour restaurer la paix de l'Eglise. C'est le VIlle concile oecuménique des Orientaux (novembre 879-mars 880), l'assemblée ecclésiastique la plus nombreuse depuis le grand concile de Chalcédoine : 383 évêques. Jean sollicitait alors le secours de Basile contre les Sarrasins; il reconnut Photius, mais en essayant de profiter de cette occasion pour renouveler et faire prévaloir les prétentions de Rome à une suprême juridiction sur toute l'Eglise, et sa revendication de l'Eglise de Bulgarie. Il n'obtint de l'empereur qu'une assistance navale insuffisante contre les agres sions des Sarrasins, et échoua misérablement dans ses deux autres entreprises. Les légats qui le représentaient au concile étaient Paul, évêque d'Ancône; Eugène d'Ostie et Pierre, cardinal-prêtre. Ils prétendirent qu'ils avaient été envoyés pour confirmer Photius dans sa charge et ses dignités; mais on leur fit bientôt comprendre que le patriarche n'avait nul besoin de la confirmation du pape. Dans les lettres qu'ils devaient lire au nom de Jean, ils omirent, avec ou sans son consentement, les énonciations qui imposaient à Photius l'obligation de demander an pape pardon d'occuper illégalement le trône patriarcal, et de reconnaître qu'il devait sa confirmation à la grâce du pape. Ils finirent par dire qu'ils avaient été envoyés pour rétablir l'union dans l'Eglise de Constantinople; mais puisque cette union était déjà rétablie et Photius accepté comme patriarche, ils n'avaient plus qu'à remercier Dieu, le dispensateur de la paix; et ils signèrent en ces termes la réprobation du concile de 869, qui avait condamné Photius : « Je reconnais Photius patriarche légalement élu, j'entre en communion avec lui conformément aux instructions du pape. Je regrette et j'anathématise le concile qui a été convoqué contre Photius, ainsi que tout ce qui a été fait contre lui à l'époque du pape Adrien, de bien heureuse mémoire, et je ne compte pas ce concile au nombre des véritables. » Les instructions écrites qu'ils avaient reçues de Jean (Commonitorium, § 10) comprenaient cette déclaration de nullité : Synodus quae facta est contra Photium... ex nunc sit repecta, irrita et sine robore, et non connumeretur cum altera sancta Synodo. Lorsque les légats réclamèrent la restitution des Eglises de Bulgarie, on leur répondit qua cette question ne concernait que des limites, et qu'il n'était pas opportun de la traiter. — Dans le Ier canon de la Ve séance, le concile décréta l'égalité entre les patriarches de Rome et de Constantinople, et il interdit d'accorder de nouvelles prérogatives au siège de Rome. L'empereur ayant proposé au concile de formuler et de promulguer un modèle de foi pour tous les chrétiens, le représentant du patriarche d'Antioche, les autres métropolitains et les légats répondirent qu'il était préférable de s'en tenir à l'ancien symbole, déjà accepté par tous les chrétiens et confirmé par les précédents synodes oecuméniques. On lut solennellement le symbole de Nicée-Constantinople, lequel fait procéder le Saint-Esprit du Père seulement, et par conséquent ne contient pas le Filioque ajouté par les Latins. Par une décision unanime, on condamna tous ceux qui se permettraient de retrancher, d'ajouter ou de modifier quoi que ce fût à ce symbole. En la séance de clôture, le concile déclara, avec la même unanimité, ennemis de Dieu ceux qui pensaient autrement. Répondant à une lettre que Photius lui avait envoyée dès son rétablissement (878), Jean avait écrit : « Votre envoyé s'est expliqué avec nous; il trouve que nous observons la forme primitive du symbole, que nous n'y ajoutons ni n'en retranchons rien... Non seulement nous ne prononçons pas le symbole avec l'addition Filioque, mais nous condamnons ceux qui le font, comme des gens qui défigurent l'enseignement du Christ, qui violent la parole divine. Mais votre sagesse n'ignore pas qu'il est difficile de faire accepter cette manière de voir à nos autres évêques, de modifier un usage qui s'est enraciné depuis des années. ll nous paraît donc préférable de ne forcer personne à abandonner l'addition, mais d'agir sur eux par la modération et la prudence, en amenant peu à peu à abandonner ce blasphème. » La plupart des auteurs occidentaux contestent l'authenticité de cette lettre. Les Orientaux répondent qu'à l'époque où elle fut écrite, le Filioque, ajouté par le concile de Tolède dès 589, n'avait pas encore été accepté par l'Eglise de Rome, bien qu'il le fût par d'autres Eglises occidentales. Moins d'un siècle auparavant, Léon III (795-816), avait refusé à Charlemagne de l'insérer dans le Credo. Une lettre de Jean (Ad Sfendopulcrum, comitem), dont l'authenticité n'est pas douteuse, montre que personnellement il n'était pas favorable au Filioque. D'ailleurs, entrant en communion avec Photius, qui en était l'adversaire déclaré, il indiquait à tous qu'il ne condamnait pas cette réprobation. On vient de voir que ses légats agirent en conséquence au concile de Constantinople. En refusant de reconnaître les actes de ce concile, Jean ne motiva son refus ni sur les décisions relatives au Filioque, ni sur la condamnation du concile de 869, mais sur ce que Photius n'avait pas demandé pardon de ses torts envers Rome, ni remercié le pape du bienfait qu'il lui avait accordé, en reconnaissant la légitimité de son élection, et sur ce qu'il n'avait pas cédé la Bulgarie. Plusieurs historiens reprochent à ce pape d'avoir abusé des armes spirituelles et d'avoir prodigué les excommunications au point d'en avilir la valeur. Il reste de lui 326 lettres, reproduites dans la collection des conciles de Labbe. On a prétendu que les trois dernières sont apocryphes. (E.-H. V.). | |