Une confession « La porte s'ouvrit : Durtal terrifié n'osa fixer le confesseur, en lequel il reconnut le grand trappiste au profil impérieux, celui qu'il croyait être l'abbé du monastère. Suffoqué, il recula sans proférer un mot. Surpris de ce silence, le prieur dit : « Vous avez demandé à vous confesser, Monsieur ? » Et, sur un geste de Durtal, il lui désigna le prie-Dieu posé contre mur, et lui-même s'agenouilla, en lui tournant le dos. Durtal se roidit, s'éboula sur ce prie-Dieu et perdit complement la tête. Il avait vaguement préparé son entrée en matière, noté des points de repère, classé à peu près ses fautes; il ne se rappelait plus rien. Le moine se releva, s'assit sur une chaise de paille, se pencha sur le pénitent, l'oreille ramenée par la main en cornet, pour mieux entendre. Et il attendit. Durtal souhaitait de mourir pour ne pas parler; il parvint cependant à prendre le dessus, à refréner sa honte; il desserra les lèvres, et rien ne sortit; il resta accablé, la tête dans ses mains, retenant les larmes qu'il sentait monter. Le moine ne bougeait pas. Enfin, il fit un effort désespéré, bredouilla le commencement du Confiteor et dit : «Je ne me suis pas confessé depuis mon enfance; j'ai mené depuis ce temps-là une vie ignoble, j'ai... » Les mots ne vinrent pas. Le trappiste demeurait silencieux, ne l'assistait point. « J'ai commis toutes les débauches..., j'ai fait tout..., tout... » Il s'étrangla, et les larmes contenues partirent; il pleura, le corps secoué, la figure cachée dans ses mains. Et comme le prieur, toujours penché sur lui, ne bronchait point. « Mais je ne peux pas, cria-t-il, je ne peux pas! » Toute cette vie qu'il ne pouvait rejeter l'étouffait; il sanglotait, désespéré par la vue de ses fautes et atterré, de se trouver ainsi abandonné, sans un mot de tendresse, sans un secours. Il lui sembla que tout croulait, qu'il était perdu, repoussé par Celui-là même qui l'avait pourtant envoyé dans cette abbaye! Et une main lui toucha l'épaule, en même temps qu'une voix douce et basse disait : « Vous avez l'âme trop lasse pour que je veuille la fatiguer par des questions; revenez à neuf heures, demain, nous aurons du temps devant nous, car nous ne serons pressés, à cette heure, par aucun office; d'ici là, pensez à cet épisode du Calvaire : la croix, qui était faite de tous les péchés du monde, pesait sur l'épaule du Sauveur d'un tel poids que ses genoux fléchirent et qu'il tomba. Un homme de Cyrène passait là, qui aida le Seigneur à la porter. Vous, en détestant, en pleurant vos péchés, vous avez allégé, vous avez délesté, si l'on peut dire, cette croix du fardeau de vos fautes, et, l'ayant rendue moins pesante, vous avez ainsi permis à Notre-Seigneur de la soulever. Il vous en a récompensé par le plus surprenant des miracles, par le miracle de vous avoir attiré de si loin ici. Remerciez-le donc de tout votre coeur et ne vous désolez plus. Vous réciterez aujourd'hui pour pénitence les Psaumes de la Pénitence et les Litanies des Saints. Je vais vous donner ma bénédiction. » Et le prieur le bénit et disparut. » (J.-K. Huysmans, En route). |