| Henri (Enrique) IV, dit l'Impuissant ou le Libéral, est un roi de Castille, fils de Juan II, né à Valladolid le 25 janvier 1425, mort à Madrid le 11 décembre 1474. A son avènement (1454), il trouva le royaume épuisé par les gaspillages et la folle administration de Juan Il. Le marquis de Villena gouvernait le fils, comme le père l'avait été par le fameux connétable Alvaro de Luna. Du vivant de Juan II, Henri IV, alors infant, avait épousé Blanche de Navarre, soeur de Carlos de Viana. N'en ayant pas eu d'enfant, ce qu'il attribuait à un sort jeté sur lui par sa femme, il la répudia pour s'unir à Juana de Portugal (1455). Le commencement de ce triste règne fut marqué par plusieurs expéditions contre les Maures. Henri IV conduisit 50,000 hommes de pied et 14,000 chevaux contre les Musulmans. Cette armée, formidable pour l'époque, ne fit autre chose que ravager la Vega de Grenade et s'en revint sans même avoir livré bataille, indignée contre le roi et prête à la révolte (1455). L'année d'après, la guerre sainte recommença sans plus de succès; il fallut licencier les troupes. En 1457, la lutte reprit. Les Castillans arrivèrent jusque devant Grenade. Les Maures consentirent à payer 12,000 ducats par an et délivrèrent 600 captifs chrétiens. Malgré la trêve, il fut convenu que la guerre continuerait sur la frontière de Jaen. Le pape Calixte III venait d'expédier en Espagne une bulle de croisade « pour les vivants et pour les morts ». Quiconque aurait combattu les infidèles ou payé 200 maravédis, recevait de droit l'absolution de tout péché à l'heure dernière; ceux qui tombaient sur le champ de bataille étaient affranchis du purgatoire. Au commencement de 1462, la reine mettait au monde une fille, Juana, celle à qui l'on donna l'infamant surnom de Beltraneja (fille de Beltran), car Beltran de La Cueva, comte de Ledesma, favori du mari, passait pour le véritable père de l'enfant. On accusait le roi d'avoir encouragé l'inconduite de sa femme, dans l'espoir d'obtenir ainsi un héritier. La nation tout entière déclarait Juana bâtarde. Un an après, à la fin d'avril, Henri IV et Louis XI se rencontrèrent sur la Bidassoa, pour régler entre eux les affaires de Navarre et d'Aragon. (Henri IV soutenait les Catalans révoltés contre Juan II.) « Le roy de Castille estoit laid, dit Commines, qui tenait ces détails de Louis XI lui-même, et ses habillemens déplaisans aux François qui s'en moquèrent. » Les Castillans, couverts de drap d'or, de perles et de pierreries, plaisantaient la pauvre mine de Louis XI, son vêtement trop court, sa madone de plomb. « Ainsi se départit cette assemblée pleine de moquerie et de pique; et oncques puis ces deux roys ne s'entr'aimèrent. » (Liv. II, ch. VIII). Cependant la noblesse de Castille, indignée par l'incapacité de Henri IV, était sur le point de se révolter. L'archevêque de Tolède et Juan Pacheco, marquis de Villena, s'unirent aux Manrique, au maître de Calatrava, Pedro Giron, et aux comtes d'Albe et de Plasencia. Le roi d'Aragon soutenait la ligue. Tous prétendaient que l'infante Juana ne pouvait hériter de la couronne, étant née d'un adultère. Le marquis de Villena voulut même s'emparer du roi à Ségovie. Il envahit le palais avec une troupe d'hommes d'armes. Henri IV dut céder. Son frère, l'infant don Alonso, était déclaré héritier de Castille à la condition d'épouser doña Juana. Beltran renonçait à la grande maîtrise de Santiago. Don Alonso, âgé de onze ans, vint recevoir le serment de fidélité (1464). Pour répondre à l'accusation d'impuissance, Henri IV eut la singulière idée de faire examiner la chose par les évêques de Carthagène et d'Astorga, chargés d'entendre et de discuter les témoignages. Les deux prélats rendirent cette sentence : le roi de Castille, incapable de procréer avec une première femme (Blanche de Navarre), a retrouvé sa virilité dans le lit d'une seconde épouse, Juana de Portugal. Malgré cette ridicule attestation, la guerre civile reprit avec plus de violence. Hors des murs, devant Avila, les rebelles élevèrent un échafaud où siégeait l'image de Henri IV, revêtue des ornements royaux. Un héraut lut, devant la noblesse et le peuple assemblés, une longue liste des fautes et prétendus crimes du souverain. Pendant la lecture du jugement, au milieu des moqueries et des outrages, on arrachait à la statue la couronne, le sceptre et le manteau. Pour compléter la déchéance, elle fut précipitée du trône sur le sol et don Alonso acclamé roi de Castille et Léon (5 juin 1465). Tant d'humiliations rendirent quelques partisans au pauvre Henri IV. Les royalistes livrèrent bataille aux rebelles, à Olmedo, combat incertain qui ne finit qu'à la nuit (20 août 1467). Le roi n'y prit aucune part, s'étant éloigné avant le commencement de la lutte. Il errait à travers le royaume, méprisé, honni partout, déshonoré par la reine qui venait d'avoir deux enfants adultérins. L'infant don Alonso mourut le 5 juilllet 1468, et doña Isabelle, soeur de Henri IV, devint héritière de la monarchie. Le 19 septembre les nobles révoltés firent leur soumission, ou plutôt la vendirent fort cher. Le marquis de Villena était rétabli dans tous ses honneurs, plus puissant qu'autrefois. Isabelle avait juré de ne pas se marier sans le consentement de son frère; elle n'en épousa pas moins l'infant Ferdinand d'Aragon, fils de Juan Il (18 octobre 1469). La Castille était plus troublée que jamais : l'Andalousie refusait obéissance au roi; une partie des chevaliers d'Alcàntara faisaient la guerre à leur grand maître; les Basques se battaient entre eux. Comme pour augmenter encore la confusion, Henri IV, brouillé avec Isabelle qu'il avait déshérité, maria sa prétendue fille au duc de Guyenne, frère de Louis XI (26 octobre 1470). Le duc, qui ne vint jamais en Espagne, mourut deux ans après ce mariage, sans même avoir vu l'infante. Loin de diminuer, les troubles augmentèrent encore vers la fin du règne : pillages des Maures en Andalousie (1471); séditions à Tolède, à Ségovie, guerre des nobles entre eux (1472); intrigues de Ferdinand et d'Isabelle, tueries de Juifs. On commença par massacrer les convertis (cristianos nuevos) à Cordoue, puis dans toute l'Andalousie. L'abjuration les avait sauvés jusqu'à ce jour. A Jaen, le connétable Miguel Iranzu, qui voulut protéger les victimes, périt assassiné dans l'église pendant la messe. Sa femme et ses enfants échappèrent à grand peine aux meurtriers. Ce crime resta sans châtiment (1473). Henri IV venait de se réconcilier avec Ferdinand et Isabelle, à Ségovie, quand il tomba malade à la suite d'un repas dans le palais épiscopal de cette ville. Le peuple prétendit qu'on l'avait empoisonné. Le roi en 1474, à Madrid, presque en même temps que l'ancien favori, le marquis de Villena, celui dont les violences et la rapacité avaient tant contribué à ruiner la Castille. Il est juste de reconnaître que si Henri IV fut faible, couard, prodigue, faux-monnayeur et dissolu, on ne peut lui reprocher un seul acte de cruauté; il ne pardonnait que trop souvent. Les seigneurs et le peuple, réunis à Ségovie, proclamèrent Isabelle Ire, surnommée la Catholique, femme de Ferdinand d'Aragon. (Lucien Dollfus). | |