"En
attendant, me vois-tu essayant toujours de répondre à des
questions telles que : y a-t-il une réalité derrière,
extérieure, consciente et à jamais présente, etc.
accessible par n'importe quelles voies acceptables pour toutes les religions
et croyances et adaptables à tous les climats et pays?"
(
Malcolm Lowry). |
Plus que deux ans
à vivre. Voilà ce que peut encore espérer Stephen
Hawking, qui vient tout juste de fêter ces 21 ans, lorsque en février
1963, les médecins diagnostiquent le mal qui vient de l'atteindre.
Une maladie neuromotrice incurable. Le brillant étudiant en physique
de Oxford, à l'époque vaguement à la recherche d'un
sujet de thèse, sombre alors dans la dépression. Il brûle
ses jours et noie ses nuits dans l'alcool. Mais les mois passent et le
mal semble se stabiliser et, surtout, Stephen a rencontré Jane.
Jane Wilde, une étudiante préparant un doctorat en littérature
médiévale portugaise, qu'il a connue tout juste quelques
semaines avant que ne se déclare la maladie. C'était au cours
du réveillon du jour de l'an. Typiquement, le rituel par lequel
nous exorcisons d'ordinaire le temps qui passe...
Jane et Stephen se marient et trois enfants
naîtront de leur union. Désormais en charge d'une famille,
Hawking doit trouver un travail, devenir professeur, et donc en finir avec
cette affaire de thèse. C'est alors qu'il découvre un article
de Roger Penrose sur les trous noirs. Ces impasses du temps, où
tout est englouti à jamais, explique le physicien, conduisent nécessairement
à la formation d'une singularité. Comment cela n'aurait-il
pas constitué un déclic pour un Hawking, plus que tout autre
pénétré du sens de l'inéluctable? Comment aussi
le jeune homme n'aurait-il pas été tenté alors de
renverser, au moins par la pensée, le cours impitoyable des choses?
Il comprend ainsi qu'il suffit d'inverser la flèche du temps pour
que les résultats de Penrose concernent également du big
bang. Il tient son sujet de thèse.
Au cours des années 1970, alors
que la progression de la maladie le condamne peu à peu au fauteuil
roulant, Hawking se consacre à l'étude des trous noirs. Mêlant
relativité générale et physique quantique, il montre
que, contre toute attente, ces objets rayonnent de l'énergie. Il
s'évaporent... On peut attribuer aux trous noirs une température,
une entropie, et cela restera certainement sa grande découverte.
En 1974, Hawking accède à la chaire de mathématiques
occupée avant lui par Isaac Newton et Paul
Dirac, à Cambridge. A partir de 1980, le physicien se tourne
vers la cosmologie quantique. Avec James Hartle, de l'université
de Californie, il commence à envisager sa célèbre
hypothèse "pas de bord", conduisant à lisser la singularité
initiale du big bang par des effets quantiques. L'ironie veut que ce soit
au Vatican, lors d'une conférence
organisée par les jésuites, qu'il présente pour la
première fois cette théorie Une théorie selon laquelle,
écrira-t-il plus tard, "l'univers se contient tout entier, n'ayant
ni frontières ni bords, il ne devrait avoir ni commencement ni fin
: il devrait simplement être", avec, à la clé, la question
: "quelle place reste-t-il alors pour un créateur?". On comprend
que l'entrevue avec le Pape qui a suivi la conférence se soit terminée
sur un malentendu!
Dieu va pourtant devenir le centre de la
réflexion du physicien. Mais un Dieu à sa façon. Car
Stephen Hawking, qui à l'âge de 13 ans, lisait et admirait
le mathématicien Bertrand Russell,
et qui, devenu adulte, se déclare toujours fidèle au héros
de sa jeunesse, se veut, comme lui, athée. Son Dieu, c'est donc
plutôt le "Dieu des savants et des philosophes", déjà
évoqué par Blaise Pascal, bien différent
du Dieu personnel, doué de conscience et de volonté, des
religions. Il s'agit d'un Dieu qui, avant de répondre aux tourments
de l'Homme, a vocation à résoudre ce mystère qu'est
l'ordre et de l'intelligibilité de l'univers.
En 1985, une trachéotomie consécutive
à une pneumonie emporte la voix du physicien. Sa santé ne
cesse de se dégrader et nécessite des soins de plus en plus
lourds. Hawking, qui a alors besoin d'argent pour payer ses infirmière
écrit et publie en 1988, sa Brève histoire du temps.
Un ouvrage dont on a dit qu'il avait été le livre scientifique
le plus acheté de toute l'histoire, et aussi le moins lu. Mais surtout
un livre où Hawking se montre de nouveau préoccupé
d'inverser le cours du temps ou, plutôt, cette fois, de le nier,
de figer dans le chaud cocon de l'être la marche d'un devenir, qui
ne serait plus que pure illusion. Prophète d'une fin prochaine de
la physique, Hawking vise ouvertement à la connaissance de "la pensée
de Dieu". Cette expression qui termine son ouvrage vient en écho
à une phrase d'Einstein, qui affirmait lui aussi n'être intéressé
que par la pensée de Dieu, à côté de quoi tout
le reste n'était que vétille...
Dans un livre-dialogue reprenant le texte
de conférences données en 1994 avec Roger Penrose, Hawking
se montre hanté par la perte irrémédiable du sens
des choses. On découvre alors, en filigrane, un penseur plus que
jamais taraudé par cette question à laquelle les religions,
et aujourd'hui aussi la cosmologie scientifique, prétendent apporter
la réponse ultime - cette même question qui, pour chacun de
nous, accompagne immanquablement tous les désastres : pourquoi? |