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La Guerre de la Succession d'Espagne
La Guerre de la Succession d'Espagne est une guerre soutenue de 1702 à 1714 pour l'attribution de la succession d'Espagne, par la France, le roi d'Espagne et la Bavière, contre le prétendant autrichien et l'Autriche, la Prusse et les principaux Etats allemands, la Hollande, l'Angleterre, le Portugal, la Savoie.

La succession d'Espagne s'ouvrait par l'extinction de la descendance masculine de Charles-Quint à la mort de Charles II, mort prévue et escomptée depuis une trentaine d'années. Elle comprenait :

• En Europe, les royaumes de Castille et d'Aragon, celui de Navarre enlevé aux Bourbons, la plus grande partie de l'Italie (Sicile, Naples, Sardaigne, Présides de Toscane, marquisat de Finale), les Pays-Bas, reste des possessions des Valois de Bourgogne enlevées à la France;

• En Afrique, Ceuta, Melilla, Oran, les îles Canaries, etc.; 

• En Amérique, la Floride, le Mexique, la Nouvelle-Grenade (La Colombie), le Pérou, le Chili, le Rio de la Plata (Argentine, Uruguay), Cuba, Porto Rico, Trinidad

• En Océanie, les Philippines et les Carolines

A défaut d'héritiers mâles, la succession revenait aux lignes féminines; en première ligne, les tantes du roi mourant, soeurs de Philippe IV et filles de Philippe III l'aînée, Marie-Thérèse, avait épousé Louis XIV; morte en 1683, elle laissait un fils, le grand dauphin, père lui-même de Louis, duc de Bourgogne; Philippe, duc d'Anjou, et Charles duc de Berry; la renonciation à ses droits imposée à Marie-Thérèse était sans valeur parce qu'elle n'avait pas été sanctionnée par les Cortés et que la dot n'avait pas été payée; le plus proche héritier était donc le futur roi de France; après lui venaient les descendants de la seconde fille de Philippe III, Marguerite-Thérèse, mariée à l'empereur Léopold Ier; elle n'avait laissé qu'une fille Marie-Antoinette (morte en 1692), mariée à l'électeur de Bavière Maximilien-Emmanuel, union dont était né le jeune Ferdinand-Joseph, prince électoral de Bavière. C'est de sa troisième femme, princesse de Neubourg, que Léopold Ier avait eu deux fils, Joseph et Charles, qui furent empereurs; aussi invoquait-il non pas les droits de sa femme (niant ceux de sa fille qu'il déclarait y avoir renoncé), mais ceux de sa mère Marie-Anne, fille de Philippe II et soeur de Philippe III, soeur cadette aussi d'Anne d'Autriche, la mère de Louis XIV; seulement Anne d'Autriche avait officiellement renoncé à ses droits en épousant Louis XIII

En somme, les titres des Bourbons et des Habsbourg d'Autriche étaient équivalents; de part et d'autre d'ailleurs, pour éviter d'effrayer l'Europe d'une monarchie universelle et les peuples d'une fusion antinationale, on annonçait l'intention de faire bénéficier des droits un cadet, le second fils de l'empereur ou le second fils du grand dauphin. L'intérêt évident de la France était un démembrement de la monarchie espagnole qui lui restituerait les Pays-Bas ou au moins la Flandre, la Navarre, héritage des Bourbons, et même la Catalogne, pays provençal abandonné au XIIIe siècle et presque reconquis par Richelieu. Aussi Louis XIV avait-il conclu, le 20 janvier 1668, avec son beau-frère, l'empereur Léopold ler, un traité secret de partage éventuel, qui attribuait aux Habsbourg d'Autriche l'Espagne et ses colonies, le Milanais, la Sardaigne; - à la France : les Pays-Bas et la Franche-Comté, la Navarre, Naples et la Sicile, les îles Philippines.

Mais de part et d'autre on y avait renoncé. A Madrid, le parti national ou castillan inclinait vers un cadet de France; la reine autrichienne agissait pour l'archiduc Charles; le roi, désireux de sauvegarder l'intégrité de sa monarchie, adopta le prince électoral de Bavière (1698). Louis XIV signa avec Guillaume III d'Angleterre et Heinsius, grand pensionnaire de Hollande, deux traités secrets (28 septembre et 11 octobre 1698), qui assuraient au dauphin de France le Guipuzcoa, Finale, acquisitions utiles, et de plus les Deux-Siciles et les Présides de Toscane qu'on eût peut-être pu troquer pour la Savoie et le Piémont ou pour les Pays-Bas; l'empereur ne recevait que le Milanais; le prince électoral de Bavière et, à son défaut, son père, aurait l'Espagne avec ses colonies, les Pays-Bas et la Sardaigne.

La mort subite du prince de Bavière (8 février 1699) remit tout en question. Un nouveau traité franco-anglo-néerlandais (13 et 25 mars 1700) accrut la part de la France de la Lorraine dont le duc passerait dans le Milanais et promit la part du Bavarois à l'archiduc Charles; l'empereur informé refusa; on le prévint que, deux mois après la mort de Charles Il, s'il persistait dans son refus, la part de son fils serait attribuée au duc de Savoie

Les Espagnols et leur roi étaient indignés de ces pactes où on disposait d'eux sans leur aveu. Le parti national fit décider à l'unanimité dans le Conseil du roi d'offrir l'héritage entier au duc d'Anjou; le pape consulté appuya; le 2 octobre 1700, Charles II rédigea en ce sens son testament, stipulant la perpétuelle séparation des couronnes d'Espagne et de France. Le 1er novembre, il mourut; Louis XIV avisé le 9 accepta le 16, après une semaine d'hésitation; l'ambition dynastique prévalut sur l'intérêt national.

Les puissances maritimes hésitèrent d'abord et ne se décidèrent à la guerre qu'à la suite d'une série de provocations de Louis XIV : réserve des droits de Philippe V à la couronne de France (3 février 1701), établissement de l'autorité française sur les Pays-Bas et de garnisons françaises dans les sept places de la Bavière occupées par les Hollandais (6 février); octroi du privilège de la traite des esclaves en Amérique à la Compagnie française de Guinée (27 août); reconnaissance du titre de roi d'Angleterre au fils de Jacques II, mort à Saint-Germain (septembre 1701). Les propositions transactionnelles des puissances maritimes (éloignement des Français des Pays-Bas, remise d'Ostende et Nieuport aux Anglais, égalité commerciale avec la France dans les colonies espagnoles, dédommagement territorial à l'empereur) furent écartés. 

L'empereur, qui, dès l'entente anglo-française de 1700, s'était assuré du concours de la Prusse en lui octroyant le titre royal, s'assura du concours du Hanovre dont il fit un électorat, de la plupart des Etats de l'Empire, de la neutralité des royaumes du Nord, agita l'Italie, l'ancien royaume d'Aragon et, par son entente avec les puissances maritimes, reconstitua le 7 septembre 1701 la grande coalition contre la France. Le 4 mai, la Grande-Bretagne déclara la guerre à Louis XIV et à Philippe V; le 8 mai, les Provinces-Unies, le 15 mai l'empereur en firent autant. Les Bourbons n'avaient pour alliés que le duc de Savoie et les Wittelsbach, électeurs de Bavière et de Cologne. La détresse financière de la France et de l'Espagne rendit la guerre plus pénible d'année en année.

Elle commença en Italie où le prince Eugène força, malgré Catinat, le passage de l'Adige (11 juillet 1704), défit Villeroy à Chiari, le prit à Crémone (1er février 1702), mais fut mis en échec par Vendôme, lequel envahit le Tyrol. La défection du duc de Savoie, qui vendit son alliance à l'empereur pour le Montferrat, Alexandrie, la Lomelline et le val Sesia (traité de Turin, 25 octobre 1703), força Vendôme à reculer. 

En Espagne, les galions d'Amérique avaient été brûlés en rade de Vigo avec leur escorte française (octobre 1702); le roi du Portugal, gagné à l'Angleterre (16 mai 1703 et traité de Methuen, 27 décembre 1703), ouvrait Lisbonne à l'archiduc Charles; l'amiral Rooke s'emparait de Gibraltar (4 août 1704) et soutenait contre la flotte française du comte de Toulouse la bataille de Malaga (24 août). 

Aux Pays-Bas, les Anglo-Hollandais de Marlborough, le grand général de l'époque, forcent la ligne de la Meuse, prennent Liège, Venloo, Roermond; ils conquièrent l'archevêché de Cologne, la Gueldre et le Limbourg; les querelles entre Marlborough et les Hollandais les arrêtent cependant. 

En Allemagne, Catinat, trop prudent, laisse prendre Landau (9 septembre 1702), mais Villars passe le Rhin, défait Louis de Bade à Friedlingen (14 octobre 1702); la Lorraine est occupée. Villars prend Kehl et, débouchant par le Danube en Bavière, quoique paralysé par la mollesse de l'électeur, il bat les Allemands à Hochstaedt (20 septembre 1703). Il appelle l'armée du Rhin qui a, sous Tallard, gagné la bataille de Spire (14 novembre), afin d'envahir l'Autriche et de se joindre, le cas échéant, aux Hongrois insurgés. Mais les mésintelligences de Villars et de l'électeur exaspèrent le général français qui demande son rappel et est remplacé par l'incapable Marsin. Sentant le danger, le prince Eugène accourt des bords de l'Adige et Marlborough des bords de la Meuse pour s'unir sur le Danube et arrêter l'offensive française; ce fut l'opération décisive de la guerre; Tallard et les Franco-Bavarois furent complètement défaits à Hochstaedt le 12 août 1704; l'Allemagne du Sud perdue, Landau repris. La France est réduite désormais à la défensive; affaiblie par la terrible insurrection des Camisards difficilement comprimée par Villars à la fin de 1704.

Aux Pays-Bas, la campagne de 1705 fut insignifiante, mais en 1706, l'incapable Villeroy se fit battre à Ramillies (23 mai), ce qui entraîna la perte d'Anvers, Ostende et Bruxelles. 

Villars emporte les lignes de Stolhofen, envahit l'Allemagne et essaie de décider Charles XII de Suède à apporter à la France un concours qui eut été décisif. Mais en Italie, Vendôme, qui avait refoulé le prince Eugène et châtié le due de Savoie, est remplacé par l'incapable Marsin, le duc d'Orléans et La Feuillade, lesquels sont complètement battus devant Turin (7 septembre 1706).

L'Italie est perdue, et on se borne à défendre la ligne des Alpes. L'invasion des Impériaux en Provence (11 juillet 1707) échoue devant Toulon; mais, en août 1707, l'empereur occupe le royaume de Naples; les Anglais occupent la Sardaigne, puis Minorque (août 1708). En Espagne, Barcelone a été prise, et les Catalans se rallient à l'archiduc; Philippe V n'a plus que le royaume de Castille; Ruvigny le chasse même de Madrid, mais Berwick la reprend (4 octobre 1700) et écrase les alliés à Almanza (25 avril 1707), ce qui lui rend l'Aragon.

La campagne de 1708, est gâtée aux Pays-Bas par la lâcheté du duc de Bourgogne, qui ordonne la retraite d'Oudenarde (11 juillet) et la fait dégénérer en déroute, puis refuse de secourir Lille qui succombe après une héroïque résistance de quatre mois (10 décembre 1708); la France était entamée.

Louis XIV essaie d'obtenir la paix, les vainqueurs étant presque aussi épuisés que lui; il ne demande plus que Naples pour Philippe V; les alliés ripostent en exigeant la cession de Strasbourg, Lille, Pignerol, etc. (préliminaires de La Haye, 29 mai 1709). La rupture des pourparlers est suivie de la sanglante bataille de Malplaquet et de la perte de Mons. En 1710, aux conférences de Gertruydenberg on prétend exiger de Louis XIV qu'il détrône lui-même son fils; Villars arrête les progrès des alliés qui ne prennent que quelques villes (Douai, Béthune, Saint-Venant, Aire); les Allemands sont battus en Alsace; le corps anglais débarqué à Sète est refoulé; Duguay-Trouin s'empare de Rio de Janeiro (septembre 1740), mais l'Acadie est conquise par les Anglais d'Amérique. Cette année vit l'issue de la lutte en Espagne. Privé de troupes françaises, Philippe V est battu à Almenara et à Saragosse, et l'archiduc amené à Madrid par Stanhope et Starhemberg; mais ils sont obligés de reculer; Vendôme écrase et capture l'armée anglaise à Brihuega et aussitôt après l'armée autrichienne à Villa Viciosa (11 décembre 1710). L'archiduc est réduit à Barcelone. 

En 1711, la défensive est maintenue sans événement sérieux par Berwick sur les Alpes, d'Harcourt sur le Rhin, Villars en Flandre. La mort de Joseph Ier (17 avril 1711) fait de Charles un empereur, sur la tête duquel on hésite désormais à réunir les couronnes espagnoles, que d'ailleurs, il a perdues définitivement sur les champs de bataille. La guerre n'a plus d'objet pour l'Angleterre, où les tories, remontés au pouvoir, offrent la paix à Louis XIV; les préliminaires sont signés le 8 octobre 1711. Un congrès s'ouvre à Utrecht le 29 janvier 1711, et les troupes anglaises se retirent au moins officiellement. Le prince Eugène qui veut marcher sur Paris par la trouée de l'Oise, assiège Landrecies, mais Villars force ses lignes à Denain et désorganise son armée (24 juillet 1712); il reprend Douai, Le Quesnoy, Bouchain. La paix est signée à Utrecht le 11 avril 1713 entre la France d'une part, l'Angleterre, les Provinces-Unies, la Prusse et la Savoie de l'autre; puis entre l'Espagne et ces diverses puissances; le Portugal suivit.

L'empereur qui s'entêtait dut céder après la campagne d'automne (1713) limitée d'un commun accord au Rhin; Villars eut le dessus sur le prince Eugène, prit Landau, Spire, Fribourg (3 novembre); la paix fut conclue à Rastadt le 7 mars 1714, et l'Empire y adhéra à Baden le 7 septembre 1714. La reprise de Barcelone par Berwick en septembre 1714 fut le dernier acte de la guerre; toutefois, Charles VI ne reconnut Philippe V qu'en 1725.

Le résultat de la guerre de succession d'Espagne fut : 

1° l'amoindrissement de l'Espagne qui perdit ses posses sions d'Italie, et les Pays-Bas, plus Minorque et Gibraltar cédés aux Anglais ; 

2° l'affaiblissement de la France qui perdit Tournai, Ypres, Furnes, démantela Dunkerque, céda aux Anglais l'Acadie, Terre-Neuve et la baie d'Hudson, aux Portugais presque toute la Guyane; la seule compensation était de placer un Bourbon sur le trône d'Espagne, mais cet avantage, flatteur pour l'orgueil dynastique, entraînait la renonciation à tout espoir d'agrandissement aux dépens de l'Espagne, et si la frontière des Pyrénées, peu dangereuse en somme, se trouvait garantie, Louis XV allait par solidarité dynastique gaspiller ses forces dans les aventures italiennes.

L'Autriche acquiérait le Milanais, la Sardaigne, Naples, les Présides et de plus les Pays-Bas. Les vrais vainqueurs étaient les Anglais qui obtenaient, outre leurs conquêtes, de larges privilèges commerciaux dans les colonies, espagnoles. En outre, deux nouveaux royaumes surgissaient qui assuraient aux Hohenzollern et à la maison de Savoie une importance grandissante. La Hollande garantit sa frontière, mais passe au rang de satellite de l'Angleterre, de même le Portugal; ces deux anciens clients de la France sont, comme la Suède, victimes de la politique nouvelle où les ont conduites l'intolérance de Louis XIV et la diplomatie anglaise. Les maisons de Bourbon et de Habsbourg sont également épuisées par leur rivalité séculaire. (A.-M. B.).
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