|
. |
|
Grégoire
Ier, dit le Grand , docteur
et père de l'Eglise latine, 66e
'pape, consacré le 3
septembre 590, mort le 12 mars 604. Bossuet
l'appelle le plus savant de tous les papes. Il était né à
Rome vers 540, de famille sénatoriale opulente et dans laquelle
la sainteté paraît avoir été héréditaire.
Vers l'âge de trente ans, il fut nommé préfet de la
Ville par l'empereur Justin Il. A la mort de son père, il ne garda
pour lui-même qu'une faible portion de son patrimoine et il employa
le reste à des oeuvres pieuses, parmi lesquelles la fondation de
six couvents en Sicile et du couvent de Saint-André à Rome.
Puis il se fit moine et se livra à des austérités
qui affaiblirent sa santé pour toute sa vie. Benoît Ier
(574-578) le retira de son couvent pour le sacrer un des sept diacres régionnaires
de l'Eglise de Rome, et l'envoya comme apocrisiaire à Constantinople.
Dès son accession à la papauté, Pélage Il lui
confia auprès de l'empereur une mission difficile qui fut remplie
avec succès. Revenu à Rome, Grégoire sollicita avec
instances et obtint la permission de rentrer dans son couvent; il en fut
nommé abbé et il y maintint la discipline avec une rigueur
qui fut, en certains cas, poussée jusqu'à la cruauté.
Lorsque Pelage mourut (8 février 590), le Sénat, le clergé
et le peuple furent unanimes pour élire Grégoire. Dans une
lettre que les Romains interceptèrent, il supplia l'empereur de
refuser son approbation à cette élection. Quand le décret
qui la confirmait fut apporté à Rome, il s'enfuit et se cacha
dans une forêt. Selon une légende, il y fut miraculeusement
découvert, une colombe, volant devant ceux qui le cherchaient, leur
ayant montré le chemin qu'ils devaient suivre. Une autre légende
dit que c'était une lumière comme celle qui avait conduit
les mages à l'étable de Bethléem. Ramené triomphalement
à Rome, Grégoire fut consacré, après une résistance
qui avait duré près de sept mois. Sur le siège pontifical,
il ne cessa jamais de déplorer cette élévation et
de regretter son couvent, expulsant de son entourage tous les serviteurs
laïques, observant du régime monastique tout ce qu'il pouvait
en garder, s'efforçant de soumettre le clergé séculier
à une discipline analogue ou, au moins, de le réduire à
une chasteté intacte. A l'égard des moines, il travailla
avec persévérance à consolider et à développer
l'oeuvre entreprise, dans la première partie de son siècle,
par saint Benoît, et il y mit tant de zèle qu'on lui a donné
le titre de pater monachorum et attribué, non seulement les Dialogues
dans lesquels sont narrés les travaux et les miracles les plus étranges
de ce saint, mais même la rédaction de la règle bénédictine.
Lorsque Grégoire avait été élu, les empereurs ne conservaient plus guère en Italie que Rome et l'exarchat de Ravenne. Le reste était occupé par les Lombards, et les efforts tentés pour les contenir ne servaient qu'à fournir aux exarques un prétexte pour imposer au peuple des taxes de guerre accablantes, et aux Lombards l'occasion de pousser leurs ravages jusqu'aux portes de Rome. En fait, l'évêque se trouvait être le chef du gouvernement, dans cette ville sans cesse menacée de guerre et de famine. Dans ces conditions, Grégoire fit preuve d'éminentes qualités, s'appliquant, avec autant de diligence que d'équité, à l'administration des nombreux domaines que son siège possédait en divers pays, et employant la part qui lui appartenait légitimement dans les revenus pour donner aux Romains des secours dont il surveillait lui-même la distribution. Néanmoins, les résultats de ses efforts paraissent avoir été fort divers; ils n'obtinrent un succès quelque peu sensible que lorsque les princes lombards et avec eux la plupart de leurs sujets eurent été convertis de l'arianisme au catholicisme (599), sous l'influence de leur reine, Théodelinde, avec laquelle Grégoire entretenait une correspondance singulièrement louangeuse. Encore Rome était-elle livrée à une affreuse famine au moment où il mourut. L'affaiblissement de la puissance des empereurs en Italie affranchissait Grégoire de la sujétion à laquelle ses prédécesseurs avaient été soumis. Dans ses rapports avec la cour de Constantinople, il usa plus d'une fois de fermeté, mais tout en gardant le ton d'une profonde déférence, sans jamais excéder les termes de la sollicitation ou de la remontrance, et sachant se taire quand il n'avait pas obtenu ce qu'il demandait. Il aimait d'ailleurs à écrire aux princes afin d'obtenir leur concours pour l'oeuvre qu'il avait entreprise dans l'Eglise, et ses lettres surabondent en formules adulatrices. Celles qu'il écrivit à Brunehaut, l'engageant à user de son pouvoir pour corriger les vices du clergé et contraindre les païens à se convertir, scandalisent ceux qui connaissent le témoignage de l'histoire sur cette reine. Les mesures destinées à amener et, quand il était nécessaire, à contraindre à la conversion les hérétiques, les schismatiques, les païens et les juifs, tiennent une grande place dans les actes et dans les lettres de ces papes. L'arianisme avait été détrôné en Afrique, dès 534, par la défaite des Vandales; il le fut en Espagne, dans l'année qui précéda l'élection de Grégoire (589), par l'abjuration du roi Reccarède; de même en 599, chez les Lombards, par la conversion dont nous avons parlé plus haut; mais il était resté des ariens en ces pays, des donatistes aussi en Afrique et des manichéens en Sicile, des païens dans la plupart des campagnes, et des juifs dans beaucoup de villes. Contre les hérétiques et les païens, Grégoire réclamait et pratiquait les mesures les plus rigoureuses (verberibus et cruciati- bus), lorsque la persuasion se montrait
impuissante. A l'égard des juifs, il préférait les
moyens de corruption, tels que la remise aux convertis des taxes dues à
l'Eglise. Il ne se dissimulait pas que ces procédés pouvaient
produire des soumissions hypocrites et sacrilèges; mais il
se rassurait en espérant que les enfants des convertis deviendraient
des catholiques sincères (Epist., IV et XII, 30). Malgré
ses efforts pour le supprimer, le schisme causé par la condamnation
des Trois Chapitres persista en diverses contrées, notamment en
Istrie, l'empereur ayant refusé d'user de force pour réduire
les évêques de cette province. Les missionnaires de Grégoire
eurent quelques succès en la conversion des Saxons d'Angleterre.
« Ces conciles sont la pierre angulaire sur laquelle repose tout l'édifice de la foi, la règle des actions et de la vie de tout homme, un fondement en dehors duquel personne ne doit bâtir. »Cependant, sans jamais se départir de son respect envers les conciles généraux, il proclama toujours, avec une infatigable énergie, la primauté du siège de Rome. Non seulement il rechercha toutes les occasions d'étendre son influence et son autorité sur toutes les parties de l'Eglise latine; mais il tenta plus d'une fois, avec des succès divers, d'exercer juridiction dans le ressort des Eglises d'Orient. Il affirmait même que l'Eglise de Constantinople était assujettie au siège de Rome, prétendant d'ailleurs qu'il n'y avait pas d'évêque qui n'en fût justiciable « lorsqu'il commettait une faute ». Une cause qui passionna la dernière partie de sa vie et qui, en une très mémorable circonstance, paraît lui avoir fait perdre tout sens moral, fut la reprise de la protestation commencée par Pélage, son prédécesseur, contre le titre de patriarche oecuménique, c.-à-d. universel, que prenait Jean le Jeûneur de Constantinople. Ce titre, donné déjà à d'autres patriarches de Constantinople, par les empereurs Léon et Justinien, avait été formellement approuvé, pour lui et ses successeurs, par un synode de l'Eglise orientale tenu à Constantinople (588). Jean le Jeûneur, que les Grecs ont mis au rang de leurs saints, était révéré à cause de ses austérités, de son désintéressement et de sa piété. Pendant les cinq premières années de son pontificat, alors que Jean portait déjà le titre de patriarche oecuménique, Grégoire avait entretenu avec lui des relations fraternelles et parfois exprimé une haute estime. Mais en 595 il chargea son apocrisiaire à Constantinople de réclamer la suppression du titre auprès du patriarche, de l'empereur et de l'impératrice. Cette première démarche n'ayant réussi qu'à faire exclure l'apocrisiaire de la communion du patriarche, Grégoire s'adressa directement à Jean, à l'empereur et tout particulièrement à l'impératrice. Ses lettres, d'un style excessivement violent, contiennent des déclarations fort gênantes pour les papes qui se sont prétendus plus tard évêques universels : « Le titre de patriarche oecuménique est pestilentiel, profane, misérable, inspiré par la folie, l'orgueil et une diabolique usurpation, semblable à celle de Lucifer; un signe de l'avenue prochaine de l'Antéchrist, roi de l'orgueil. Certainement, Pierre était le premier des apôtres, mais ni lui ni ses successeurs ne se seraient arrogé le titre d'universel, étant tous membres de l'Eglise, dont le chef est le Christ. »Ces objurgations restèrent vaines. Alors, Grégoire se tourna du côté des patriarches d'Alexandrie et d'Antioche pour exciter leur jalousie contre le patriarche de Constantinople, qu'il accusait de rabaisser leurs sièges et d'usurper tout le pouvoir ecclésiastique. Ces patriarches ne se laissèrent point émouvoir. A la mort de Jean le Jeûneur (596), Grégoire recommença, sans plus de succès, ses démarches auprès de son successeur; il lui écrivit que celui qui prend le titre de prêtre universel est un précurseur de l'Antéchrist. Enfin, se voyant impuissant à enlever au patriarche de Constantinople le titre qu'il incriminait, il semble s'être résigné ait silence, mais en insérant une suprême protestation dans la qualification qu'il adopta pour lui-même : Servus servorum Dei, serviteur des serviteurs de Dieu, qualification qui a été constamment reprise par les papes, ses successeurs. Il est difficile d'expliquer, autrement que par le ressentiment de l'inutilité de ses efforts auprès de l'empereur Maurice, les lettres que Grégoire adressa à Phocas, après la révolte et le succès de celui-ci. Phocas fut un des plus hideux scélérats que l'histoire compte parmi les princes. En 601, il excita à la révolte l'armée du Danube, où il était centurion et où Maurice s'efforçait de rétablir la discipline. L'armée révoltée l'ayant pris pour chef, il marcha sur Constantinople; son approche y provoqua une insurrection qui lui ouvrit les portes de la ville. Après avoir fait égorger devant Maurice cinq de ses fils, puis la nourrice qui avait tenté de sauver l'un d'eux, il avait fait étendre et égorger Maurice lui-même sur les cadavres de ses enfants, comme sur un autel. L'impératrice et ses trois filles, arrachées à l'église où elles avaient cherché un asile, furent pareillement mises à mort, malgré la promesse faite au patriarche; la ville fut remplie de rapines, de violences et de massacres. Quand ces événements furent connus à Rome, Grégoire s'empressa d'adresser à Phocas et à sa femme Léontia des lettres dans lesquelles il rendait grâce au ciel de ce qui venait de s'accomplir, invitant le ciel et la terre à s'en réjouir et maudissant Maurice, comme un tyran qui avait accablé l'Eglise d'un joug dont elle devait remercier Dieu de l'avoir délivrée. Ce qu'il écrivait à Léontia indique bien son ressentiment à l'égard du passé et son espoir pour l'avenir : « Il l'engage à prendre sous sa protection toute particulière l'Eglise tant affligée de saint Pierre; il sait combien l'impératrice aime Dieu; mais plus elle aime Dieu, plus elle doit aimer celui à qui il a dit : Tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église... Qu'elle s'efforce aussi d'obliger et de s'attacher celui par qui elle espère que ses péchés seront remis. »Néanmoins, il mourut sans avoir obtenu la satisfaction qu'il espérait; Phocas ne l'accorda qu'à Boniface III, son deuxième successeur (608). Aux pages Plain-Chant et Chant Grégorien, on trouvera l'indication de ce que ce pape fit pour la culture de la musique religieuse; il suffit de rappeler ici que neuf hymnes lui sont attribuées, avec vraisemblance. Son zèle pour le perfectionnement de la liturgie lui a fait donner le surnom de pater ceremoniarum; mais ce serait une erreur que de considérer comme son oeuvre le Liber sacramentorum qui porte son nom. Dans la forme où il nous est parvenu, ce sacramentaire contient nombre de prières qui étaient déjà en usage au temps de Grégoire et même longtemps avant lui; bon nombre aussi d'offices pour des fêtes, qui n'ont été instituées qu'après lui (L. Duchesne, Origines du culte chrétien; Paris, 1889, in-8). D'après le témoignage de Jean Diacre, Grégoire n'aurait rien ajouté aux solennités de la messe, mais il en aurait retranché beaucoup et modifié quelques-unes. La part qui lui appartient dans la composition du Liber Antiphonarius doit être soumise à la même critique. Grégoire est peut-être de tous les papes celui dont il nous est resté le plus d'écrits, et ces écrits sont incomparablement ceux qui ont trouvé le plus de lecteurs au Moyen âge; ils y ont saint Augustin et à leur accommodation aux tendances de l'Eglise latine. Outre les deux ouvrages qui viennent d'être mentionnés, les éditions complètes des oeuvres de Grégoire le Grand comprennent : 1° Expositio in beatum Job seu Moralium libri XXXV; l'emploi de l'interprétation allégorique a permis à l'auteur d'apercevoir dans le Livre de Job tout le système de l'Eglise chrétienne et de ses sacrements, ainsi que la condamnation de toutes les hérésies; 2° Libri duo in Ezechielem, vingt-deux homélies; 3° Libri duo in Evangelia, quarante homélies; 4° Liber Regulae pastoralis, traité, en quatre parties, sur les devoirs et les responsabilités de l'office pastoral; de tous les écrits de Grégoire, celui qui fut le plus hautement estimé dans tous les temps; 5° Dialogorum libri IV de vita et miraculis patrum Italicorum et de Eternitate animae; quelques apologistes se sont efforcés de décharger Grégoire de la paternité de ces dialogues, à cause de l'énormité de superstition et de crédulité qu'ils décèlent chez ce pape, docteur et père de l'Eglise latine; on y trouve aussi des germes déjà développés de la croyance au purgatoire, qui prévalut au Moyen âge; 6° Registrum epistolarum; ce recueil devait former quatorze livres (le treizième manque) ; il se compose de 838 lettres, dont la plupart ont la valeur de documents historiques. Livres dont l'authenticité est sérieusement contestée : Liber Benedictionum; Liber Responsalis seu Antiphonarius; Expositiones in librun I Regum; Expositiones supra Canticum canticorum; Expositio in Septem psalmos paenitentias; Concordia quorumdam testimoniorum sacrae Scripturae. (E.-H. Vollet). |
. |
|
|
|||||||||||||||||||||||||||||||
|