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Arnoul
Greban est un poète
français du XVe siècle.
Il appartenait à une famille du Mans
(et non de Compiègne, comme certains
auteurs le prétendent) et vint faire ses études à
l'université de Paris, où il
fut reçu maître ès arts vers 1444 et bachelier en théologie
en 1456. Il revint ensuite dans sa ville natale, et quand il y mourut,
vers 1471, il portait le titre de chanoine de l'église Saint-Julien
du Mans.
On a de lui un lai
à la Vierge transcrit au bas d'un tableau conservé au
XVIe siècle dans l'église
des Bernardins de Paris. Mais c'est surtout comme auteur de mystères
qu'Arnoul Greban s'est acquis une réputation dont on trouve de nombreux
échos chez les poètes du commencement du XVIe
siècle et jusque dans les oeuvres de Clément
Marot.
On lui doit le
Mystère de la Passion, composé pendant le séjour
de Greban à l'université de Paris, et il était déjà
célèbre en 1452. Arnoul a en outre collaboré avec
son frère Simon Greban (ci-dessous) à la composition du Mystère
des Actes des Apôtres. (A. T.).
Le
Mystère de la Passion de Greban.
Ce mystère,
oeuvre de plus de 30,000
vers, souvent imprimée au XVe et
au XVIe siècle, réunit 400
personnages. Il y a d'abord un prologue : Adam, dans les limbes, invoque
le Rédempteur promis, tandis que dans l'Enfer, les diables chantent
la perte du genre humain. Au ciel, devant Dieu. Miséricorde et Paix,
entament un procès contre Justice et Vérité : la Rédemption
est décidée; elle provoque la joie des Justes dans les limbes,
et, la fureur des démons. Puis le mystère suit le texte de
l'Evangile, depuis l'Annnonciation et la naissance de Jésus jusqu'à
la Passion proprement dite et à la Résurrection. L'auteur,
tout en restant fidèle à ce texte, sait habilement développer
certaines scènes : ainsi l'entrée triomphale du Christ à
Jérusalem le jour des Rameaux, le dialogue des soldats qui flagellent
le christ, le reniement de saint Pierre, le désespoir de Judas,
etc.
-
Prologue
aux Enfers
Extrait de la Passion
[Il
ne faut pas s'exagérer la valeur littéraire de ce morceau;
le style en est assez monotone, la langue en est terne et sans relief.
Mais c'est ce que l'on peut appeler une idée dramatique. A cette
assemblée des démons s'opposera celle des âmes qui
attendent la venue du Messie, et ces deux groupes ne cesseront jusqu'à
la fin de suivre les péripéties de la Passion, dont l'issue
leur importe tant : de là le drame. Ajoutons que Lucifer prononce
quelques vers où il s'analyse avec vigueur, et que la chanson des
damnés ne manque pas d'infernal entrain. (Comparer le premier chant
du Paradis perdu de Milton.)]
« LUCIFER
Saultez hors des
abismes noirs,
Des obscurs infernaulx
manoirs,
Tous puans de feu
et de souffre,
Deables, sailliez
de rostre gouffre
Et des horribles
regions;
Par milliers et
par legions
Venez entendre mon
proces.
Laissiez les chaisnes
et croches,
Gibes et larronceaux
pendans,
Fourneaux fournis,
serpens mordans,
Dragons plus ardans
que tempeste;
Ne vous bruslez
plus groing ne teste
A faire ces metaulx
couller.
Faictes moy bondir
et crouller
Tout le hideux infernal
porce,
De haste de, venir
a force
Oyr ma proposicion.
SATAN
Qui fait cette mutacion?
Lucifer, roy des
ennemis,
Vous hurlez comme
ung lou famis,
Quand vous voulez
chanter ou rire.
LUCIFER
Ha! Sathan, Dieu
te puist maudire!
Quand est de mes
ris et mes chans,
Ilz sont malheureux
et meschans;
Ma noblesse et ma
grant beaulté
Est tournée
en difformité,
Mon chant en lamentacion,
Mon ris en desolacion,
Ma lumiere en tenebre
umbrage,
Ma gloire en douloureuse
rage,
Ma joye en incurable
dueil;
Ne demeure que mon
orgueil
Qui ne m'est mué
ne changé
Depuis le jour que
fus forgé
Lassus au perdurable
empire,
Si non que tousjours
il empire,
Sans soy diminuer
en rien.
SATAN
De ce point je vous
croy tres bien,
James n'y attendez
reppos;
Mes cecy n'est point
au propos,
Sy n'est besoing
qu'on le reppete.
LUCIFER
Astaroth, sonne
la trompete
Et busine par telz
moyens
Que tous les deables
de ceans
Saillent dehors
tost et en haste...
(Les démons
arrivent en foule.)
SATAN
Avant que plus avant
soit fait
Ne plus determiné
par vous,
Deables, arrengez
vous tretous
En tourbe, a grosse
quantité
Et me chantez un
silete
En vostre horrible
diablerie.
ASTAROTH
Vous orrez belle
chanterie...
TOUS LES DÉMONS
La dure mort eternelle
C'est la chanson
des dampnés;
Bien nous tient
a sa cordelle
La dure mort eternelle;
Nous l'avons desservy
telle
Et a luy sommes
donnés;
La dure mort eternelle
C'est la chançon
des dampnés. »
-
(La
Passion, d'Arnoul Gréban, 1452).
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Simon
Greban, frère du précédent, est né comme
lui au Mans, et associé aux éloges que les poètes
du XVIe siècle lui ont décernés:
« Les deux Grebans ont le Mans honoré», dit Clément
Marot. En 1468, on le trouve sur un état des officiers de la maison
de Charles d'Anjou, comte du Maine. Il paraît
avoir obtenu une prébende dans l'église Saint-Julien du Mans
à la mort de son frère Arnoul; on lui éleva à
sa mort un monument dans cette église, devant l'autel Saint-Michel,
monument détruit par les protestants
en 1562.
On a de lui :
le Mystère des actes des Apôtres, en collaboration avec
son frère Arnoul, oeuvre de plus de 60,000
vers, souvent imprimée et représentée au XVe
et au XVIe siècle; Épitaphe
et lamentation sur la mort du roi Charles VII (1461); Elégie
et déploration sur la mort de la reine Marie d'Anjou (1463);
Complainte sur la mort du poète Jacques Milet (1466).
(A. T.). |