|
. |
|
Francisco José Goya y Lucientes est un peintre et graveur né à Fuendetodos (Aragon) le 15 avril 1746, mort à Bordeaux en 1828. Ses parents n'étaient pas, comme l'ont dit plusieurs biographes, des paysans, des laboureurs; ils habitaient Saragosse, où ils possédaient une petite maison, calle de la Moreria Cerrada, et le père exerçait la profession de doreur. Ce métier le mettait en relation avec les artistes et, de bonne heure, il put faire entrer son fils, qui montrait de sérieuses dispositions pour le dessin, dans l'atelier de Luzan Martinet. Ce peintre, qui venait de créer à Saragosse une académie d'enseignement de l'art, était alors en grande réputation. Élève lui-même du Napolitain Mastroleo et condisciple de Solimène, il suivait les méthodes de l'école napolitaine; il ne se montra pas, pour le jeune un maître bien tyrannique. Il sut démêler en son élève ses tendances et ses qualités personnelles, se bornant seulement à modérer sa fougue déjà exubérante. De Saragosse, Francisco Goya vint à Madrid où l'appelait son condisciple et ami Francisco Bayeu, déjà chargé par Raphaël Mengs de travaux de décoration au palais. Ce séjour fut de courte durée, et écoutant peut-être les conseils de Mengs, Goya partit pour l'Italie. En présence des grandes oeuvres de maîtres, il se créa pour les étudier une méthode bien singulière : il ne copiait guère, peignait peu, comparait et analysait plutôt, passant des jours entiers devant un même tableau; puis il sortait de là plus que jamais rebelle à toute velléité d'assimilation de style ou de manière, ne paraissant demander d'autre profit à ses analyses tout intuitives qu'une connaissance approfondie des modes d'exécutions propres à chaque maître. A Rome, Goya rencontra et se lia quelque temps à David, alors pensionnaire du roi. Mais cette liaison semble avoir cessé tout de suite après la séparation des deux jeunes peintres. Une trace du séjour de Goya en Italie se trouve dans le Mercure de France de janvier 1772, qui nous apprend que l'artiste participa à un concours ouvert à Parme en 1771, par l'Académie royale des beaux-arts sur le sujet d'Hannibal vainqueur contemplant du haut des Alpes les campagnes d'Italie. Goya, qui avait pris quelques libertés avec le programme académique , n'obtint que le second prix. En 1772, il revint en Espagne, où, trois ans plus tard, il épousa Josefa Bayeu, la soeur de son ami. Son premier ouvrage avait été pour Saragosse où il peignit une gloire d'anges sur la voûte de la chapelle de la Vierge, dans l'église de Notre-Dame du Pilar. Vers cette même époque, il peint également de nombreuses autres oeuvres mineures, dans des édifices le plus souvent religieux disséminés en Aragon (Cartuja de Aula Dei et Palais de l'archevêché de Saragosse, église paroissiale de Remolinos, couvent des jésuites d'Alagon, palais de la duchesse de Villahermosa à Pedrola, Ermitage de Nuestra señora de la Fuente à Muel, Église de Saint Jean-Baptiste à Calatayud, etc.). Puis, ayant été présenté à Mengs, alors surintendant des beaux-arts, celui-ci le chargea de composer une suite de modèles ou cartons destinés à la fabrique royale de tapisseries de Santa Barbara. Francisco Goya. Autoportrait (1815). Le 31 octobre 1776, Goya livrait son premier carton intitulé le déjeuner sur l'herbe, suivi à quelques mois d'une autre gracieuse composition : la danse au bord du Manzanares. Successivement, et jusqu'en 1791, époque à laquelle il cessa de travailler pour la fabrique de Santa Barbara, quarante nouveaux sujets furent terminés et servirent de modèles pour l'exécution de plusieurs exemplaires de tapisseries employées à la décoration des résidences royales. Conservées par la suite au musée du Prado, ces cartons forment une intéressante collection pour l'étude de cette partie de l'oeuvre de l'artiste. Goya s'est uniquement inspiré, pour ces compositions, des moeurs, des costumes et des jeux populaires; sa verve, sa liberté et sa fécondité d'imagination s'y sont donné libre carrière. Les plus originales et les plus piquantes sont : la Dispute à la Venta nueva, Une Promenade en Andalousie, l'Aveugle jouant de la guitare, le Jeu de paume, la Boutique de faïences, la Balançoire, les Lavandières du Manzanarès, Une Fleuriste, la Moisson, la Noce Villageoise et le Colin-maillard. Ces cartons obtinrent à leur apparition le plus vif succès; Goya leur dut l'origine de sa réputation et c'est par là aussi qu'il inaugura son rôle de peintre national. Transportant en des tableaux de chevalet les sujets qui lui avaient si bien réussi, il produisit dès lors un nombre considérable de peintures de genre dont les thèmes lui étaient fournis par les moeurs, les usages et les modes de son temps. Courses de taureaux, processions, mascarades, idylles galantes, rencontres de voleurs sur les grands chemins, tous ces sujets pittoresques lui offrirent autant de vives et amusantes scènes où il prodiguait son sens exquis de la vie, son inépuisable fantaisie et son esprit observateur. Son coloris, dans ces tableaux de petites dimensions, est clair, pimpant, argentin, avec de fins empâtements et de pétillants rehauts. Ses plus heureux morceaux en ce genre, où il a d'ailleurs excellé, décorent une maison de plaisance, située dans les environs de Madrid, appelée l'Alameda d'Ossuna. Parmi les vingt-deux peintures, exécutées de 1787 à 1798, pour ce petit palais de campagne, nous citerons Un Accident comique, des Gitanos jouant sur une escarpolette, l'Attaque de la berline, les Taureaux; avant la course, les Saisons, le Mât de Cocagne, la Fête d San Isidro, et l'Apparition du commandeur. Francisco Goya. - La Maja Desnuda, (1797-1800, Musée du Prado). A une époque postérieure et sous l'empire de nouvelles et plus expéditives méthodes on pourra, sans injustice, reprocher à l'artiste des pratiques un peu sommaires et un certain penchant à broyer beaucoup trop de noir. Ses aptitudes naturalistes et ses qualités d'observateur le servirent merveilleusement dans la peinture du portrait. Ses premiers essais en ce genre ayant été salués par un complet triomphe, ce devint tout de suite une mode, un véritable engouement de se faire peindre par lui. Les personnes royales, les ministres, Godoy, les poètes, les savants, les grandes dames et les comédiennes, toutes les célébrités à un titre quelconque de l'époque obéirent à cette mode qui persista du reste pendant la plus grande partie de la carrière de Goya. C'est par centaines que l'on compte les portraits qu'il a produits. On peut les rapprocher, quelques-uns de Velazquez, quelques autres de Reynolds, parfois de Greuze. Les portraits d'apparat, comme ceux de l'Infant D. Luis, avec sa famille, du Comte de Florida Blanca (1783), du Général Urrutia (1798), du Duc d'Albe (1797), comme l'importante toile du musée du Prado, où sont représentés Charles IV et les membres de sa famille (1800), ainsi que les représentations équestres du roi et de la reine Maria Luisa, paraissent s'inspirer de la magistrale tournure et de la sobriété de tons des portraits de Velazquez; d'autres, moins fastueux, plus intimes, rappellent tantôt le lumineux coloris des Vénitiens du XVIIIe siècle, tantôt les colorations claires et fleuries de l'École française. Souvent aussi, Goya mêle heureusement, mais sans jamais cesser d'être lui-même, Tiepolo à Fragonard, ou Greuze à Reynolds; c'est sous ce dernier aspect qu'il nous apparaît dans ce beau portrait qu'on intitule le Jeune Homme en habit gris, qui fit jadis partie de la galerie Salamanca et qui n'est autre que le portrait, en costume de merveilleux, du propre petit-fils de l'artiste. Cette parenté d'exécution et de style avec les maître étrangers contemporains se retrouve encore dans le portrait du conventionnel Ferdinand Guillemardet, ambassadeur de France à Madrid, en 1798, et qui appartient au musée du Louvre, ainsi, du reste, que dans nombre d'autres ouvrages, pour la plupart de premier ordre dans ce même genre, tels que les portraits de Moratin, de l'actrice la Tirana, de l'architecte Villanueva et de Goya lui-même, conservés à l'Académie de San Fernando. Dans ses portraits de femmes, Goya fait preuve d'une grande fraîcheur de coloris et de la plus étonnante souplesse de pinceau; c'est par l'esprit, l'entrain et le pétillant de la touche que se recommandent particulièrement les portraits de la Duchesse d'Albe, au palais de Liria, à Madrid, et de Josefa Bayeu, la femme de l'artiste, du musée du Prado. Ennemi des conventions traditionnelles et des formules académiques, épris par-dessus tout du pittoresque, du caractère et de l'effet, profondément sceptique d'ailleurs en matière de croyances religieuses, nul artiste ne semblait aussi mal préparé et aussi peu doué que l'était Goya pour entreprendre, avec succès, la peinture décorative des sanctuaires. Aussi ses grands ouvrages en ce genre sont-ils froids et dépourvus de toute émotion comme de tout sentiment. Sa fresque de Notre-Dame del Pilar, à Saragosse, qui raconte le Triomphe de la Vierge et des saints martyrs (1780-1781), n'est qu'une vaste machine, savamment agencée, correcte et que l'on pourrait peut-être rapprocher, pour l'éclat des colorations, des peintures exécutées par Tiepolo au palais de Madrid; mais aucun grand souffle n'anime et ne réchauffe cette composition que l'on pourrait, sans injustice, taxer de poncive et de banale. Il s'en faut encore que le Saint Bernardin de Sienne, que son Christ en croix qu'il peignit pour l'église de San Francisco et Grande, ainsi que les deux compositions empruntées à la Vie de Saint François de Borja, qui décorent une des chapelles de la cathédrale de Valence et de même encore que les Saintes Justine et Rufine, de la cathédrale de Séville, soient des oeuvres inspirées ou seulement émues. On ne saurait même faire d'exception pour cette Trahison de Judas qu'on voit dans la sacristie de la cathédrale de Tolède, composition fougueuse, où l'artiste a cherché à imiter le clair-obscur de Rembrandt, mais dont les figures, d'un caractère vulgaire et brutal, sont bien éloignées d'éveiller la ferveur et la pitié dans l'âme du spectateur. Il n'existe non plus trace de sentiment religieux dans les importantes décorations à fresque qui décorent la coupole et diverses autres parties de la chapelle de San Antonio de la Florida, située près du Manzanarès. Ces fresques sont fameuses, mais sous un tout autre rapport que celui de l'inspiration mystique. La composition de la coupole représente Saint Antoine de Padoue ressuscitant un mort, et ce qui frappe le plus lorsqu'on l'étudie, c'est bien moins l'action principale que l'accessoire. Ce qui s'impose plutôt au regard, c'est la foule des assistants groupée dans les attitudes les plus pittoresques et fourmillante de vie. Rompant avec les traditions d'école, Goya n'a obéi dans cette page mouvementée qu'à son seul goût de naturalisme. Loin de se préoccuper dans les costumes et le choix de ses types de la vérité historique, il s'est complu à moderniser ses personnages : ses femmes sont de sémillantes manolas, coiffées de la mantille blanche ou noire; ses hommes, des gens du peuple, les premiers venus, attifés en pimpants majos, fièrement cambrés dans leur manta aux couleurs bigarrées. Aux retombées des voûtes, il peignit des chérubins, des archanges, soulevant ou retenant des draperies, mais il dota ses figures de charmes si féminins et de grâces si sensuelles qu'elles évoquent beaucoup trop les séductions de la chair. Cette décoration, achevée en 1798, est très réussie au point de vue de la seule exécution ; la tonalité en est délicate et claire, et le coloris, sobrement compris, est très harmonieux dans son large et lumineux parti pris. Le talent primesautier, parfois génial et si personnel de Goya, tranchant d'ailleurs par ses audaces sur la manière pseudo-classique et timidement traditionnelle des peintres de son temps, lui avait conquis une étonnante popularité; elle ne fit que grandir encore lorsqu'il eut publié ses séries d'eaux-fortes. De 1796 à 1797 parurent les Caprices, recueil de quatre-vingts planches où l'artiste se révèle sous l'aspect d'un moraliste et d'un caricaturiste profondément caustique et original. Dans ces piquantes compositions gravées, l'artiste s'en prend en effet à tout et à tous. A côté de scènes de moeurs ironiquement interprétées, d'allusions railleuses à des superstitions populaires, de rêves étranges et de visions fatidiques de l'avenir; à côté de pièces où il prend à partie l'aristocratie, la royauté, la reine Maria Luisa, le favori Godoy, les ministres, les institutions sociales, des attaques d'une profondeur et d'une audace inouïes pour l'époque et le milieu où elles virent le jour visant tantôt la religion et ses dogmes, tantôt l'Inquisition et tantôt encore les ordres monastiques, remplissent cette oeuvre singulière à tant de titres, sans précédents dans l'art, et dont la portée satirique se dissimule à peine sous le voile de la fantaisie. Un moment l'Inquisition s'en préoccupa. Mais l'artiste para habilement le coup en offrant au roi ses planches gravées. Elles furent, à l'instigation du favori qui n'y voyait pas malice, acquises par la chalcographie royale moyennant une pension de 12 000 réaux, accordée à Xavier, le fils de Goya. Aux Caprices succéda la Tauromachie, suite de trente-trois pièces gravées à l'eau-forte et colorées d'aqua-tinte, procédé que Goya manie en maître et dont il tire le plus puissant parti. Rien de plus franc, de plus libre et, en apparence, de plus spontané que sa manoeuvre. Sa pointe facile et légère accuse d'abord le contour, donne le relief, le modelé à ses formes, à ses groupes et en détache les personnages ; puis vient l'aqua-tinte - la couleur - parfois on ne peut plus habilement étendue, parfois aussi naïvement inexpériente, qui couvre les fonds, donne la localité, la profondeur, la lumière et fixe vigoureusement l'effet. Entre temps, il préparait deux nouvelles séries, d'abord les Proverbes, suite d'environ dix-huit pièces, gravées aussi à l'eau-forte rehaussée d'aqua-tinte, mais dont l'artiste se borna à tirer pour lui quelques rares épreuves; les Proverbes n'ont en effet paru réunis qu'en 1864, par les soins de l'Académie de San Fernando. Cette série dont les sujets sont d'interprétation compliquée et assez obscure, fait en général allusion à des événements politiques survenus de 1804 à 1815. A cette même époque appartiennent les Malheurs de la guerre, suite de pièces gravées à l'eau-forte et à l'aqua-tinte et retouchées de pointe sèche. Parmi les quatre-vingts planches qui constituent le recueil publié en 1863 par les soins de l'Académie de San Fernando, et dont Goya n'avait tiré que quelques épreuves d'essai, soixante-cinq seulement ont trait aux sinistres incidents qui se produisirent en Espagne durant l'invasion française. Là se déroulent, en autant de scènes tragiques, les exécutions sommaires, les représailles féroces, les pillages, les viols, les incendies, puis la misère, la disette et la peste, cortège fatal de la guerre. De ces tristes scènes, si dramatiquement exprimées, un sentiment élevé et bien profondément humain se dégage pourtant : on sent que ce que peint ici Goya c'est la guerre, et, plus que la guerre, l'iniquité, l'arbitraire, et par-dessus tout la tyrannie et l'ambition qui en déchaînent les horribles maux, et qui les ordonnent. Les fusillés du 3 mai 1808 (peint en 1814, Musée du Prado). Rien de plus éloquent que cette vengeresse et terrifiante protestation de l'artiste n'a été formulé contre la politique des conquêtes et les luttes fratricides de peuple à peuple. Quant aux autres compositions gravées qui complètent ce recueil, elles restent, comme portée, les plus étranges et les plus audacieuses que Goya ait conçues. Exécutées après le rétablissement de Ferdinand VII sur le trône et au moment où son gouvernement s'acharnait contre les libéraux, les emprisonnant, les exilant, elles livrent un dernier et suprême combat pour tout ce que Goya a aimé, contre tout ce qu'il a vigoureusement haï. Elles demeurent comme le testament politique et philosophique du vieux libéral, du hardi libre penseur, profondément imbu des généreuses idées de justice, d'égalité et d'affranchissement que la France de 1789 avait semées dans toute l'Europe. Aussi, quelles ironies, quelles colères elles traduisent contre l'intrigue, contre l'obscurantisme et l'hypocrisie qui étouffent le progrès, enchaînent la liberté et compriment l'expansion de la pensée humaine! Quels déchaînements contre les fourbes, les grands, les prêtres, les rois qui conspirent et s'acharnent à détruire la vérité et la justice! Enfin, pour conclusion à cette oeuvre remplie de pensées et d'aspirations si hautes, Goya fait apparaître de prophétiques et consolantes visions où, dans une ère à venir, doivent régner le droit, la paix, la liberté. Avant d'entreprendre ces diverses suites de pièces gravées, Goya, depuis 1778, s'était souvent essayé à manier la pointe : des eaux-fortes datant de diverses époques, d'après les portraits équestres et en pied de Velazquez, des compositions originales, comme le Supplicié par le garrot, le Colosse, les Prisonniers, une Scène populaire, des majos, des manolas, des toreros, un Aveugle enlevé sur les cornes d'un taureau, des paysages fantastiques occupent également dans son oeuvre gravé une place intéressante. Dès 1819. et alors que la lithographie était encore un art peu répandu, Goya tenta de s'en assimiler la pratique.
|
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|