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Gourmont

Rémy de Gourmont est un écrivain français né à Bazoches-en-Houlme (Orne) en 1858, mort à Paris en 1915. Attaché, en 1883, à la Bibliothèque Nationale, Rémy de Gourmont fut révoqué de ses fonctions en 1891, à la suite de la publication d'un article intitulé le Joujou patriotisme.

Écrivain d'une extrême richesse, maître du style, Gourmont a eu sur la littérature de son temps une influence considérable. Esprit très souple, animé d'une curiosité inlassable, il eut des connaissances très étendues. 

Son premier livre original, succédant à des ouvrages de vulgarisation, fut un roman : Merlette (1886). Mais il affirma surtout sa personnalité dans Sixtine (1890).

Gourmont a cultivé toutes les formes littéraires avec un égal talent. Il fit représenter, en 1891, au Théâtre d'Art, Théodat, poème dramatique. Simone, les Litanies de la Rose, les Oraisons mauvaises, les Divertissements, etc., ressortent du lyrisme pur.

Le Livre des masques, une de ses oeuvres capitales, évoque en deux volumes (1896-1898) la plupart des figures marquantes de la littérature moderne, analysées selon un procédé de critique très neuf. 
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Henri de Régnier

 « Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins, dallés comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques, cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon, seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux : les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses dernières oeuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi finis : oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or et lac mort, jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse qui va devenir nocturne.

Des mots s'imposent à lui quand il veut peindre ses impressions et la couleur de ses songes; des mots s'imposent aussi à qui veut le définir, et d'abord celui-ci, déjà écrit mais qui renaît invincible : richesse. M. de Régnier est le poète riche par excellence, - riche d'images! Il en a plein des coffres, plein des caves, plein des souterrains, et incessamment une file d'esclaves qui en apporte d'opulentes corbeilles qu'il vide, dédaigneux, sur les marches éblouies de ses escaliers de marbre, cascades versicolores qui s'en vont bouillonnantes, puis paisibles, former des étangs et des lacs irradiés. Toutes ne sont pas nouvelles. M. Verhaeren préfère, aux plus justes et aux plus belles métaphores antérieures, celles qu'il crée lui-même, même maladroites, même informes; M. de Régnier ne dédaigne pas les métaphores antérieures, mais il les refaçonne et se les approprie en modifiant leur entourage, en leur imposant des voisinages nouveaux, des significations encore inconnues; si parmi ces images retravaillées il s'en trouve quelqu'une de matière vierge, l'impression que donnera une telle poésie n'en sera pas moins tout à fait originale. En oeuvrant ainsi, on échappe au bizarre et à l'obscur; le lecteur n'est pas brusquement jeté dans une forêt dédalienne; il retrouve son chemin, et sa joie de cueillir des fleurs nouvelles se double de la joie de cueillir des fleurs familières.

Le temps triste a fleuri ses heures en fleurs mortes,
L'an qui passe a jauni ses jours en feuilles sèches.
L'Aube pâle s'est vue à des eaux mornes 
Et les faces du soir ont saigné sous les flèches
Du vent mystérieux qui rit et qui sanglote.
Une telle poésie a certainement de l'allure.
M. de Régnier sait dire en vers tout ce qu'il veut, sa subtilité est infinie; il note d'indéfinissables nuances de rêve, d'imperceptibles apparitions, de fugitifs décors; une main nue qui s'appuie un peu crispée sur une table de marbre, un fruit qui oscille sous le vent et qui tombe, un étang abandonné, ces riens lui suffisent et le poème surgit, parfait et pur. Son vers est très évocateur; en quelques syllabes, il nous impose sa vision :
Je sais de tristes eaux en qui meurent les soirs;
Des fleurs que nul n'y cueille y tombent une à une...
Encore très différent en cela de Verhaeren, il est maître absolu de sa langue; que ses poèmes soient le résultat d'un long ou d'un bref travail, ils ne portent nulle marque d'effort, et ce n'est pas sans étonnement, ni même sans admiration, que l'on suit la noble et droite chevauchée de ces belles strophes, haquenées blanches harnachées d'or qui s'enfoncent dans la gloire des soirs.

Riche et subtile, la poésie de M. de Régnier n'est jamais purement lyrique; il enferme une idée dans le cercle enguirlandé de ses métaphores, et si vague ou si générale que soit cette idée, cela suffit à consolider le collier; les perles sont retenues par un fil, parfois invisible, mais toujours solide; ainsi, ces quelques vers :

L'Aube fut si pâle hier
Sur les doux prés et sur les prêles,
Qu'au matin clair

Un enfant vint parmi les herbes,
Penchant sur elles
Ses mains pures qui y cueillaient des asphodèles.

Midi fut lourd d'orage et morne de soleil
Au jardin mort de gloire en son sommeil
Léthargique de fleurs et d'arbres,
L'eau était dure à l'oeil comme du marbre,
Le marbre tiède et clair comme de l'eau,
Et l'enfant qui vint était beau,
Vêtu de pourpre et lauré d'or,
Et longtemps on voyait de tige en tige encor, 
Une à une, saigner les pivoines leur sang 
De pétales au passage du bel Enfant.
L'Enfant qui vint ce soir était nu;
Il cueillait des roses dans l'ombre,
Il sanglotait d'être venu,
Il reculait devant son ombre;
C'est en lui nu
Que mon Destin s'est reconnu.

Simple épisode d'un plus long poème, lui-même fragment d'un livre, ce petit triptyque a plusieurs significations et dit des choses différentes selon qu'on le laisse à sa place ou qu'on l'isole ici, image d'un destin particulier; là, image générale de la vie. Qu'on y voie encore un exemple de vers libres vraiment parfaits et maniés par un maître. »
 
(R. de Gourmont, extrait du Livre des masques).

Citons encore, dans des genres très divers, le Latin mystique (1892), où Gourmont s'essaye à la philologie pittoresque; l'Idéalisme (1893); le Pèlerin du Silence, contes philosophiques (1896); l'Esthétique de la langue française (1899) et le Problème du style (1902), admirables études; la Physique de l'Amour (1903).

Mais le genre avec la critique, où Gourmont est passé maître, c'est l'essai. Il faut mettre à part, dans son oeuvre, la Culture des idées (1900); le Chemin de velours (1902); les Épilogues, réflexions sur la vie (1903-1913); les Promenades littéraires (1904-1913); les Promenades philosophiques (1905-1909). L'auteur y déploie toute la complexité d'une intelligence éprise à la fois d'enthousiasme et d'analyse; toute la richesse d'une culture qui l'apparente, de même que son athéisme souriant, à Diderot et Anatole France; toute la perfection d'une langue hautaine et limpide, savoureuse et ciselée.

Rémy de Gourmont fut un des fondateurs et le collaborateur infatigable du Mercure de France. Il écrivit dans une cinquantaine de revues et journaux étrangers, sans jamais négliger son style, et contribua ainsi, pour une large part, au rayonnement de l'esprit français. (G.-F.).
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Du Style ou de l'Écriture

 « Le métier d'écrire est un métier, et j'aimerais mieux qu'on le mit à son ordre vocabulaire, entre la cordonnerie et la menuiserie, que tout seul à part des autres manifestations de l'activité des hommes. A part, il peut être nié, sous prétexte d'honneurs, et tellement éloigné de tout ce qui est vivant qu'il meure de son isolement; à son rang dans une des niches symboliques, le long de la grande galerie, il suggère des idées d'apprentissage et d'outillage; il éloigne de lui les vocations impromptues; il est sévère et décourageant.

Le métier d'écrire est un métier; mais le style n'est pas une science. Le style est l'homme même et l'autre formule, de Hello, le style est inviolable, disent une seule chose : le style est aussi personnel que la couleur des yeux ou le son de la voix. On peut apprendre le métier d'écrire; on ne peut apprendre à avoir un style; on peut teindre son style comme on teint ses cheveux, mais il faut recommencer tous les matins et n'avoir pas de distractions. On apprend si peu à avoir un style qu'au cours de la vie, souvent on désapprend; quand la force vitale est moindre, on écrit moins bien; l'exercice, qui améliore d'autres dons, gâte parfois celui-là.

Écrire, c'est très différent de peindre ou de modeler; écrire ou parler, c'est user d'une faculté nécessairement commune à tous les hommes, d'une faculté primordiale et inconsciente. On ne peut l'analyser sans faire toute l'anatomie de l'intelligence; c'est pourquoi, qu'ils aient dix ou dix mille pages, tous les traités de l'art d'écrire sont de vaines esquisses. La question est si complexe qu'on ne sait par où l'aborder; elle a tant de pointes et c'est un tel buisson de ronces et d'épines, qu'au lieu de s'y jeter on en fait le tour; et c'est prudent.

Écrire, mais alors, au sens de Flaubert et de Goncourt, c'est exister, c'est se différencier. Avoir un style, c'est parler au milieu de la langue commune un dialecte particulier, unique et inimitable, et cependant que cela soit à la fois le langage de tous et le langage d'un seul. Le style se constate; en étudier le mécanisme est inutile au point où l'inutile devient dangereux; ce que l'on peut recomposer avec les produits de la distillation d'un style ressemble au style comme une rose en papier parfumé ressemble à la rose.

Quelle que soit l'importance fondamentale d'une oeuvre « écrite », la mise en oeuvre par le style accroît son importance. C'était l'opinion de Buffon, que toutes les beautés qui se trouvent dans un ouvrage bien écrit, « tous les rapports dont le style est composé sont autant de vérités aussi utiles et peut-être plus précieuses pour l'esprit humain que celles qui peuvent faire le fond du sujet ». Et c'est aussi, malgré le dédain commun, l'opinion commune, puisque les livres de jadis qui vivent encore ne vivent que par le style. »
 

(R. de Gourmont, extrait du La culture des idées).
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