| Vincenzo Gioberti est un philosophe, publiciste et homme politique italien, né à Turin le 5 avril 1801, mort à Parisle 26 octobre 1852. D'une famille bourgeoise, orphelin de bonne heure, admis à seize ans au nombre des clercs de la chambre du roi, il fut reçu docteur en théologie en 1823, ordonné prêtre en 1825, et prit rang parmi les aumôniers de la cour. Un voyage en Lombardie et dans l'Italie centrale le mit en relation avec Manzoni et d'autres écrivains illustres (1828). Quand Rosmini publia son Origine des idées (1830), Gioberti en introduisit l'étude en Piémont. Partageant les aspirations patriotiques de Mazzini, il écrivit, sous le nom de Démophile, dans la Jeune Italie de Marseille. Le 9 mai 1833, il donna sa démission d'aumônier de la cour. Soupçonné de conspiration, il fut arrêté quelques jours après (31 mai), détenu pendant quatre mois dans la citadelle, et, faute de preuves, banni sans jugement (24 septembre). Il resta quinze mois à Paris, se sépara de la Jeune Italie, et passa à Bruxelles, où il enseigna la philosophie dans une institution privée. En 1838, il y publia la Teorica del Sourannaturale, qui attira l'attention de quelques esprits, notamment de Rosmini. C'était le germe de tous ses autres écrits : il posait en principe la convenance parfaite entre la religion et le progrès civil des nations, et faisait l'application de ce principe à l'Italie. Dans son Introduzione allo studio della Filosofia (1840), attaquant les influences étrangères, particulièrement l'influence française, il s'en prit à l'école de Descartes, dressa l'ontologisme en face du psychologisme, que professait Rosmini, et soutint l'alliance du catholicisme avec la philosophie. Son étude Del Bello (1841), qui traitait de l'origine, du progrès et de la décadence des arts et concluait par un hymne à l'Italie, fut critiqué par Rosmini. Polémiste ardent, Gioberti écrivit aussitôt son livre Degli errori fllosofici di Antonio Rosmini. Puis, il donna son étude Del Buono (1842). Le grand-duc de Toscane lui fit offrir une chaire de philosophie morale à l'université de Pise, mais, sur les représentations de Charles-Albert, il retira sa proposition. Jusque-là, l'abbé Gioberti, plus théologien que philosophe, d'une orthodoxie incontestable, n'avait trouvé d'écho que dans un public très restreint. En 1843, il publia Il Primato morale e civile degli Italiani, qui eut un immense retentissement. Cette oeuvre, dédiée à Silvio Pellico, n'était au fond qu'une résurrection de la vieille idée guelfe, l'affirmation de la suprématie de l'Italie conservée en puissance par la papauté. Ouvrant aux Italiens des perspectives de grandeur qui contrastaient singulièrement avec leur condition du moment, présentant le pape, qu'il mettait à la tête de la fédération italienne, comme le guide de la nouvelle civilisation, n'exigeant des gouvernements que des améliorations matérielles, et, s'il insultait la France, évitant toute allusion à la domination autrichienne en Lombardie, l'auteur se montrait audacieux, téméraire et timide tout ensemble. Il ménageait et flattait même les jésuites. Le Primato, d'un style ample et coloré, séduisit les imaginations. Tout utopique qu'il était, il eut l'avantage d'engager dans le mouvement une grande partie du bas clergé. Mais le pape et les princes, qui auraient dû le recommander, le poursuivirent. Dans les Prolegomeni del Primato (1845), ému du supplice des Bandiera, et influencé par les Speranze d'Italia que Cesare Balho venait de publier, Gioberti gourmanda les princes, attaqua l'Autriche, et fit retomber sur les jésuites toutes les fautes de la papauté. Quelques-uns de ses anciens admirateurs, Silvio Pellico en tête, se scandalisèrent de ses inconséquences, mais l'Italie presque tout entière fut pour lui. A l'avènement de Pie IX, elle salua avec enthousiasme le nouveau pape comme le Messie annoncé, tant les esprits étaient pleins de l'idéal de Gioberti. On peut dire que l'illusion de l'auteur du Primato sur le rôle de la papauté a fait la popularité première de l'élu du 16 juin 1846. Les jésuites, néanmoins, poursuivirent Gioberti de leurs invectives. Il leur répondit par Il Gesuita moderno (mai 1847), oeuvre prolixe et passionnée à laquelle succéda l'Apologia del Gesuita moderno (1818). Emporté dans le tourbillon de la politique, l'abbé Gioberti rentra en Italie aux premiers jours de la guerre de l'indépendance. Accueilli en triomphateur à Turin, sa patrie, à Milan, où il combattit l'influence de Mazzini, il alla, au commencement de mai, voir Charles-Albert à Sommacampagna. Puis il s'embarqua à Gênes pour Rome. Là, il reçut des honneurs tels, que, malgré ses efforts pour dissiper les défiances, le pape en fut jaloux. Nommé sénateur en Piémont, il refusa, pour se faire élire député dans un collège de Turin. Acclamé président de la Chambre, il entra bientôt dans le ministère Casati (4 août 1848). Il en sortit le 15, après l'armistice Salasco. Partisan de la continuation de la guerre, il fit une opposition acharnée au ministère Revel et fonda à Turin une société pour reprendre l'idée de la confédération italienne. C'est alors qu'il publia le violent opuscule I Due Programmi. Le 16 décembre, il fut appelé à former un ministère démocratique, avec Rattazzi, Sineo, Tecchio et autres. Il prit la direction des affaires étrangères. La Chambre fut dissoute (5 janvier 1849) : la nouvelle réclama la reprise des hostilités. Le roi, de son côté, avait hâte d'en finir. Gioberti, au contraire, devenu plus pratique avec l'exercice du pouvoir, voulait attendre la réorganisation de l'armée. De plus, bien qu'il fût revenu de ses illusions sur la papauté, tenant toujours pour la confédération des princes, il aurait voulu que le Piémont rétablit le pape et le grand-duc de Toscane dans leurs États pour faire de leur restauration et du maintien des constitutions une oeuvre italienne. Il entama de vaines négociations dans ce sens. Les ministres se séparèrent de leur président. Gioberti donna sa démission le 20 février Il soutint, à la Chambre et dans la presse, des luttes ardentes contre ses anciens collègues. Il ne craignit même pas d'exciter la foule, qui lui faisait des ovations. Charles-Albert se prononça résolument contre lui. Après Novare (23 mars), le ministère de Launay-Pinelli s'adjoignit Gioberti comme ministre sans portefeuille et l'envoya en mission à Paris. Mais, s'apercevant bientôt que ce n'était qu'un prétexte pour l'éloigner des affaires, il donna sa démission, refusa les honneurs et les pensions que le roi Victor-Emmanuel lui fit offrir, renonça au mandat que les électeurs de Turin lui conférèrent de nouveau, et resta à Paris dans un exil volontaire. En 1851, il publia son grand ouvrage Del Rinnovamento civile d'Italia (Paris, 2 vol. in-8), dans lequel, frappant indifféremment sur tous les partis, il pressent le triomphe de l'idée républicaine et prévoit la rénovation religieuse qui sera la conséquence de la chute du pouvoir temporel. La cour de Rome mit alors toutes ses oeuvres à l'index. Gioberti cessa de vivre dans la nuit du 26 au 27 octobre 1852 : on le trouva le matin en bas de son lit, ayant à son chevet l'Imitation de Jésus-Christ et les Fiancés de Manzoni. Cette mort a paru mystérieuse à beaucoup de ses amis. Le municipe de Turin fit revenir sa dépouille. En 1859, une statue lui a été élevée en face du palais Carignan, où siégeait la Chambre des députés. L'Italie, qui fut sa véritable passion, et à laquelle seule il resta fidèle à travers ses diverses évolutions, le reconnaît à juste titre comme un des pères de sa nouvelle renaissance. Violent dans ses écrits, Gioberti était simple et doux dans la vie privée. (F. Henneguy).
| En bibliothèque. - Massari, disciple de Vincenzo Gioberti, qui a écrit sa vie et publié sa correspondance (Turin, 1860-1863, 3 vol.), a fait paraître des fragments importants de trois ouvrages laissés par lui inachevés : Dalla Filosofla dalla rivelazione (Turin, 1856); Della Riforma cattolica della Chiesa (Turin, 1856); Della Protologia (Turin, 1857). | | |