| Aboû Hâmid Mohammed ibn Ahmed el-Ghazâlî et non Ghazzâli, est un théologien arabe de la secte orthodoxe des Châfyites et de l'école rationaliste d'Achari, philosophe sceptique, l'un des plus grands moralistes musulmans, né à Thoûs (Khorasan) en 450 de l'hégire (1058 de J.C.) mort à Thoûs en 505 (1111) à l'âge de cinquante-trois ans, après avoir joué un rôle remarquable dans le mouvement philosophique et théologique de son temps. Il commença ses études dans sa ville natale, sous la direction du docteur Ahmed er-Radhaqânî, et alla les compléter à Nichâboûr où il suivit les cours de scolastique (Ilm el-Kalam) du savant imam el-Harameïn (mort en 1085) qu'il devait surpasser (La philosophie arabe). Ghazâli, en effet, se fit bientôt connaître par son rare talent de controversiste. Il fut, suivant Ibn Khaldoûn, le premier qui appliqua la logique à la scolastique. Le célèbre vizir seldjoûkide Nizhâm el-Moulk ayant assisté à plusieurs de ses conférences, l'encouragea dans son oeuvre de rénovation religieuse; il lui fit de flatteuses ouvertures et le nomma professeur à la Nizhâmiya de Bagdad, université fondée par lui en 1057. Ghazâli avait à peine trente-trois ans (1091); il raconte dans son Mounqid qu'il faisait ses cours devant un auditoire de trois cents étudiants. C'est alors qu'effrayé des progrès de la libre pensée, il écrivit en faveur de l'orthodoxie menacée ses trois ouvrages sur la Renaissance des Sciences religieuses, les Tendances des Philosophes et la Destruction des Philosophes. Mais bientôt fatigué de ces luttes incessantes, inclinant d'ailleurs au mysticisme, il abandonna après dix mois d'hésitation (1095) cette chaire où il avait acquis une réputation extraordinaire de science et de vertu, réputation qui s'était répandue au loin et qui lui avait valu les surnoms de Zein ed-Din ( = ornement de la religion) et de Houdjat et-Islâm ( = preuve de l'islam). Ayant dit adieu à la gloire, aux richesses, aux vanités du monde, il embrassa la doctrine des Soufis qu'il lui restait à approfondir. Il vécut ainsi onze années dans la retraite, errant de ville en ville, d'abord à Damas, puis à Jérusalem, à Alexandrie, à La Mecque, en dernier lieu à Thoûs, lancé à la poursuite de la vérité, cherchant vainement la satisfaction spirituelle dans la vie ascétique et contemplative, dans le mysticisme et l'extase des Soufis. A Damas, où il étudia deux ans, il passait de longues heures au haut du minaret de la mosquée, plongé dans les plus profondes méditations. De cette longue épreuve il sortit en 1105, non moins sceptique qu'auparavant : le tempérament de son esprit lui défendait d'embrasser aucune doctrine. N'ayant trouvé le calme nulle part et seulement, comme il l'avoue lui-même, « en de rares heures isolées », il revint aux occupations de sa jeunesse, aux études pratiques, à une exégèse élevée de la religion musulmane, dont il rêvait de perfectionner la morale. Les instances de Fakhr el-Moulk qui lui offrait une chaire à la Nizhâmiya de Nichâpoûr hâtèrent sans doute son retour à la vie réelle. Ghazali refusa longtemps, mais le fils de Nizhâm el-Moulk lui ayant représenté qu'il ne devait pas priver les musulmans des bienfaits de la science que Dieu lui avait accordée, il accepta. Ce fut pour peu de temps. Aspirant au repos, Ghazali résigna ses fonctions, revint à Thoûs, s'enferma dans sa maison et ne cessa plus d'écrire jusqu'à sa mort. Esprit éminent, écrivain distingué, âme généreuse, Ghazâli cherche à garder une position intermédiaire entre les partis. Porté par ses goûts vers l'investigation philosophique, il s'efforce de spiritualiser l'islam. Par crainte de l'athéisme, il défend l'orthodoxie; mais il se réjouit aussi des progrès utiles et bienfaisants de la science humaine. Il n'est pas, toutefois, un défenseur étroit de l'orthodoxie; il juge avec douceur et bon sens l'opinion d'autrui, mais son but est nettement apologétique : il s'efforce d'établir la supériorité de l'islâm sur les autres religions et sur la philosophie. En outre un souffle mystique tempère dans ses écrits la rigueur de l'orthodoxe et le scepticisme du philosophe. C'est ainsi que dans son livre sur la Renaissance des Sciences religieuses (lhya Ouloûm ed-Dîn: Boulâq,1852, 2 vol. in-fol.), sorte d'encyclopédie théologique où il se montre théologien intelligent et profond moraliste, sa préoccupation est de perfectionner l'islam en empruntant aux Soûfis leur morale. Le Kitâb Maqâsid el-Falâsifa (Tendances des Philosophes) est un exposé des théories philosophiques dont Ghazâli montre le côté faible, sans distinguer le vrai du faux ni rien affirmer lui-même. Cet ouvrage a été publié et traduit en latin par Petrus Lichtenstein sous le titre Logica et philosophia Algazelis Arabis (Venise, 1504). Dans le Kitâb Tahâfout el-Falâsifa (Destruction des Philosophes) dont il existe une traduction hébraïque en manuscrit à la Bibliothèque nationale, Ghazâli déclare qu'il ne se porte le champion d'aucun système particulier, il range méthodiquement les opinions antiques des philosophes afin d'établir que tel système en détruit un autre. La plus suggestive de ses oeuvres est peut-être son Kitâb el-Mounqid min edh-Dhalal (= le Préservatif de l'Erreur), réfutée plus tard par Averroès, édité et transcrit par Sehmelders dans son Essai sur les Ecoles philosophiques chez les Arabes et notamment sur la doctrine d'Algazzali (Paris, 1842), traduit de nouveau par Barbier de Meynard dans le Journal asiatique (janvier 1877). C'est là qu'il raconte, sorte d'examen de conscience philosophique, son pèlerinage à travers les idées de son temps et qu'il se fait connaître comme sceptique. Son livre intitulé Ayyoûhâ 'l-Walad est un traité de haute morale; il a été édité et traduit par von Hammer-Purgstall sous le titre : O Kind! Die berühmte ethische Abhandlung Gazali's (Wien, 1838). Un autre traité de ce genre est celui intitulé Mizân et-Amal ( = la Balance des Actions), traduit en hébreu par Rabbi Abraham ben Hasdaï, publié par Goldenthal et traduit en latin : Compendium doctrinae ethicae (Leipzig, 1839); le Kitâb el-Wâsit est un ouvrage de jurisprudence; la Dourra el-Fakhîra ( = la Perle Précieuse) est un exposé de l'eschatologie musulmane, publié et traduit par L. Gautier (Genève, 1878); le Michqat el-Anwar et le Mirâdj es-Sâlikin sont des traités où l'auteur examine les idées mystiques, fait l'histoire et la critique du soufisme. Deux de ses ouvrages ont été publiés à Istanbul l'Ildjâm et-Awam ( = Art de dompter les hommes) et la Kimyâ es-Saâda ( = l'essence du bonheur). Enfin quelques ouvrages ayant trait aux doctrines des Bâthiniens ou allégoristes ne nous sont connus que par leurs titres. Cette liste déjà longue ne constitue qu'une faible partie de l'oeuvre présumée de Ghazâli. (Paul Ravaisse). | |