| On sait peu de chose de la vie de Gaunilon. On a retenu seulement qu'il était moine à l'abbaye bénédictine de Marmoutiers au XIe siècle, et on n'a de sa plume que le Liber pro insipiente, écrit pour discuter l'argument ontologique récemment inventé par saint Anselme. Le Proslogium de l'archevêque de Canterbury commence par ces paroles des psaumes : Insipiens dixit in corde suo : Non est Deus. « L'insensé ou plutôt l'impie a dit dans son cceur : il n'y a point de Dieu. » Partant de là, saint Anselme prétend démontrer à l'impie que, par le fait même qu'il nie l'existence de Dieu, il énonce une absurdité, car, puisqu'il nie l'existence de Dieu, il a quelque idée de ce qu'il nie, il a donc l'idée de Dieu; or, continue saint Anselme, et c'est là le fond de la preuve ontologique reprise plus tard par Descartes, Dieu est un être tel que dans son essence son existence est contenue, la réalité de son être est impliquée dans l'idée même que l'on s'en fait, donc on ne peut nier l'existence de Dieu sans affirmer la présence de l'idée de Dieu dans l'esprit et par cette idée la réalité de Dieu. L'insipiens ou l'impie est donc condamné à reconnaître que Dieu existe. Gaunilon prétend que cette argumentation n'est pas susceptible de produire la conviction dans l'esprit de l'insipiens. Il emprunte donc le rôle de ce dernier dans le livre qu'il écrit en sa faveur, non que Gaunilon fût un athée; il prétendait seulement que le nouvel argument inventé par saint Anselme manquait de force probante. Il commençait par refuser à saint Anselme son point de départ. De ce que l'athée prononce le nom de Dieu, il ne s'ensuit pas qu'il ait aucune idée claire correspondante à ce nom. On nomme aussi le néant et cependant le néant n'est rien. Dieu peut ainsi être le nom de quelque chose d'indistinct et de confus dont on ne se représente pas les attributs, mais qui serait seulement différent de tous les êtres que l'on connaît. Il est d'ailleurs évident que nous n'avons pas de Dieu une idée claire et adéquate qui nous permette de nous rendre compte de son essence. Et alors même que nous aurions de Dieu une idée très claire, il ne s'ensuivrait pas pour cela que Dieu existe, car nous avons des idées claires de beaucoup de choses qui n'existent pas. Enfin et surtout de l'essence on ne peut conclure l'existence, car l'essence conçue par l'esprit est idéale et l'existence enferme cette essence avec la réalité en plus. La conclusion de l'essence à l'existence n'est donc pas légitime, puisque l'existence a quelque chose de plus que l'essence. C'est sur des raisons semblables que saint Thomas s'est appuyé pour rejeter la preuve a priori de l'existence de Dieu, et la célèbre critique dirigée par Kant contre l'argument ontologique ne fait guère que reproduire l'argumentation de Gaunilon. Le Liber pro insipiente est imprimé d'ordinaire à la suite du Proslogium de saint Anselme. (G. Fonsegrive).. | |