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Garcia de Paredes

Don Diego Garcia de Paredes est un capitaine espagnol, né à Trujillo (Estramadure) en mai 1466. Il fut le compagnon d'armes du Grand capitaine (Gonzalve de Cordoue),  et partagea ses exploits et sa gloire dans les Guerres d'Italie. En quittant ce pays, il alla retrouver Charles-Quint, dans l'armée duquel il combattit avec sa valeur ordinaire; mais il mourut peu après, des suites d'une chute de cheval (1530). Ce guerrier était d'une taille gigantesque et d'une force physique extraordinaire; pour la loyauté et la bravoure, il a été comparé à Bayard.

Sa famille était une des plus illustres de l'Espagne : le père de don Diego, dans les guerre, de Ferdinand V contre le roi du Portugal, suivit toujours la bonne cause, et rendit d'importants services à son souverain. Il exerça de bonne heure son fils au métier des armes; et à l'âge de douze ans, déjà couvert d'une armure, don Diego signala sa valeur contre les Portugais. Parvenu à sa dix-huitième année, soit par sa taille presque gigantesque, soit par sa force et son air martial, il rappelait ces héros qu'aimaient célébrer les Grecs. Sa force, surtout, était extraordinaire : on assure que , très jeune encore, avec une seule main , il arrêtait une roue de moulin dans son mouvement le plus rapide. Jusqu'à l'âge de cinquante ans, dit-on, cette vigueur excessive lui produisait souvent des états de fébrilité, pendant lesquels il lui arriva fréquemment de briser tout ce qu'il trouvait, et de se maltraiter soi-même. En 1483, il suivit son père à la guerre de Grenade; et il servit sous Ferdinand, dans les fameux sièges de Baeza, de Velez et de Malaga. Ce monarque, admirant les exploits du jeune guerrier, l'arma chevalier de sa propre main, et lui confia ensuite les plus périlleuses entreprises. C'est dans cette campagne que Garcia connut un digne émule de sa gloire, le grand Gonsalve de Cordoue, qui était à peu près de son âge, et avec lequel il se lia de l'amitié la plus intime. 

Après la prise de Grenade (1492), il se retira dans sa ville, où, bientôt après, il eut la douleur de perdre son père. Impatient du repos, il voulait passer en Italie, où les hostilités allaient commencer entre Charles VIII et Ferdinand le Catholique : mais ses parents, on ignore par quelle raison, ne voulaient pas qu'il quittât, pour lors, sa terre natale. Privé, par leurs soins, de son armure et de son cheval, il se vit contraint, pour effectuer son projet, d'enlever les armes et le chevet d'un de ses cousins : mais à peine fut-il à quelques lieues de la ville, qu'il se vit attaquer par six hommes d'armes envoyés par ses parents, qui lui intimèrent de rebrousser chemin. Garcia les engagea d'abord à renoncer à leur entreprise; mais voyant qu'ils voulaient absolument l'arrêter de force, il ne sut plus se contenir : s'élançant sur eux, plus terrible que la foudre, il en tua deux, blessa l'un dangereusement, et contraignit les autres à prendre la fuite. Arrivé à Rome, il y fut parfaitement accueilli par Alexandre VI, qui était son parent, et qui parvint à le retenir auprès de lui en qualité d'officier de sa garde. Tous les braves romains voulurent éprouver le courage et la force du guerrier espagnol; mais ils apprirent bientôt, par expérience, combien il était dangereux de le provoquer.

Don Diego se lassait de l'oisiveté où il était contraint de languir, et aurait bientôt quitté Rome, sans les instances réitérées du pape, et du cardinal Carvajal, qui était son cousin. Enfin une occasion se présenta, où il put exercer encore sa valeur : les Orsini, ennemis déclarés des Borgia, avaient pris les armes contre Alexandre VI, et son fils, le duc de Valentinois: Garcia fut alors nommé capitaine (1497); et, après avoir défait les ennemis dans plusieurs rencontres, il fut chargé de s'emparer de Montefiascone, où, ils s'étaient enfermés. Irrité de leur longue résistance, et manquant d'instruments pour escalader la muraille, il fait faire une échelle de piques et de boucliers, monte jusqu'aux créneaux, terrasse tous ceux qui lui disputent le passage, descend dans la ville, et, d'une main, rompt les verroux et les cadenas de la porte principale; il ouvrit ainsi une entrée aux troupes du pape, qui s'emparèrent de la place, et firent un grand nombre de prisonniers. 

Après cette expédition, il alla joindre les Espagnols qui faisaient le siège d'Ostie, vaillamment défendue par Guerri. L'intrépide don Diego monte le premier sur la brèche, et , en ayant éloigné les ennemis, Suivez-moi, Espagnols, s'écria-t-il, je vous frayerai le chemin de la victoire! Tout le monde accourt à sa voix, et la ville est prise en moins de deux heures. Une trève de quelques mois donna lieu à Garcia, de retourner en Espagne; mais Louis XII, ayant renouvelé les prétentions de son prédécesseur à la couronne de Naples, Ferdinand résolut de conquérir ce royaume; et ayant mis sur pied une puissante armée, elle se réunit (en 1500) au port de Palos, sous les ordres du fameux Gonzalve de Cordoue. Garcia alla bientôt rejoindre son ancien compagnon d'armes, qui, connaissant son intelligence et sa valeur, lui donna un commandement dans les troupes qu'il envoyait, par ordre de Ferdinand, au secours des Vénitiens. Ceux-ci, commandés par le général Pesaro, assiégeaient alors Céphalonie, que les Turcs leur avaient enlevée : Garcia ne tarda pas à mériter l'estime de ce général, et à se faire craindre des ennemis, qui, ne pouvant le vaincre par la force ni par la valeur, résolurent de se rendre maître de sa personne par la ruse.

Garcia se faisait toujours remarquer, au milieu des bataillons, et par sa taille, et par l'impétuosité de son courage : dans une attaque où il se trouvait, comme à l'ordinaire, à la tête des plus vaillants, les assiégés lui jetèrent plusieurs agraffes de fer, réunies ensemble, qui, s'accrochant à sa cuirasse, leur donnèrent le moyen de l'enlever tout vivant, et de le retirer ainsi dans la ville. Garcia ne s'était pas dessaisi de son épée ni de son bouclier; il se défendit pendant toute une journée contre une foule de Turcs, qui ne purent parvenir à l'abattre : épuisé de fatigue et tout couvert de sang, il tomba enfin sans connaissance, fut chargé de chaînes, et enfermé dans une tour, où il était soigneusement bardé. Un peu guéri de ses blessures, et ayant recouvré une partie de ses forces, il vint à bout de briser ses fers, presqu'au moment où le général vénitien donnait le dernier assaut à la place : s'étant emparé des armes d'une sentinelle, qu'il terrassa, don Diego s'ouvrit un passage hors de sa prison, et, combattant dans les rues, il ne contribua pas peu au succès de cette journée, si favorable aux armes des chrétiens.

Après la prise de Céphalonie (1501), il se rendit à la demande d'Alexandre Vl, qui l'appelait encore au secours de son fils, le duc César Borgia. Don Diego, en combattant toujours les Orsini, s'empara en peu de jours de Jofara et de Faenza; et, dans la dernière de ces places, il ne se signala pas moins par son humanité que par son courage. L'impitoyable duc voulait faire passer tous les habitants au fil de l'épée; mais Garcia indigné s'y opposa en disant : N'espérez pas pour cela le secours de mon bras : je suis ici comme soldat, et non comme assassin; et un vrai soldat n'ensanglante jamais la victoire. Le duc se vit contraint de pardonner aux vaincus. 

Depuis ce moment, don Diego abandonna à jamais la cause des Borgia , et alla se réunir au Grand capitaine qui avait déjà pénétré dans les états napolitains. Envoyé avec 5000 hommes à la découverte de pays, il prit aux Français les châteaux de Cosenza et de Manfredonia. Au siège de Canosa, il obligea deux fois les ennemis à se renfermer dans leurs retranchements : cette place étant tombée au pouvoir des Espagnols, les Français vinrent l'assiéger à leur tour. Ces derniers rivaux de gloire, pour signaler le commencement de ce siège par quelque exploit éclatant, invitèrent les Espagnols à choisir onze de leurs champions, pour combattre contre un égal nombre de Français l'esprit de chevalerie était encore en vigueur parmi les deux nations, et le cartel fut accepté. Don Diego, obligé, dans ce moment, de garder le lit à cause des blessures qu'il avait reçues dans les derniers combats, fut à peine informé de ce défi solennel, que, malgré l'épuisement de ses forces, et les instances de ses chefs, il voulut être du nombre de ceux qui devaient se mesurer avec les Français. Dans le combat, il eut souvent à soutenir le choc de trois des plus vaillants parmi ses adversaires. Après six heures de combat, les juges du camp déclarèrent que la victoire demeurait incertaine de part et d'autre. Garcia, quoiqu'il eût son épée et presque toute son armure brisées, s'obstinait à vouloir vaincre ou mourir; mais il fut obligé d'obéir aux ordres absolus du Grand capitaine.

A peine rétabli, il se rendit maître de la ville de Rufo, et était de l'avant-garde dans les batailles de Seminara et de Cérignole (1503). Chargé de s'emparer de cette dernière place, il l'emporta d'assaut. Pierre d'Arambure, qui la commandait, s'était réfugié dans le château, d'où il avait obtenu de Garcia un sauf-conduit pour se retirer avec les siens : ce dernier, incapable de défiance, alla visiter le château, accompagné seulement de trois officiers; il soupa amicalement avec Arambure, et se retira ensuite dans une chambre qu'on lui avait préparée. Pendant ce temps, les Français, croyant pouvoir se rendre de nouveau maîtres de la place, s'ils s'emparaient de Garcia, avaient résolu de le surprendre, tandis qu'il serait livré au sommeil. Par le moyen d'une fausse clef, ils s'introduisirent dans sa chambre : mais don Diego, s'étant éveillé dans le même moment, et se doutant de la trahison, sauta à bas du lit, prit son épée, et les obligea bientôt à prendre la fuite. Les Espagnols, qui gardaient les portes du château, accoururent au bruit; et, en apprenant la cause, ils voulaient qu'on pendît sur-le-champ les coupables : Non, leur dit Garcia, ils sont vaincus, honteux de leur conduite; méprisons donc une lâche vengeance, qui n'ajouterait rien à notre gloire : faisons mieux, il faurt leur pardonner

Garcia fit ensuite partir Arambure avec tous les Français, et leur donna une escorte, afin qu'ils ne fussent pas insultés. De Cérignole il alla occuper les places de San-Germano et de Rocca-Guillerma. Au passage du Garigliano, ce fut Garcia qui détermina le Grand capitaine à livrer la bataille, et qui en prépara le succès. Garcia s'était déjà, emparé de Rocca-d'Andria, fort placé à la rive droite du fleuve; mais Gonsalve se trouvait dans une position assez critique avec 8000 hommes qui lui restaient, il en avait à combattre plus de 30.000. Juste appréciateur des talents et de la valeur de Garcia, il n'en dédaignait pas les conseils. S'entretenant un jour avec don Diego, sur les forces supérieures des ennemis, celui-ci ne put lui dissimuler le danger qui menaçait l'armée espagnole : Garcia, dit alors Gonzalve, puisque vous ne connaissez pas la crainte, ne veuillez pas me la faire connaître pour la première fois

Garcia, piqué de cette réponse du Grand capitaine, résolut de s'en venger par une action d'éclat. Les Français avaient élevé , à la gauche du pont qu'ils avaient établi sur le Garigliano, une batterie, qui incommodait fort les Espagnols, et qui empêchait le Grand capitaine de hasarder aucun combat : il fallait donc tâcher de mettre cette batterie hors d'état de nuire aux troupes espagnoles; et c'est ce que Garcia imagina de faire. Le jour suivant, sans faire part à personne de son idée, il se présente sur le pont, armé de toutes ses armes, et défie les plus braves des Français de se mesurer avec lui. Les Français ne firent d'abord aucun cas de ses paroles; mais voyant qu'il avançait toujours, malgré la résistance des avant-postes, ils crurent que ce n'était là qu'une ruse de Gonzalve, et que ce champion isolé allait bientôt être suivi par toute l'armée espagnole, dont le projet, selon eux, était de s'emparer du pont. Tous les Français chargèrent alors sur ce même pont; et Garcia soutint seul, comme un nouvel Horace, le choc de tant d'adversaires. Tantôt en reculant, tantôt en tenant pied ferme, il les avait attirés au milieu du pont, où ils masquaient la batterie qui se rendait si formidable aux Espagnols. Il crie alors de toutes ses forces : Aux armes, Espagnols! Mais plusieurs bataillons de son camp s'étaient déjà ébranlés pour venir à son secours. Le combat s'engage; la batterie ne peut plus faire feu sur les Espagnols sans écraser auparavant les Français; et les premiers, grâce à l'intrépide valeur de Garcia, finirent par se rendre maîtres de la moitié du pont. La batterie est aussitôt démontée; et, le jour suivant, Gonzalve livra la bataille du 8 décembre 1505, qui fut si favorable aux Espagnols. 

Le vaillant Garcia commandait l'avant-garde heureux d'avoir réussi dans son premier projet, et contribué à cette victoire, il passa ensuite à Sora; et en peu de jours, il soumit ce duché. De là il se transporta à Naples que Gonzalve venait de conquérir ainsi que tout ce royaume. Il donna alors à Garcia, en récompense de ses services, la terre de Colonetta. La guerre d'Italie étant terminée, Garcia retourna en Espagne, où il reçut le plus favorable accueil des rois catholiques. La malveillance des envieux cherchait déjà à indisposer Ferdinand contre le Grand capitaine. Dans une occasion où Garcia se trouvait dans une des salles de la cour, plusieurs gentilshommes, parlant entre eux, semblaient vouloir mettre en doute la probité de Gonzalve. Garcia, irrité de leurs propos, et conservant toujours une sincère amitié pour son ancien compagnon d'armes, interrompt ces médisants, et leur dit d'un air terrible : Quiconque ose injurier l'honneur sans tache du Grand capitaine, n'a qu'à lever ce gant; et il jette le sien au milieu de la salle. Le roi, qui avait écouté cette conversation, se présente, lève le gant, le rend à Garcia, et dit aux gentilshommes : Retirez-vous, messieurs; il ne faut pas mal parler de celui qui vient de me conquérir un royaume. Il félicita ensuite Garcia de son amitié pour Gonzalve, et l'engagea à ne pas donner de suites à ce qui était arrivé. Don Diego était un sujet aussi brave que fidèle; et Ferdinand crut devoir le ménager, quelle que fût son opinion à l'égard du Grand capitaine. 

Garcia se rendit bientôt à Trujillo, sa ville, où il fut reçu au milieu des acclamations d'un peuple nombreux. Il se maria dans cette ville, à l'âge de quarante ans; mais, peu après, Ferdinand l'envoya auprès de son allié, l'empereur Maximilien, qui s'était déclaré chef de la ligue de Cambrai contre la république de Venise (1508); et Garcia se trouva aux sièges de Vérone et de Vicence. Il continua à se couvrir de gloire dans les armées de Charles-Quint, et notamment à la bataille de Pavie (1525). Il suivit ce monarque à Bologne où, après son couronnement (1528), ce prince le créa chevalier de l'Éperon d'or. Mais Garcia ne survécut pas longtemps à cette faveur. Une chute de cheval lui causa une violente fluxion de poitrine, dont il mourut en 1530, à l'âge de soixante-quatre ans. On mit une superbe épitaphe sur son tombeau, par les soins du cardinal Borromée.

On trouve des détails plus circonstanciés de sa vie et de ses exploits dans la Chronique du Grand capitaine, écrite par Fernandès del Pulgar, Alcala, 1584 , et dans Tomaio de Vargas, Valladolid , 1621. Garcia lui même avait écrit sa vie, pour l'instruction de don Sanche, son fils unique, afin que dans toutes les occasions (dit le titre), il agisse en défense de son pays, de son honneur et de sa personne, comme bon Espagnol et chevalier; ayant toujours Dieu devant ses yeux, afin qu'il l'aide dans toutes ses entreprises. Dans ce récit, écrit sans prétention, et qui se trouve inséré dans la Chronique de Fernandès del Pulgar, on admire également la modestie de l'auteur en parlant de lui-même, et les sentiments d'un bon père, qui ne dissimule pas ses erreurs et ses défauts, afin qu'ils puissent servir de leçon à un fils qu'il aimerait à rendre parfait. Quand on inhuma le corps de don Diego, on le trouva tout couvert de cicatrices : ce brave guerrier, aussi vaillant, aussi franc, aussi loyal que Bayard, son contemporain, s'était trouvé à quinze batailles, dix-sept sièges, avait pris huit places fortes et trois villes, commandant toujours des corps assez nombreux dans les expéditions les plus difficiles. Plein de courage et d'intelligence, il n'avait, de même que Bayard, ni augmenté sa fortune, ni occupé aucun poste éminent dans les armées. Mais il avait, en revanche, excité l'admiration et mérité l'estime de ses compatriotes et de ses souverains. (B-s.).

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Dictionnaire biographique
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