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André-Hercule
de Fleury est un cardinal et homme d'Etat français, né
à Lodève le 26 juin 1653, mort
à Paris le 29 janvier 1743. Fils d'un
receveur des décimes de sa ville natale, Fleury vint à Paris
très jeune et fit de bonnes études chez les jésuites,
au collège de Clermont d'abord, ensuite à celui d'Harcourt.
Entré dans les ordres, il fut pourvu d'un canonicat à Montpellier
dès 1668; puis, par la protection de Bonsy, il devint aumônier
de Marie-Thérèse en 1679.
Ce fut l'origine de sa prodigieuse fortune. Introduit par sa charge dans
le monde de la cour, il assista à l'assemblée du clergé
de 1682 et devint aumônier du roi après la mort de la reine
(1683). Ce prince, après lui avoir donné successivement l'abbaye
de la Rivour (1686) et l'évêché de Fréjus
(1698), où Fleury se conduisit très habilement pendant l'invasion
sarde, le désigna, par un codicille du 23 août 1745, pour
être précepteur du dauphin.
Fleury, qui venait de se démettre
de son siège épiscopal et avait obtenu en échange
la riche abbaye de Tournus,
se, consacra tout entier à ses nouvelles fonctions, bien décidé
à tirer de l'influence qu'elles lui donnaient tout le parti possible.
Par une indulgence insinuante, il s'attacha complètement l'esprit
de son royal élève et l'habitua insensiblement à ne
pouvoir se passer de lui. Aussi, quand en août 1722 Villeroy, dont
Fleury avait été le protégé, fut exilé
à Lyon, le jeune prince rappela-t-il par une lettre de sa main son
précepteur qui avait cru devoir suivre le maréchal dans sa
disgrâce. Quand le roi eût été déclaré
majeur et Dubois premier ministre, Fleury eut
entrée au conseil d'Etat que Louis XV
était censé présider et où ne se trouvaient,
avec lui et Dubois, que les ducs d'Orléans,
de Chartres et de Bourbon (février 1723).
Après la mort du régent,
il ne jugea pas le moment venu de prendre le ministère, et ce fut
sur ses conseils que le roi le donna au duc de Bourbon (2 décembre
1723). Il resta dans l'ombre pendant le ministère, de ce prince,
très puissant en réalité, mais ne se signalant que
par son hostilité contre les jansénistes.
Le duc de Bourbon essaya de lutter contre son influence occulte. Fleury
feignit de se retirer à Issy; le roi l'ayant fait rappeler, il comprit
qu'il n'y avait plus à hésiter. Le duc de Bourbon fut exilé
à Chantilly (11 juin 1726) et Fleury
resta désormais sans rival maître du pouvoir. Il ne prit cependant
pas le titre de premier ministre et se contenta du chapeau de cardinal
(septembre 1726), laissant Louis XV dire qu'il voulait être désormais
son propre premier ministre, comme Louis XIV.
Il y a à distinguer dans le ministère Fleury la politique
intérieure et la politique extérieure. Si la première
fut sans grandeur, elle ne fut pas sans utilité et sans mérite.
En gouvernant le moins possible, Fleury arriva à donner à
la nation quelques années de réelle prospérité.
Econome par nature, Fleury opéra
de fortes réductions sur les dépenses. Grâce à
l'augmentation du bail des grosses fermes, grâce au développement
du commerce, il put faire ces économies non seulement sans augmenter
les impôts, mais même en les réduisant. Les tailles
furent diminuées, le cinquantième modifié, puis supprimé
complètement (juillet 1727), la fixité des monnaies établie,
on peut dire définitivement, par la déclaration du 15 juin
1726. En revanche, Fleury capitula au sujet du cinquantième devant
l'inconcevable opposition du clergé, et lui accorda d'être
exempté de cet impôt (8 octobre 1726). De même, il réduisit
les rentes en août 1726, mesure vexatoire et inique, mais à
l'aide de laquelle il parvint cependant à combler une partie des
déficits antérieurs. La corvée royale, rétablie
en 1733, fut également très dure pour la population, au moins
dans certaines intendances, mais elle aboutit à développer
considérablement le réseau des voies de communication.
Cette administration, en somme sage et prudente, permit au commerce et
à l'industrie de prendre un grand accroissement. D'après
Voltaire, la marine marchande en arriva à
compter 1800 vaisseaux en 1738, au lieu de 300 en 1715. C'est de cette
époque que date, on peut le dire, la ville de Lorient.
La politique de Fleury fut plus discutable
au point de vue religieux. Il laissa persécuter les jansénistes.
L'évêque de Senez, Soanen, fut condamné au concile
d'Embrun (1727), et les derniers docteurs jansénistes de la Sorbonne
durent se retirer à Utrecht. Il est
vrai de dire que, grâce à la persécution, le jansénisme
tendait de plus à cesser d'être un parti religieux pour devenir
un parti politique dont les parlementaires se servirent habilement pour
accroître leur popularité et leur influence; il est vrai aussi
qu'il n'avait plus les grands caractères qui l'avaient honoré
au siècle précédent, et que les folies des convulsionnaires
au tombeau du diacre Pâris (1732), comme les polémiques des
Nouvelles ecclésiastiques, n'étaient pas faites pour
ajouter à sa considération, mais ce n'était pas une
raison pour abandonner toutes les affaires religieuses à l'influence
des jésuites, comme le fit Fleury. Les protestants furent moins
persécutés que les jansénistes; c'est cependant sous
le ministère de Fleury que se passèrent les horreurs de la
tour de Constance à Aigues-Mortes
(1727-1729).
La politique extérieure de Fleury
fut moins heureuse que sa politique intérieure. Elle se résume
dans trois affaires l'alliance anglaise, le congrès de Soissons,
la guerre de la succession de Pologne,
car la guerre de la succession
d'Autriche s'ouvrit sans lui et même malgré lui. L'alliance
anglaise pouvait se justifier et elle servit au moins à Fleury à
rendre service aux Bourbons d'Espagne, alliés traditionnels des
Français. Mais ce fut y attacher trop de prix que de laisser dépérir
notre marine militaire pour désarmer la jalousie britannique. Le
congrès de Soissons (1729) fut un succès pour Fleury, et
surtout pour son ministre des affaires étrangères, Chauvelin.
Grâce aux négociations qui y furent conduites, un Bourbon
d'Espagne, don Carlos, fils aîné du second lit de Philippe
V, alla régner à Parme et à Plaisance. Quant à
la guerre de la succession de Pologne, très mal engagée d'abord,
elle se termina finalement, grâce à Chauvelin, par un succès
diplomatique. Il fallait, ou s'entendre avec l'électeur de Saxe
sur le terrain de l'établissement de l'hérédité
en Pologne dans sa maison, ou soutenir vigoureusement les prétentions
de Stanislas.
Fleury ne sut se résoudre à
aucun de ces deux partis. Il soutint mollement Stanislas en essayant de
satisfaire l'électeur de Saxe aux dépens de l'héritage
de Charles VI. Dès lors, l'élection de Frédéric-Auguste,
le débarquement suivi de l'échec complet de Stanislas, malgré
l'héroïsme de Plélo et le courage de Monti, portèrent
à l'influence française en Pologne un coup dont elle ne devait
pas se relever. L'Autriche, qui avait
soutenu l'électeur de Saxe, paya les frais de la guerre. Elle céda
à Stanislas, qui abdiqua, la Lorraine,
patrimoine du mari de Marie-Thérèse, et dut échanger
Parme et Plaisance pour Naples, la Sicile
et les présides de Toscane, sur lesquels
régna don Carlos.
Le traité de Vienne (3 octobre 1733)
répara ainsi les fautes de Fleury. Il essaya en vain d'empêcher
la France de prendre parti contre l'Autriche à la mort de Charles
VI et de s'opposer aux projets aventureux de Belle-Isle (1741). Peut-être
avait-il raison de vouloir dès 1741 former cette entente franco-autrichienne
que Choiseul réalisa, quinze ans plus lard; mais, à coup
sûr, il eut tort, dès le moment où cette idée
était abandonnée, de ne pas adopter et suivre avec énergie
la politique contraire qui avait aussi ses avantages. Il fallait, la guerre
contre l'Autriche une fois com mencée, la poursuivre avec vigueur
jusqu'au bout; arracher à l'ennemi la paix au lieu de la lui demander,
comme le fit Fleury en rappelant Belle-Isle de la Bohème
(1742). Mais la décision était ce qui manquait le plus à
Fleury. Il n'eut jamais pour guide que son étroit intérêt
personnel et ne montra d'énergie qu'au service de celui-ci.
(L. Farges). |
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