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Erckmann-Chatrian

Emile Erckmann et Louis Gratien Charles Alexandre Chatrian (Erckmann-Chatrian) sont des écrivains français, le premier né à Phalsbourg (Meurthe) le 20 mai 1822 et mort le 14 mars 1899 à Lunéville, le second né à Soldatenthal, commune d'Abreschwiller (Meurthe) le 18 décembre 1826, mort au Raincy (Seine-Saint-Denis) le 3 septembre 1890. Fils d'un libraire, 

Emile Erckmann commença ses études au collège de Phalsbourg, prit à Paris en 1842 ses inscriptions de droit, adressa aux Chambres une brochure sur le Recrutement militaire (1845), et revint en 1847 au pays natal sans avoir passé les derniers examens exigés pour la licence. C'est alors qu'il fut mis en rapports par un ami commun avec Alexandre Chatrian, d'abord employé en Belgique dans une manufacture de verrerie, puis maître d'études au collège de Phalsbourg. Tous deux débutèrent l'année suivante dans le Démocrate du Rhin, en signant de leurs noms de famille soudés ensemble diverses nouvelles : le Sacrifice d'Abraham, le Bourgmestre en bouteille, etc., réunies sous le titre d'Histoires et Contes fantastiques par Emile Erckmann-Chatrian (Strasbourg, 1849); un autre conte, Science et Génie (Strasbourg, 1850), fut reproduit depuis en partie dans le Mousquetaire, journal d'Alexandre Dumas. Un drame, Georges (Saint-Nicolas-de-Port, juillet 1848), fut présenté à l'Ambigu-Comique, à Paris, en 1850, sous le titre du Chasseur des ruines, et reçu sous la réserve de corrections que les auteurs se refusèrent à faire. La même année, un autre drame, l'Alsace en 1814, se vit interdit, par mesure de sûreté générale, après la seconde représentation sur le théâtre de Strasbourg

En 1852, Alexandre Chatrian entrait dans les bureaux de la Compagnie du chemin de fer de l'Est, où il occupa plus tard l'emploi de conservateur des titres. Dès 1850, les deux amis avaient publié, sous leur signature collective, dans les journaux abonnés à la Correspondance littéraire de Mme Lalire, une nouvelle, Schinderhannes (Jean l'Ecorcheur), et sous le nom seul de E. Erckmann, dans le Journal des Faits, un roman intitulé les Brigands des Vosges il y a soixante ans, dont les feuilletons ont été tirés à part : c'est la version primitive, toute différente du texte définitif, de l'Illustre Docteur Mathéus (1859), publié d'abord en 1857, sous la même signature de E. Erckmann, dans la Revue de Paris

A la suite de ce premier et tardif succès, les auteurs réunirent sous le titre de Contes fantastiques (1860), Contes de la Montagne (1860), Maître Daniel Rock (1861), Contes des bords du Rhin (1862), les Confidences d'un joueur de clarinette (1865), diverses nouvelles récentes ou anciennes. 

Vers la même époque, Erckmann-Chatrian, qui avaient définitivement adopté cette signature, conçurent le plan de toute une série de récits embrassant la période des campagnes de la République et de l'Empire; le Fou Yégof, épisode de l'invasion de 1814 (1862, in-48), fut suivi de Madame Thérèse ou les Volontaires de 1792 (1863), de l'Histoire d'un conscrit de 1813 (1864), que Meissonier se proposa un moment d'orner de vignettes, et de Waterloo (1865), réimprimés sous le titre collectif de Romans nationaux (1865), et complétés plus tard par la Guerre (1866), le Blocus, épisode de la fin de l'Empire (1867), et l'Histoire d'un paysan (1868-1870, 4 volumes). Ces livres, inspirés par un très vif sentiment patriotique, mais essentiellement hostiles au militarisme et surtout à la légende impériale, furent répandus à profusion par des éditions populaires illustrées, en dépit des difficultés que leur suscita souvent la commission de colportage, et valurent à leurs auteurs une légitime popularité. 

Après les désastres de 1870-1871, ils empruntèrent à des événements récents le sujet de leurs nouvelles compositions, telles que Histoire du plébiscite racontée par un des 7,500,000, oui (1872, in-18); le Brigadier Frédéric, histoire d'un Français chassé par les Allemands (1874); Une Campagne en Algérie, récits d'un chasseur d'Afrique (1874); Souvenirs d'un chef de chantier à l'isthme de Suez (1876); Alsace (1881); le Banni (1882). Les traditions, les légendes et les moeurs populaires ont encore fourni aux mêmes écrivains, soit avant, soit depuis la guerre, plusieurs autres romans ou recueils de nouvelles : l'Ami Fritz (1864); Histoire d'un homme du peuple (1865); la Maison forestière (1866); Histoire d'un sous-maître (1869); Maître Gaspard Fix (1876); Contes vosgiens (1877); le Grand-Père Lebigre (1880); les Vieux de la Vieille (1881). Citons à part une Lettre d'un électeur à son député (1872); Quelques Mots sur l'esprit humain (1880); l'Art et les grands idéalistes (1885). 
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Le Noël du Bohémien

« Un soir de Noël, Kobus se trouvait à la brasserie du Grand-Cerf. Il y avait trois pieds de neige dehors. Dans la grande salle, pleine de fumée grise, autour du grand fourneau de fonte, les fumeurs se tenaient debout; tantôt l'un, tantôt l'autre s'écartait un peu vers la table, pour vider sa chope, puis revenait se chauffer en silence.

On ne songeait à rien, quand un bohémien entra, les pieds nus dans ses souliers troués; il grelottait, et se mit à jouer d'un air mélancolique. Fritz trouva sa musique très belle : c'était comme un rayon de soleil à travers les nuages gris de l'hiver.

Mais derrière le bohémien, près de la porte, se tenait dans l'ombre le wachtmann Foux, avec sa tête de loup à l'affût, les oreilles droites, le museau pointu, les yeux luisants. Kobus comprit que les papiers du bohémien n'étaient pas en règle et que Foux l'attendait à la sortie pour le conduire au violon.
C'est pourquoi, se sentant indigné, il s'avança vers le bohémien, lui mit un thaler dans la main, et, le prenant bras dessus, bras dessous, lui dit :

« Je te retiens pour cette nuit de Noël; arrive! »

Ils sortirent donc au milieu de l'étonnement universel, et plus d'un pensa : 

« Ce Kobus est fou d'aller bras dessus, bras dessous, avec un bohémien; c'est un grand original. »

Foux, lui, les suivait en frôlant les murs. Le bohémien avait peur d'être arrêté, mais Fritz lui dit :

« Ne crains rien; il n'osera pas te prendre. »

Il le conduisit dans sa propre maison, où la table était dressée pour la fête du Christ-Frind; l'arbre de Noël au milieu, sur la nappe blanche, et, tout autour, le pâté, les kuchlen, saupoudrés de sucre blanc, le kougelhof aux raisins de caisse, rangés dans un ordre convenable. Trois bouteilles de vieux bordeaux chauffaient dans des serviettes, sur le fourneau de porcelaine à plaque de marbre.

« Katel, va chercher un autre couvert, dit Kobus, en secouant la neige de ses pieds; je célèbre ce soir la naissance du Sauveur avec ce brave garçon, et si quelqu'un vient le réclamer... gare! »

La servante ayant obéi, le pauvre bohémien prit place, tout émerveillé de ces choses. Les verres furent remplis jusqu'au bord, et Fritz s'écria :

« A la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le véritable Dieu des bons coeurs ! »

Dans le même instant, Foux entrait. Sa surprise fut grande de voir le zigeiner assis à la table avec le maître de la maison. Au lieu de parler haut, il dit seulement :

« Je vous souhaite une bonne nuit de Noël, monsieur Kobus. 
- C'est bien; veux-tu prendre un verre de vin avec nous?

- Merci, je ne bois jamais pendant le service. Mais connaissez-vous cet homme, monsieur Kobus?

Je le connais et j'en réponds.

- Alors ses papiers sont en règle? »

Fritz n'en put entendre davantage : ses grosses joues pâlissaient de colère; il se leva, prit rudement le wachtmann au collet et le jeta dehors en criant :

« Cela t'apprendra d'entrer chez un honnête homme la nuit de Noël. »

Puis il vint se rasseoir; et, comme le bohémien tremblait :

« Ne crains rien, lui dit-il, tu es chez Fritz Kobus. Bois, mange en paix, si tu veux me faire plaisir. »

Il lui fit boire du vin de Bordeaux; et, sachant que Foux guettait toujours dans la rue, malgré la neige, il dit à Katel de préparer un bon lit à cet homme pour la nuit; de lui donner le lendemain des souliers et des vieux habits, et de ne pas le renvoyer sans avoir eu soin de lui mettre encore un bon morceau dans la poche.

Foux attendit jusqu'au dernier coup de la messe, puis il se retira; et le bohémien, qui n'était autre que Jôsef, étant parti de bonne heure, il ne fut plus question de cette affaire.

Kobus, lui-même, l'avait oubliée, quand, aux premiers jours du printemps de l'année suivante, étant au lit un beau matin, il entendit, à la porte de sa chambre, une douce musique : c'était la pauvre alouette qu'il avait sauvée dans les neiges et qui venait le remercier au premier rayon du soleil.

Depuis, tous les ans, Jôsef revenait à la même époque, tantôt seul, tantôt avec un ou deux de ses camarades, et Fritz le recevait comme un frère. »
 

(Erckmann-Chatrian., L'Ami Fritz).

En juin 1869, Erckmann-Chatrian firent représenter avec un succès prolongé, au théâtre Cluny, le Juif polonais, drame en trois actes. Ils empruntèrent sept ans plus tard à l'Ami Fritz le sujet d'une comédie en trois actes (Théâtre-Français, 2 décembre 1876) qui, dénoncée au cours même des répétitions par la presse conservatrice comme l'oeuvre d'écrivains antipatriotes, n'en dut pas moins, autant à sa donnée toute littéraire qu'au talent de ses interprètes et à la perfection de sa mise en scène, d'être accueillie par d'unanimes applaudissements et de demeurer au répertoire. Madame Thérèse, pièce militaire en dix tableaux (Châtelet, 1882), le Fou Chopine, opéra-comique en un acte, musique de Sellenick (1883), les Rantzau, comédie en quatre actes (1884), la Taverne des Trabans, opéra-comique, musique de Henri Maréchal, les Amoureux de Catherine et la Nuit de la Saint-Jean, autres opéras-comiques, musique de Maréchal et Lacome, ne rencontrèrent pas tous la même faveur. 

La révélation au public, par un tiers (19 août 1889), de prétendus dissentiments graves entre les deux écrivains, provoqua de la part d'Erckmann une plainte en diffamation, suivie, le 26 mars 1890, de la condamnation, par le tribunal de la Seine, du secrétaire de son ancien collaborateur à un mois de prison et 2000 F d'amende, et, solidairement avec le gérant du Figaro, à 10,000 F de dommages-intérêts et à l'insertion du jugement dans vingt journaux de Paris et de la province. Cette condamnation fut confirmée par la cour d'appel, le 9 juillet 1890. Le procès en lui-même prit un intérêt littéraire par le jour inattendu qu'il jeta sur le genre de collaboration qui existait entre les deux auteurs. 

La part d'Erckmann consistait surtout dans la rédaction des romans et des nouvelles, tandis que Chatrian intervenait plus directement dans la publication et dans les remaniements pour la scène. Chatrian, affaibli par les suites d'une opération chirurgicale, s'éteignit quelques mois après la conclusion du procès. Emile Erckmann, qui habitait Lunéville, a publié ensuite dans le Temps deux nouvelles : Kaleb et Khora (1891), la Première Campagne du grand-père Jacques et  L’Oncle Jean (1892). Alsaciens et Vosgiens d’autrefois ; Fables alsaciennes et vosgiennes date de 1895. (Maurice Tourneux).

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Dictionnaire biographique
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