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Le Moyen-âge > Les Arabes
Les Empires arabes
Les trois califats médiévaux
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On distingue dans l'histoire des peuples musulmans trois monarchies spirituelles connues sous le nom de califats et ayant régné simultanément à partir du Xe siècle : 
1° le califat d'Orient ou de Médine, Damas et Bagdad (632-1258); 

2° le califat d'Occident ou de Cordoue (755-1031);

3° le califat fatimide (909-1171).

Le califat d'Orient

Califes orthodoxes.
La mort du prophète Mohammed (8 juin 632), qui ne laissait pas de postérité mâle et n'avait pas solennellement désigné son successeur, faillit renverser tout l'édifice social péniblement élevé au prix de vingt années d'efforts. Le choix des Ashâb ou compagnons du Prophète se porta sur son beau-père Aboû Bekr (632-634) qui prit le titre de « vicaire de l'envoyé de Dieu », califat rasoûl Allah. La guerre sainte fut aussitôt proclamée, et les Arabes se ruèrent à la conquête du monde. L'Orient, du reste, présentait une proie facile : les deux empires rivaux des Grecs et des Perses, épuisés par une lutte séculaire, affaiblis par les factions politiques, étaient en outre divisés par des sectes religieuses dont l'esprit était favorable à l'islam. Khâiid, Amrou ibn El-As, Aboû Obeïda, etc., généraux du calife, firent des conquêtes rapides en Chaldée et en Syrie. Sous Omar Ibn El-Khattâb (634-644), la triple bataille de Qâdisiya et celle de Néhâvend amenèrent la chute de l'empire des Perses; la prise de Memphis et d'Alexandrie rendit les Arabes maîtres de l'Egypte, de la Nubie et de la Cyrénaïque

Le règne du faible Othmân ibn Affân (644-656), qui vit l'Empire arabe reculer ses frontières jusqu'à la mer Caspienne et l'lndus, vit aussi éclore la première guerre civile. La lutte entre Hâchimites et Omeyyades, les deux familles rivales qui constituaient à La Mecque et à Médine l'aristocratie de naissance et l'aristocratie de fortune, partagea le monde musulman en plusieurs camps réclamant la déchéance d'Othmân devenu impopulaire et se mettant sous la bannière, qui d'Ali, gendre et fils adoptif du Prophète, trois fois évincé d'un pouvoir qu'il considérait comme son héritage, qui de Zobeïr, qui de Talha. Ali ibn Abi Tâlib, après l'assassinat d'Othmân, parvint enfin au califat (656-661). De son côté se groupèrent ceux qui avaient conservé l'enthousiasme religieux et le désintéressement des premiers temps. Du côté de Moâwiya, son rival, qui était arrière-petit fils d'Omeyya, accoururent les Qoreïchites, ivres d'une ambition que le Prophète avait longtemps comprimée et dont l'orthodoxie était fort sujette à caution. Moâwiya souleva la Syrie et se fit élire calife à Damas. Ce fut le signal d'une lutte épique et sauvage qui prit fin le jour où Ali tomba sous le poignard d'un sectaire khâridjite.

Califes Omeyyades (661-750). 
La mort de celui que les Arabes surnommèrent « le lion d'Allàh » consacra le triomphe du parti omeyyade. Dès lors, l'islam se partagea par un schisme éclatant en deux grandes sectes  : chiites, partisans d'Ali, et sunnites orthodoxes, dont le temps n'a pas éteint la haine réciproque. Moâwiya (661-680), homme de génie et d'intrigue, dépouilla Médine de son titre de métropole an bénéfice de Damas, s'appuya sur les Bédouins et les Syriens, rendit le califat héréditaire dans sa famille; il ne put faire accepter son usurpation qu'en rendant l'unité à l'Empire. Sous son règne, les Arabes conquirent Rhodes, Cos et la Crète, la Transoxiane, la Tripolitaine et la Byzacène; ils assiégèrent inutilement Constantinople pendant sept ans. 

A sa mort, les Khâridjites et les Alides se révoltèrent et pendant que Yézid ou Yazid Ier (680-683) les combattait, Abd-Allâh ibn Zobeïr, petit-fils d'Aboû Bekr, profitant du désastre de Kerbala où périt le malheureux Hoseïn, fils d'Ali, se fit proclamer calife par le parti orthodoxe à La Mecque et à Médine; il réussit à grouper sous sa domination une partie de la Perse, l'Egypte et l'Arabie. L'empire se trouva donc divisé de nouveau-: au Nord, sous la puissance du fils de Moawiya; au Sud sous celle du fils de Zobeïr.

Abd-Allâh conserva son prestige sous la règne de Moâwiya II et de Merwân Ier qui ne firent que paraître sur le trône (684-685). Mais le calife Abd el-Malik (685-705) marcha contre lui, l'assiégea dans La Mecque qu'il détruisit de fond en comble, et l'antagoniste étant mort sur la brèche, tout rentra dans le devoir. Sous Walid ler (705-715) les généraux omeyyades guerroient avantageusement contre les Grecs en Asie Mineure, s'emparent de la Kashgarie, campent sur les frontières de la Chine, s'avancent jusqu'au Gange. A l'Occident, le Berbère Târiq franchit les colonnes d'Hercule et conquiert l'Espagne au pas de course. L'empire des Wisigoths a vécu et la péninsule est soumise pour huit siècles aux lois de l'Islam. Dans le même temps, les corsaires arabes écument la mer Méditerranée et font main basse sur la Crète, la Sicile, la Corse, la Sardaigne et les Baléares. Souleïman (717) et son successeur Omar II (717-720) tentèrent de nouveau le siège de Byzance, l'expédition, organisée pourtant longtemps à l'avance, aboutit à un complet désastre. C'est sous le règne de Yazîd II (720-724) que les Sarrasins enjambent les Pyrénées et commencent leurs incursions dans la Gaule méridionale. Eudes, duc d'Aquitaine, réussit à les en chasser partiellement. Quatre ans plus tard, tandis que Hichâm règne à Damas (724-743), ils reviennent à l'assaut, et, cette fois, se répandent victorieusement jusqu'à la Loire et bien au delà du Rhône, livrant le pays aux plus horribles ravages. Ils sont enfin arrêtés dans leurs triomphes par Charles-Martel à la bataille mémorable livrée entre Tours et Poitiers (octobre 732).

L'Empire des Arabes, plus vaste alors que l'Empire romain à l'époque de sa splendeur, est à peine arrivé avec Hichâm à son apogée, que déjà les premiers symptômes d'une décadence prochaine se font sentir au moment même où, brusquement, cesse l'ère des conquêtes.

La situation de Hichâm et, en général, du parti omeyyade, déjà compliquée par une longue révolte des Berbères d'Afrique et par une invasion des Khazars du Chirvân (Les Turkmènes), s'aggravait insensiblement grâce aux menées secrètes du parti abbâsside, dont les chefs étaient les descendants d'Abbâs, oncle paternel du prophète. Malgré le prestige de leurs triomphes et de leur gloire, les Omeyyades s'étaient aliéné tous les croyants rigoristes par leur irréligion supposée, leurs vices et leurs cruautés. Walîd II (743), qui épousa les femmes de son père, viola sa propre fille, dissipa en orgies et en prodigalités stupides les trésors des califes, ne sut qu'inventer pour tourner en ridicule la religion dont il était le grand prêtre. Aussi fut-il renversé du trône, vaincu et massacré par un de ses cousins, Yazid III (743-744) dont l'avènement fut le signal de la guerre civile en éveillant les compétitions de plusieurs princes de sa famille. Celui-ci meurt de la peste et son frère Ibrahim (744) fait de vains efforts pour lui succéder. Ce fantôme de calife abdique entre les mains de Merwân ibn Mohammed (744-750), petit-fils de Merwân Ier auquel deux de ses parents, Souleïman, fils de Hichâm, et Abd el-Aziz, fils d'Omar II, disputent encore le califat. C'est ainsi que les convulsions. dans lesquelles s'agite la dynastie omeyyade préparent l'élévation des Abbâsides.

Puissants par leur nombre, leurs richesses et la considération que leur attiraient leurs vertus et leur noble origine, les Abbâsides balançaient depuis longtemps déjà la fortune des Omeyyades généralement regardés comme d'impies usurpateurs. Ils avaient su capter la confiance des Alides et exploiter très habilement à leur profit la mouvement chiite qui, depuis Kerbala, n'avait cessé d'aller grandissant. Ils avaient la force, mais, en regard des Alides, il leur manquait le droit. Le mensonge et l'intrigue le leur donnèrent; plus tard, le meurtre fit le reste. C'est dans le courant de l'année 746 que les chefs de cette vaste conspiration, l'imâm Ibrahim ibn Mohammed et son frère Abou-l-Abbâs, jettent le masque. Ils sont activement secondés par le chiite Aboû Moslim, qui soulève tout le Khorasân et la Perse en faveur des Abbâssides et proclame à Merv la déchéance des Omeyyyades. En réponse à cette insurrection, Merwân Iifait assassiner l'imam Ibrahim dont l'héritage spirituel est recueilli aussitôt par son frère, qui se fait solennellement proclamer calife à Merv, puis à Koufa. Merwân, cependant, ne néglige rien pour détourner la catastrophe qui le menace; mais il est mis en pleine déroute par l'oncle d'Aboû l-Abbâs dans la plaine historique d'Arbelles, sur les bords du grand Zâb (janvier 750) et, traqué de toutes parts, trouve la mort dans un village de la Basse-Egypte. Avec lui tombent les Omeyyades de Damas qui occupaient le califat depuis quatre-vingt-neuf ans.

Califes abbâssides (750-1258). 
Après la victoire, Aboû l-Abbâs fit exterminer tous les membres de la famille déchue, ce qui lui valut le surnom d'Es-Saffâh, c.-à-d. « le verseur de sang ». Un Omeyyade, toutefois, Abd er-Rahmân, petit-fils du calife Hichâm, parvint à échapper au massacre et sut faire revivre, cinq ans plus tard, le nom des siens en fondant le califat indépendant de Cordoue (752-1031). Aboû l-Abbâs passa ses quatre années de règne à organiser son empire (750-754). Le règne d'El-Mansoûr (754-75) fut troublé par plusieurs révoltes. La plus grave fut celle des Alides, qui commençaient à comprendre dans quelle erreur ils étaient tombés en aidant les Abbâsides à s'emparer du pouvoir. A partir de cette époque, les princes de la famille d'Ali ne cesseront de protester les armes à la main contre l'usurpation des maîtres reconnus du califat; mais, mal servis par leurs partisans, poursuivis d'ailleurs par une fatalité inéluctable, ils épuiseront toujours leurs efforts en pure perte. Aboû l-Abbâs avait établi le siège de sa puissance à Koufa; son successeur, Abou Djafar al-Manzor, prit Hâchimîya pour capitale, puis, après le mouvement insurrectionnel des Râwendites, fonda Bagdad, la «-ville du Salut ». Sous El-Mahdi (775-785), prince ami du luxe, des arts et des lettres, la paix de l'empire fut également troublée à l'intérieur par les menées des hérésiarques persans : communistes, zoroastriens, ultra-chiites ou libres penseurs, qui combattaient bien plutôt pour l'indépendance nationale que pour une idée religieuse. Le meurtre d'El-Hâdî (785-786) laissa le trône à son frère Haroun er-Raschid (786-809). Ce long règne est témoin de plusieurs événements importants, tels que la disgrâce des Barmécides, famille de vizirs célèbres auxquels les premiers Abbâssides durent plus qu'à eux-mêmes la grandeur de leurs règnes; la conclusion de traités de commerce entre la calife et l'empereur Charlemagne; l'établissement de deux dynasties indépendantes sur le territoire de l'empire : 1° au Maroc où Edris ibn Abd Allâh fonde en 788 le royaume alide des Edrissites; 2° en Ifriqiya, dont le gouverneur Ibrahim ibn El-Aghlab reçoit l'investiture de cette province à titre héréditaire en 800 (Les dynasties musulmanes, § Aghlabites). Les guerres extérieures n'offraient déjà plus rien de particulier; c'était l'éternelle lutte contra les Byzantins avec Constantinople pour appât et des alternatives de succès et de revers. Il en sera ainsi jusqu'à l'avènement des sultans seldjoukides, au XIe siècle.

Hâroûn laissait en mourant un testament politique dont son fils et successeur El-Amîn (809-813), poussé par l'ambition, ne crut pas devoir tenir compte. Ce prince tenta de déposséder son frère El-Mémoûn des Etats qui constituaient son héritage. Assiégé dans Bagdad, il fut vaincu et tué. En la personne d'El-Mâmoun (813-833) qui se montre tantôt despote fantasque et tantôt prince noble et sensé, la dynastie des Abbâssides est arrivée à L'apogée de sa gloire. Il quitte Bagdad pour Merv, s'entoure de Persans, favorise les Alides au point d'abdiquer le pouvoir en faveur de l'un d'entre eux, l'imâm Ali Ridâ. Le parti arabe s'insurge, et le calife revient à son rôle dynastique, mais non sans se faire le champion des plus franches hérésies sous l'influence de la philosophie grecque et de la libre pensée. Son frère El-Motasim (833-842), pour mieux s'affranchir de la tutelle persane et dédaignant les Arabes dont l'orthodoxie passe à ses yeux pour un crime d'Etat, se met entre les mains de 70,000 prétoriens turcs. Ce fut une faute politique des plus graves, qui hâta la décadence du califat d'Orient

A partir de cette époque, la ville nouvelle de Samara devient la résidence des califes et de leur terrible garde. El-Wàçiq (842-847), flatté par les Turcs, a le tort de les protéger outre mesure. Il continue le mouvement rationaliste inauguré sous El-Mâmoûn. Mais avec El-Motawakkil (847-861), le Néron des Arabes, l'orthodoxie reprend tout à coup le dessus dans l'Etat; le fanatisme et la tyrannie de ce prince lui coûtent le trône et la vie. Son fils, le parricide El-Mostansir (861-862) meurt de remords.

L'assassinat d'El-Motawakkil, oeuvre des chefs de la milice turque, fut le coup d'essai de leur audace. L'Empire désormais leur appartint et non plus aux califes qui, jouissant à peine du pouvoir spirituel, devinrent les jouets des caprices et des ambitions de despotes incapables et cruels. Pour avoir cherché à s'affranchir de la tutelle des Turcs au pouvoir, El-Mostaïn, El-Motazz et El-Mohtadi (862-870) sont coup sur coup sacrifiés. Le règne d'El-Motamid (870-892) apporte vingt-deux ans d'accalmie, mais c'est grâce au dévouement et au mérite d'El-Mouwaffaq qui, frère de ce calife incapable, prend la gérance de l'empire. El-Motadhid (892-902) se montre digne fils de ce dernier. 

Mais déjà, à cette époque, l'Empire arabe, épuisé par sa propre immensité, est réduit des deux tiers. Après l'Espagne, après le Maroc et l'Afrique, les provinces persanes se séparent et se font des destinées indépendantes. Dès 830, Tâhir ibn Hoseïn a fondé dans le Khorasân la dynastie des Tâhirides (Les dynasties musulmanes). Les provinces caspiennes : Tabaristân, Guilân et Gourgân, constituent en 864 un petit royaume alide avec la dynastie des Hassanides. Beaucoup plus redoutable est la puissance des Saffârides qui s'élève dans le Séistân vers 866, s'empare du Khorasân sur les Tâhirides et menace le calife El-Motamid jusque dans Bagdad. Puis c'est l'Egypte et la Syrie qui se donnent à un Turc d'une rare intelligence, Ahmed ibn Toûloûn, lequel devient la souche de la brillante mais éphémère dynastie des Toûloûnides (868-905) (L'Egypte toulounide). Le règne d'El-Motadhid est témoin des premiers empiétements des Hamdanides (872-979) qui s'établissent à Mossoul, puis à Maridin, Diyârbakir et Meyéfàriqîn. Pour se débarrasser des Saffârides, le calife se sert d'Ismâl Samanî, petit prince tatare qui reçoit l'investiture des provinces qu'il conquiert sur l'ennemi de l'Empire, c.-à-d. le Khorasân et la Perse du Nord, et dont la brillante dynastie règne à Samarcande et à Boukhara (de 892 à 999) (Le Kharezm et les khanats ouzbeks). 

A la même époque, les Karmathes, dont les doctrines procèdent du socialisme mystique ismaélien, sont la terreur de l'Orient musulman; un de leurs chefs, Aboû Saïd, fonde un empire karmathique au Bahrein et en Oman (901-1037).

El-Moktafî (902-908) remporta quelques avantages sur ces ennemis déclarés de l'Islam. Il en profita pour ressaisir I'Egypte sous son autorité immédiate, au moment où la dynastie des Toûloûnides agonisait au milieu de la guerre civile (903). L'Empire, sous ce règne, sembla jouir d'un renouveau de grandeur; mais cet état de choses fut sans lendemain. En effet, lors du long règne d'El-Moqtadir (908-932), dans toutes les branches du gouvernement, le désordre fut à son comble; le palais du calife devint un foyer de sanglantes intrigues; la capitale fut livrée à l'impunité des soldats turcs, les provinces à celle de leurs chefs. El-Moqtadir assista sans s'émouvoir au bouleversement de l'Empire, pris entre les Byzantins, les Karmathes, des aventuriers tels que le Seyyâride Merdawidj, le Hamdânide Nâsir ed-Daula ou son ministre l'eunuque Mounis. Il finit par être massacré, et son successeur El-Qâhir (932-934), qui devait son élévation aux Turcs, ayant voulu secouer leur joug, fut détrôné par eux; ils lui laissèrent la vie, mais lui ravirent la vue et la liberté.

Er-Râdi (934-940) profita de l'expérience et se montra docile aux volontés de ses protecteurs. Il créa en leur faveur une charge absolument nouvelle, celle d'émir el-Oumara, « émir suprême », qui conférait à son titulaire la souveraineté absolue, moins le nom (935). Cette institution consacra la ruine du califat; car, avec Er-Râdi, le règne des califes cesse et celui des maires du palais commence. Les cinq premiers de ces omnipotents fonctionnaires : Ibn Râïq, Bekdjem, Nâsir ed-Daula, Toûroûn et Zirak ibn Chirzâd, officiers de fortune, après avoir été esclaves, et qui étaient Turcs de nation (le troisième excepté), se disputèrent le pouvoir, dix ans durant, par les moyens les plus violents, tandis que leurs basses compétitions, source des troubles les plus graves, occasionnèrent le renversements et les supplices du calife El-Mottaqî (940-944). Elles furent cause, en outre, que les habitants de Bagdad, irrités des excès de tout genre commis par les Turcs, implorèrent le secours du prince bouide Mouïzz ed-Daula et se mirent, eux et le calife El-Mostakfi (944-946), sous son entière protection.

Ce Mouïzz ed-Daula, qui avait pour frères la prince de Chirâz et celui d'Ispahan et pour père un ancien bandit du Deïlem, chassa Zirak de Bagdad, mais prit sa place et substitua sa propre autorité à celle du calife. Bagdad, en somme, ne fit que changer de maître, car la charge d'émir el-Oumara, passant du Turc au Persan, devint héréditaire dans l'orgueilleuse famille des Bouides pendant cent dix ans. De même, le rôle du calife ne fut ni plus pénible ni moins périlleux, ni meilleur l'avenir du califat. Mouïzz donna El-Mouti (946-974) pour successeur à El-Mostakfi qui avait osé conspirer contre sa personne. El-Mouti abdiqua après vingt-huit ans d'un règne des plus effacés, pendant lequel l'Egypte et la Syrie devinrent la possession des Fâtimides (969). Son titre vain et sans prestige passa à Et Tâï (974-991) qui fut témoin de la lutte fratricide des Bouides se disputant le poste de maire du palais. El-Qâdir (991-1031) eut le plus long règne et la plus longue vie, grâce à une soumission aveugle aux volontés de ses protecteurs. ll meurt au moment où le califat omeyyade de Cordoue se disloque, où la dynastie des Ghaznévides (Inde et Afghanistan) est à l'apogée de sa puissance, où enfin commence le grand mouvement d'émigration qui pousse des steppes de la Tartarie vers l'Occident les populations turques, si funestes au pouvoir des Abbâsides, mais dont la destinée, avec les Seldjoukides, est cependant de sauver la civilisation arabe d'une ruine imminente.

Sous El-Qâïm (1031-1075), Bagdad, qui constitue depuis deux siècles avec sa banlieue la capitale de l'islam, reste longtemps en proie à la plus épouvantable anarchie. Le calife, affolé, ne se, trouvant plus en sûreté dans son palais; ébloui d'autre part par les récents exploits de Toghrul Beg, petit-fils du Turc Seldjouq, dont les hordes inondent le Khoraçân, la Perse et l'Asie Mineure, voit en lui un libérateur et fait appel à sa générosité pour le délivrer des Bouides. Toghrul entre sans coup férir dans Bagdad le 15 décembre 1055; le dernier émir el-Oumara, Maliker-Rahîm, prend la fuite, tandis que son vizir, l'émir Basâsiri, proclame en province - état de choses qui dura dix mois - la déchéance des Abbâssides  et l'avènement du Fatimide El-Mostansir, souverain chiite d'Egypte, à la tête des croyants. Toghrul se charge de rendre la dignité religieuse à son protégé, en même temps qu'il assume sur lui et sur sa descendance toutes les responsabilités du pouvoir temporel. Reconnu par le calife comme sultan suprême, proclamé souverain de l'Orient et de l'Occident, roi des Persans et des Arabes, Toghrul se trouve dès lors investi de l'omnipotence absolue. Ce qui avait constitué à l'origine l'Empire abbâsside est devenu l'Empire seldjoukide, dont l'unique chef, le souverain temporel, est le Turc Toghrul (mort en 1063). El-Qàïm jouit paisiblement du califat sous la tutelle des glorieux successeurs de ce conquérant, AIp Arslân et Malik Châàh qui se firent les continuateurs éclairés de la civilisation arabe en leurs capitales de Merv et Nichabour.

El-Moqtadi (1075-1094) dut à la puissance de Malik Châàh l'honneur de recouvrer sur les villes saintes la suprématie spirituelle dont les Abbâssides avaient été dépouillés un siècle auparavant par les Fâtimides. El-Mostadhir (1094-1118) régnait sous Bakiaroq (mort en 1104), quand Jérusalem tomba aux mains de Godefroi de Bouillon. Bagdad fut plongée dans la consternation (Les Croisades). Mais, pour répondre à un événement aussi grave, que pouvait faire le pontife impuissant dont la mission consistait à officier à la mosquée dans le plus humble appareil? On peut dire que, à partir de la première croisade, le califat d'Orient n'a plus d'histoire propre, la métropole de l'Islâm étant trop éloignée du vaste champ de bataille où se déroule le duel entre Musulmans et Francs. Les princes syriens et égyptiens resteront seuls en contact avec les infidèles dont les progrès seront singulièrement favorisés par le schisme qui divise Abbâssides et Fâtimides et la lutte fratricide engagée entre les princes de la famille de Seldjouq et peu après entre les sultans Ayyoûbites (1171-1250). Dans l'année où meurt El-Mostadhir, Mohammed ler, successeur de Barkiaroq, s'empare de Bagdad par trahison. El-Mostarchid (1118-1135), prince brave et intelligent, eût pu, en des temps plus prospères, faire revivre la gloire de ses ancêtres; mais il était trop tard. Ayant voulu s'affranchir de la tutelle seldjoukide, il fut vaincu et détrôné. Er-Râchid (1135-1136) eut la même ambition et le même sort.

El-Moktafi (1136-1160) profita cependant des courageuses tentatives de ses prédécesseurs pour rendre au califat son ancienne indépendance. A la faveur des dissensions qui désolaient le vaste empire seldjoukide, il se posa ouvertement comme prince souverain au temporel et au spirituel, triompha des attaques dirigées contre Bagdad, et réussit à se faire reconnaître au delà des murs de Bagdad, en lrâq-Arabi. C'est tout ce qu'il pouvait faire. Il en fut ainsi, grâce à ce prince, jusqu'à la chute du califat, et les six derniers califes n'eurent pas la honte de laisser à d'autres le soin du gouvernement. Ils purent par eux-mêmes, et suivant leur caractère, protéger dans leur petit Etat le commerce et l'industrie, les lettres et les sciences, s'inspirant des grands noms d'El-Mansoûr, de Hâroûn et d'El-Mâmoûn, sans que nul n'entreprit de censurer leur conduite. Bagdad resta de la sorte la muette spectatrice des révolutions qui agitèrent les grands Etats musulmans fondés sur son ancien domaine. En 1171, la dynastie rivale des Fâtimides, renversée par le Kurde Saladin, fit place en Égypte à la dynastie des Ayyoûbites  (L'Egypte ayyoûbite). Cette révolution eut un heureux résultat pour EI-Mostadi (1170-1180), successeur d'El-Mostandjid (1160-1170), dont l'orthodoxe Saladin s'empressa de faire proclamer le nom dans toutes les mosquées de son empire.

Le long règne d'En-Nâsir (1180-1225) vit enfin le démembrement et la ruine de l'empire élevé par Toghrul Beg : ce fut l'oeuvre des Ayyoûbites, des shâhs du Khârezm, puis des Tatars-Mongols. Pressé dans sa capitale par le shâh du Khârezm, Mohammed ibn Takach, le calife ne dut son salut qu'à la terreur qu'inspira tout à coup l'approche d'un nouveau conquérant, plus terrible que les premiers. Gengis Khân, déjà maître de la Chine septentrionale et de la Tartarie, lançait ses hordes sauvages à la conquête du monde civilisé. Bagdad, menacée par ses lieutenants à deux reprises, sous Ed-Dhâhir (1225-1226) et El-Mostansir (1226-1242), succomba à la troisième. Son petit-fils Houlagou, khân des Mongols de Perse, avait résolu l'anéantissement du califat abbâsside et depuis quelque temps déjà entretenait des intelligences dans Bagdad avec le propre vizir du calife El-Mostasim (1242-1258). Grâce à ce traître nommé Alqamî, le calife, dont il avait su capter la confiance, ne songea même pas à résister. Il voulut négocier, ce fut en vain. Le 5 février 1258, Bagdad fut emportée d'assaut et saccagée sept jours durant par 150,000 Mongols ivres de sang et de carnage. Le malheureux calife fut chargé de fer et étranglé. En lui s'éteignit le califat d'Orient qui avait duré, depuis la mort du Prophète, 626 ans et était demeuré 508 ans aux mains des fils d'Abbâs.

La dynastie abbâsside, cependant, devait se perpétuer pendant encore 280 ans. Un fils du calife Ed-Dhâhir, échappé au fer des Mongols, alla chercher un asile à la cour des sultans mamelouks d'Egypte. Soultân-Bibars (1260- 1277) l'accueillit et le fit proclamer calife sous le nom d'El-Mostansir. Ses successeurs, au nombre de seize, héritèrent de ce titre illusoire et, comme lui, restèrent en Egypte sans influence. Cette ombre de souveraineté subsista jus qu'à la conquête de l'Egypte par les Turcs, en 1517. Sélim Ier s'empara de la puissance sacerdotale des califes et la légua sa descendance entre les mains de laquelle elle s'est conservée jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale. (P. Ravaisse).

Le califat d'Occident ou de Cordoue (755-1031)

Des guerres intestines sans nombre occupèrent les règnes d'Abd-el-Mélik, d'Ogaben-el-Hadjdjadj es-Saouli (741), de Baldj-et-Bichr (743), de Thanlaba, d'Abou'l-Khattâr, qui eut à réprimer, en 745, la révolte du chef syrien Somëil, grâce à laquelle Thowâba, I'un des conjurés, s'établit à Cordoue. Yoûsouf ben Abd-er-Râhman, son successeur, s'occupa du développement économique de son royaume, qu'il divisa en cinq provinces : Andalus (ancienne Bétique), Tholaithola (région de Carthagène), Mérida (Lusitanie et Galice), Saracosta (région tarragonaise) et Arboûna (ancienne Narbonnaise).

Yoûsouf visita les provinces, fit construire des routes et des ponts et prescrivit une sorte de recensement des peuples qui occupaient la péninsule. Il administrait ainsi très sagement l'Espagne depuis quelques années, lorsque le calife oméyyade de Damas fut renversé par la famille des Abbâssides (750).

Bien que l'éloignement eût rendu peu à peu illusoire l'autorité du calife en Espagne, cette révolution y eut son contre-coup. Les Musulmans ne voulurent pas reconnaître le nouveau calife abbasside, accepté pourtant comme suzerain par l'émir. Ils appelèrent à eux un jeune oméyyade, Abd-er-Râhman ibn Moâwiya, échappé au massacre de sa famille et réfugié en Berbérie. Abd-er-Râhman, débarqué le 13 septembre 755 sur la plage d'Almunecar, fit, quelques mois plus tard, son entrée à Cordoue, ayant d'ailleurs à ses côtés Yoûsouf et Somëil, vaincus mais ralliés. Il s'imposa par sa volonté et ses mérites au calife et Mançour, qui reconnut l'indépendance de l'émirat de Cordoue.

Intelligent, libéral et énergique, Abd-er-Râhman se rendit célèbre par son habile administration, et fit exécuter de grands travaux publics. Sa capitale rivalisa avec Bagdad par la splendeur de ses monuments et par l'éclat de la cour; elle devint, au dire des Arabes, « le centre de la religion, le séjour des savants, la lumière de l'Andalousie-». Et pourtant, il ne put gouverner en paix. S'il y avait dans les armées de l'Islam beaucoup d'Arabes, il s'y trouvait aussi des Syriens, des Égyptiens, avant leurs habitudes particulières, et surtout des Berbères, dont les traditions démocratiques étaient en opposition avec les sentiments très aristocratiques des Arabes, leurs chefs. Et puis il lui fallait, presque chaque année, réprimer des insurrections. Ses ennemis cherchèrent même un appui auprès de Charlemagne, dont l'intervention se solda par un échec. Il mourut en 788, après trente-deux ans de pouvoir, et ses successeurs eurent à faire face, non seulement aux rébellions des gouverneurs ou des tribus, mais aussi aux attaques des chrétiens. qui avaient réussi à former, dans le Nord, le royaume des Asturies, celui de Navarre et le comté de Barcelone.

Mohammed ler (852-886) inaugura une politique d'intolérance, qui provoqua une réaction violente. Tolède jouissait d'une sorte d'autonomie, sous la suzeraineté des émirs de Cordoue; elle secoua le joug avec l'appui du roi des Asturies. En Aragon, une famille d'origine wisigothique convertie à l'islam, les Beni-Casi ou Banu-Qasi (= la famille de Cassius), constitua un royaume indépendant. Le rénégat Abd-er-Râhman ben Merwân obtint de l'émir l'indépendance, avec la forteresse de Badajoz, comme capitale. Dans les montagnes du Sud, la Serrania, les provinces de Malaga, d'Archidona et de Ronda, les sectateurs d'Omar ben Hafçoûn, un Wisigoth devenu musulman, donnèrent le signal d'une insurrection qui dura quatre-vingts ans.

Moundhir, fils et successeur de Mohammed (886-888), périt assassiné par son frère Abdallah, qui régna au milieu d'une anarchie indescriptible, de 888 à 912. Après lui, Abd-er-Râhman III (912), petit-fils d'Abdallah, fit preuve, durant son long règne, de rares qualités d'énergie et d'organisation. Il rompit tout lien avec Bagdad et, pour marquer son désir de fonder une monarchie forte et absolue, il prit le titre de calife (929). Il eut à combattre à la fois les rois chrétiens du Nord et les tribus musulmanes, révoltées dans l'Espagne orientale et la Sierra Nevada. Il prit Osma, Pampelune (920) et Tolède (927); mais les Asturiens furent victorieux en plusieurs rencontres, et, si la sanglante bataille de Simancas (939) demeura indécise, ce fut une grande défaite que les Musulmans éprouvèrent à Talavera (950).

En dépit de ces difficultés sans cesse renaissantes, Abd-er-Râhman put envoyer des troupes en Afrique, pour aider les Idrissites contre le mahdi fatimide, ce qui lui valut la possession de Ceuta et de Tanger. A l'intérieur, il vint à bout de l'aristocratie arabe immigrée, avec le concours des Espagnols passés à l'islam, et, dans une certaine mesure, avec l'appui des juifs et des chrétiens, une fusion se produisit; il se forma une sorte de nation composite. que l'on appela, en Orient, al-Andalus. Le règne d'Abd-er-Râhman fut donc glorieux et brillant. Le nouveau calife eut une belle marine; il encouragea l'agriculture et le commerce; il aima les lettres et les arts. Cordoue, peuplée d'un demi-million d'habitants, fut le séjour préféré de nombreux savants musulmans et juifs, et l'empereur lui envoya des ambassadeur.

Son fils El-Hakam Il (961-976), également épris de science et de littérature, s'employa à attirer auprès de lui des hommes remarquables de son temps, à garnir les bibliothèques de livres rares, à assurer le développement des écoles. Ses préoccupations intellectuelles ne l'empêchaient pas de soutenir la guerre sainte : il obligea les Navarrais et les Castillans à lui demander la paix (963), et il envoya son généralissime, Ghâlib, faire des conquêtes au Maroc (973). Par la suite, sous le règne de Hichâm II (976-1013), fils cadet d'El-Hakam Il et de la sultane Aurore, d'origine basque, la puissance du calilat fut maintenue, par les efforts d'Ibn Abi-'Amir. Premier ministre, Ibn Abi-Amir, après avoir assaini les finances et étouffé un complot des caqâliba ou gardes « slaves » , disposa d'une puissance considérable.

II ne fut pas moins habile dans la guerre et ses succès contre les chrétiens, qu'il refoula au delà du Douro et de lui valurent le surnom de Victorieux (El-Mançour, dont les Espagnols ont fait Almanzor)..

A sa mort (1002) commença une ère de troubles civils, connue sous le nom d'el-fitna (=la discorde). Le calilat de Cordoue fait alors place à de petits Etats musulmans et à de petites dynasties locales (reyes de Taifas = rois de tribus) et, à la faveur de l'anarchie, les chrétiens remportèrent des succès de plus en plus menaçants, qui décidèrent les chefs arabes à s'unir contre le danger commun.

Almoravides et Almohades.
Le Maroc et le Maghreb, jusqu'aux environs de Béjaïa, étaient alors occupes par une secte berbère fanatique, les Almoravides (marabouts, hommes religieux), dont le chef était Yoûsouf ben Achfin. Les Musulmans d'Espagne lui demandèrent son aide contre les chrétiens, et Yoûsouf, ayant pris immédiatement Algésiras comme gage, lâcha dans la péninsule ses terribles troupes qui rencontrèrent celles d'Alphonse VI, roi de Leon, aux environs de Badajoz, à Zalaca (23 octobre 1086). Ce fut pour les chrétiens un désastre dont tout le profit revint aux Almoravides; car les rois de Taifas, que leur faiblesse avait déjà rendus impopulaires, perdirent tout prestige et furent les uns après les autres détrônés par les partisans de Yoûsouf, qui se proclama roi d'Espagne (1090). Seul, le roi musulman de Saragosse gardait encore son indépendance, mais son héritier direct la perdit peu après. Si bien qu'en 1100, toute l'Espagne musulmane, sauf Rueda, appartenait aux princes almoravides. Néanmoins, les successeurs de Yoûsouf, Ali (1106-1143), Tachfin (1143-1145 ), ne purent arrêter les conquêtes du comte du Portugal et du roi d'Aragon, d'autant qu'ils se voyaient eux-mêmes battus en brèche par les Almohades.

Un jeune Berbère de l'Atlas occidental, Mohammed ben Toümert, avait prêché une doctrine dite tauhid (confession de l'unité de Dieu) et reçu le surnom de Mowahid, l'Unitaire. Ses partisans furent appeles Mowahhiddoun (d'où Almohades), c'est-à-dire les Unitaires. Il se proclama chérif (descendant de Mahomet) et mahdi, et son successeur, Abd-el-Mou'min, prit le titre de calife. Ayant ainsi instauré un troisième califat à côté de ceux de Bagdad et du Caire (1130) et renversé en Afrique la domination des Almoravides, les Almohades se substituèrent à eux dans presque toutes leurs possessions espagnoles.

L'empereur almohade Abou Ya'qoûb Yoûsouf vint même momentanément s'établir à Séville (1172 ). Il battit à Alarcos, près de Badajoz, Alphonse VIII, roi de Castille, qui l'avait provoqué, mais son fils, Mohammed en-Naçir, fut vaincu dans la fameuse bataille de Las Navas de Tolosa (1212), qui marqua la fin de la puissance musulmane en Espagne. Une anarchie sanglante ne cessa de régner désormais dans le monde des rois maures qui, après la mort de l'empereur Yoûsouf et Mostançin (1223), se partagèrent le pays. Valence tomba au pouvoir de Jaime Ier d'Aragon (1238); Arjona et Jaen, aux mains de Ferdinand lII de Castille, et il ne resta plus aux Musulmans que l'Andalousie, avec Grenade pour capitale. 

Isolé du reste de l'Espagne par de hautes montagnes, le petit État, aux destinées duquel présida la dynastie des Nacrides, devait survivre pendant deux siècles et demi à l'effondrement de la puissance mauresque. Le royaume de Grenade, dernier vestige du califat de Cordoue tomba aux mains des Rois catholiques, après un siège de neuf mois de sa capitale, le 2 janvier 1492. (Th. Legrand).

Le califat fatimide (909-1171)

Touloun était un Turc de l'Asie centrale, un esclave de guerre, qui avait réussi à faire son chemin à la cour d'el-Ma'moûn. Ahmed, son fils, chargé du gouvernement de l'Égypte (868), y rétablit l'ordre, retint l'argent des impôts au lieu de l'envoyer à Bagdad, construisit des palais, des casernes, des hôpitaux, la mosquée du Caire qui porte son nom. Il annexa la Syrie à son gouvernement. Il mourut de maladie devant Tarsous assiégé (884), et les califes abbassides ne tardèrent pas à réoccuper l'Égypte (895), mais pour peu de temps. Il existait une société secrète, imbue des doctrines chiites, celle des Ismaéliens, ainsi nommée parce qu'elle arrêtait la lignée d' 'Ali et de Fâtima par el-Hoséin au sixième imâm, Dja'far eç-Çâdiq, et admettait la transmission de ses pouvoirs à son fils Ismà'îl. Le fondateur de leur doctrine, le Persan 'Abdallah ben Maïmoûn, fils d'un oculiste, chercha à grouper les révoltés et les mécontents. Il envoya à Koûfa un missionnaire, qui fit la rencontre d'un paysan nommé Hamdân et surnommé Qarmat ou Karmath (d'une expression araméenne qui signifie « laid ») : devenu à son tour missionnaire de la société secrète, Hamdân s'établit près de Bagdad, et ses prosélytes furent, d'après son surnom, appelés Karmathes. Un autre missionnaire se rendit au Yémen, dont la population chérissait la cause des Alides, et de là envoya des délégués auprès des Ketâma, grande confédération berbère de l'Afrique du Nord; l'agitation qu'ils y produisirent aboutit à une révolte ouverte. Le grand maître des Ismaéliens, Sa'ïd, se rapprochant du théâtre des événements, se rendit sous un déguisement à Fostât et se donna, à tort ou à raison, pour un descendant de l'imâm Dja'far 'Obé'ïd-Allah ben Mohammed. Il voulut se rendre en Afrique du Nord, mais, arrêté en cours de route, il ne fut délivré que par les victoires de l'agitateur Abou'Abdallah le Chiite, qui avait enlevé Tiaret aux Rostamides et Sidjilmâssa aux Banu-Midrâr. En 910, il prit les titres de Mahdî et de commandeur des croyants.

Ce fut l'origine de la fortune des Fâtimides, appelés aussi 'Obéidites, qui ne tardèrent pas à conquérir l'Égypte et y régnèrent jusqu'au temps de Saladin.

Alexandrie avait été occupée dès 915, mais des renforts envoyés avaient permis de la restituer aux Abbassides, et deux nouvelles tentatives, en 918 et en 934, ne furent pas plus heureuses; toutefois, la Sicile avait été conquise. II était réservé à el-Mo'ïzz (Abou-Ténîm Ma'add) de prendre pied définitivement sur le sol illustré autrefois par les Pharaons. Son généla Djauhar, esclave grec affranchi, battit les lkhchidites au pied des Pyramides (969) et fonda, au nord de Fostât, la ville d'el-Qâhira (Le Caire), qui est restée jusqu'à nos jours la capitale de l'Egypte.

El-Mo'ïzz y fit son entrée en 973, après avoir confié le gouvernement de la Tunisie au Berbère Bologgin, fils de Zîri; mais dix ans ne s'étaient pas écoulés que Bologgin se déclarait indépendant et fondait la dynastie des Zîrides.

EI-Mo'ïzz avait introduit dans sa nouvelle conquête une politique de tolérance qui contrastait avec les procédés tyranniques des anciens gouverneurs; il autorisa la reconstruction des églises coptes (interdite par le droit musulman strictement appliqué) et assista à la pose de la première pierre de la Mo'allaqa du Vieux-Caire. Son fils, Nizâr (975), continua cette politique. Malheureusement, ce fut un dément qui monta sur le trône après lui : le calife Hâkem (996). Celui-ci ordonna de fermer les marchés pendant le jour et de ne les ouvrir que la nuit; il interdit de sortir des maisons après le coucher du soleil; il fit défense aux femmes de quitter leurs demeures et aux cordonniers de leur fabriquer des chaussures. II tenta de faire des doctrines ismaéliennes une religion d'Etat, mais le mauvais vouloir du peuple en ruina le succès. Darazî (d'où vient le nom des Druzes), qui avait fait une proclamation dans ce sens du haut de la chaire, dans la grande mosquée, fut battu et dut s'enfuir au Liban. Une nuit, Hâkem disparut soudainement (1021); on ne sut jamais ce qu'il était devenu, mais on peut supposer qu'il fut assassiné sur le mont Moqattam, qui domine Le Caire. Sa soeur Sitt-el-Molk prit en main la régence pendant la minorité de son fils ez-Zhâhir, enlevé d'ailleurs par la peste en 1036.

Le mulâtre el-Mostançir, fils de ce dernier, régna soixante ans. Désireux de s'amuser le plus possible sans avoir rien à craindre, il s'entoura d'une garde de cinquante mille Noirs, mais il mécontenta les Turcs qui constituaient le noyau de l'armée. Des troubles se produisirent. Pour y mettre fin, el-Mostançir fit venir de Saint-Jean-d'Acre l'Arménien Bedr el-Djémâli, accompagné de mercenaires de même origine (1073), et lui conféra, avec le titre d'émir-el-goyoûch, le pouvoir le plus étendu. Le fils de ce grand ministre, Châhinchâh, enleva Jérusalem aux Ortoqides en 1098, mais un an plus tard, la ville fut prise d'assaut par Godefroy de Bouillon.

La dynastie des Fâtimides ne fit plus que décliner. En 1153, les croisés leur enlevèrent Ascalon, la dernière place qu'ils possédaient en Palestine, et, en 1171, un Kurde sunnite, Saladin, les détrôna à son profit (L'Egypte Ayyoubite). (Clément Huart).

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