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[La pensée et ses outils > L'écriture] / [Histoire de l'Amérique > Les Aztèques] |
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Généralités sur l'écriture mexicaineLorsque Cortez débarqua au Tabasco, sa renommée se répandit rapidement jusqu'à Mexico, centre de la puissance aztèque, et le chef suprême de cette nation, Motecuzoma II, envoya des émissaires, chargés de saluer les étrangers et de s'assurer de leurs intentions futures. Les ambassadeurs étaient accompagnés de peintres qui dessinèrent le camp des Espagnols et cherchèrent à rendre sur le papier les traits du chef de l'expédition et des principaux capitaines, pour les faire connaître à Motecuzoma et à ceux de sa cour. Nul doute que les peintures qu'ils firent furent détruites, soit lors du siège de Mexico par Cortez, soit plus tard, lorsque les conquistadores livrèrent aux flammes une grande partie des documents aztèques, qu'ils considéraient comme des monuments de l'idolâtrie, inspirés par le Diable.- Première page du Codex Fejervary-Mayer. Elle donne un exemple de l'écriture figurative des Aztèques. Fort heureusement, un certain nombre des productions de l'art des « peintres » mexicains a survécu. Les premiers missionnaires chrétiens prirent les scribes indigènes sous leur protection; l'art de la peinture mexicaine se perpétua ainsi pendant plus d'un siècle après la conquête, tant pour les besoins de la propagande catholique que pour ceux de la vie courante. D'où l'existence, à l'heure actuelle, d'un certain nombre de « manuscrits » écrits en caractères figuratifs mexicains. Le premier qui réunit une collection importante de ces manuscrits fut l'antiquaire milanais Boturini Benaducci. Il fut chargé en 1736, par bref du Pape et avec l'autorisation de l'Audience de la Nouvelle-Espagne, de régulariser le culte de Notre-Dame de Guadalupe. Au cours de sa mission ecclésiastique, il rassemble un nombre considérable de documents, relatifs à l'histoire et à la religion des anciens peuples du Mexique. Accusé de s'être enrichi par des moyens illégaux, il fut emprisonné par ordre du vice-roi, le comte de Fuenclara, dépouillé de presque tout le fruit de ses travaux et, finalement, banni d'Amérique. Le vaisseau sur lequel il revenait en Europe fut pris par des corsaires anglais qui lui enlevèrent le peu qu'il avait pu sauver de sa collection. Jeté sur les côtes de Gibraltar, il se constitua prisonnier du roi d'Espagne. Il fut reconnu innocent des fautes qu'on lui avait imputées, mais sa collection ne lui fut pas rendue et resta au Mexique. Aubin, astronome français, put retrouver, en 1830, une partie des documents réunis par Boturini; il en fit l'acquisition et les ramena en France en 1889, il vendit sa collection à E. Goupil qui la légua à la Bibliothèque nationale. Une autre grande collection fut faite par Alexandre de Humboldt au cours de son voyage au Mexique; elle fut donnée par le célèbre voyageur à la Bibliothèque royale de Berlin, en 1806; elle contient divers fragments de manuscrits qui ont peut-être aussi figuré dans l'ancienne collection de Boturini. Les bibliothèques publiques et privées de l'Europe et de l'Amérique possèdent aussi quelques-unes de ces productions; Les archives du Mexique renferment à l'heure actuelle, la plupart des manuscrits connus, dont plusieurs du plus haut intérêt. Le premier, Humboldt publia quelques pages de manuscrits mexicains, mais les reproductions qu'il donna étaient fragmentaires et ne purent être utilisées. Vers 1830, Lord Kinsgborough fit dessiner par Aglio les manuscrits mexicains que renfermaient les bibliothèques d'Europe et les publia en lithographie. Malheureusement, les dessins d'Aglio ne sont pas toujours très fidèles, et le coloris est souvent fantaisiste. De plus, la pagination est fréquemment inexacte; ces défauts rendent difficile l'emploi de la collection de Kingsborough. La publication de plusieurs nanuscrits dans les Anales del Museo nacional de Mexico est entachée de défauts analogues. Un peu plus tard, le duc de Loubat, qui a tant fait pour les études américaines, a republié la plupart des manuscrits compris dans la collection de Kingsborough. Ils ont été copiés par le procédé de l'impression photographique et ne laissent rien à désirer, au point de vue de l'exactitude des détails. De plus, certaines des éditions sont accompagnées de notices historiques contenant des détails précieux pour l'histoire des documents. Ce sont des instruments de travail excellents. Les manuscrits et leurs catégoriesLes manuscrits mexicains étaient généralement de grandes bandes, de peau de cerf apprêtée ou d'une sorte de feutre mince fabriqué avec les fils du maguey (Agave americana), et recouverts d'un enduit calcaire. Ces bandes étaient peintes des deux côtés et divisées en rectangles que l'on repliait les uns sur les autres, à la façon d'un paravent. Les figures paraissent, dans bien des cas, avoir été dessinées à l'aide d'un instrument pointu, peut-être une épine d'agave; le contour ainsi tracé était rempli de couleurs, d'origine végétale ou minérale.On peut d'abord diviser ces manuscrits suivant les époques : nous ferons une classe des manuscrits antérieurs à la conquête et nous placerons dans une autre tous ceux qui furent exécutés postérieurement à cette date. La première de ces classes contient un nombre beaucoup plus restreint de manuscrits que la seconde. On peut ensuite considérer l'origine des manuscrits : les divers documents sont attribués à tel ou tel des peuples qui habitaient l'ancien empire aztèque : 1° les manuscrits aztèques proprement dits, provenant du plateau de Mexico; 2° les manuscrits xicalanques, de la partie orientale de l'État actuel de la Veraruz et du nord de l'Oaxaca; 3° les peintures mixtèques provenant du centre de l'Oaxaca; 4° les peintures zapotèques, cuicatèques, mazatèques, mixes, chinantèques, originaires aussi de l'Oaxaca et des parties avoisinantes de l'Etat de Chiapas. Les peintures appartenant à ces quatre groupes présentent entre elles, une très grande ressemblance. Les manuscrits composés avant la conquête sont peu nombreux parmi ceux appartenant au Mexique proprement dit, on peut citer les Mappes Tlotzin et Quinantzin. Ce sont des documents historiques, qui nous montrent la vie et les migrations des tribus chichimèques avant leur établissement sur le plateau de Mexico. Les manuscrits xicalanques sont les plus intéressants. Seler pensait qu'ils ont été exécutés dans la partie de l'Oaxaca habitée par des Aztèques, vers les localités de Teotitlan del Camino, Tochtepec et Coatzacoalco, où passait la grande route de commerce qui, partant de Mexico, se dirigeait vers l'isthme de Tehuantepec et les provinces du Chiapas et du Tabasco. Tous ces manuscrits sont antérieurs à la conquête du Mexique. Le plus connu est le Codex Borgia, qui est conservé à la Bibliothèque du Vatican. Il doit son nom à l'un de ses possesseurs, le cardinal Stephano Borgia (1731-1804). Une interprétation de ce manuscrit fut composée au XVIIIe siècle par le jésuite Lino Fabrega; elle n'a plus de valeur aujourd'hui. A. de Humboldt a publié quelques pages du Codex Borgia dans ses Vues des Cordillères, et Kingsborough en a donné, dans son grand ouvrage, une reproduction complète, mais assez infidèle et mal paginée. Ce n'est qu'en 1898 que ce précieux document fut publié par Loubat, en impression chromophotographique. Seler a ensuite édité une reproduction au trait du Codex Borgia, accompagnée d'un commentaire qui en rend l'étude des plus faciles. La Bibliothèque du Vatican possède un autre manuscrit du même groupe, connu des spécialistes sous le nom de Codex Vaticanus B. Quelques pages en ont été publiées par A. de Humboldt; Kingsborough le fit copier et reproduire en entier.L'édition de Loubat remonte à 1896. Seler en a publié le commentaire complet en 1902. La Bibliothèque municipale de Bologne conserve également un de ces manuscrits. Il est généralement désigné sous le nom de Codex Cospi ou Cospianus, du nom de l'un de ses possesseurs. Publié par Kingsborough, il a été réédité par Loubat. Une brève analyse de son contenu a été faite par Seler. Ces trois manuscrits forment un sous-groupe
appelé par Seler « sous-groupe borgien-».
Un autre sous-groupe comprend le Codex Féjervary-Mayer, le
Codex
Laud et un manuscrit de la collection Aubin, qui présentent
quelques particularités dans la notation des nombres. Le premier
de ces documents est conservé à la Free Public Library de
Liverpool,
à laquelle il a été donné par Mayer qui l'avait
acquis du savant hongrois Gabriel Féjervàry. Il a été
publié par Kingsborough, par Loubat et commenté par Seler.
Le second a appartenu à l'archevêque de Canterbury, W. Laud
(1573-1645). Il est aujourd'hui à la Bibliothèque
Bodléienne d'Oxford. Il a été
reproduite par Kingsborough.
Tous les manuscrits du groupe que nous venons d'examiner présentent un grand intérêt pour l'étude de la chronologie, de l'astrologie et de la religion des anciens Mexicains. C'est grâce à eux que l'on a pu reconstituer le système complet du calendrier, établir la relation des dieux avec les points cardinaux et déterminer beaucoup de faits de l'iconographie religieuse des Aztèques. Les peintures mixtèques ont, à première vue, une grande ressemblance avec celles du groupe précédent; cependant l'exécution en est généralement moins soignée, les couleurs moins vives. Les Codices Becker n° 1 et n° 2 et le Codex Columbinus ou Dorenberg ont été composés avant la conquête. Plusieurs de ces manuscrits portent des notes écrites en caractères latins et en langue mixtèque (Les langues oto-manguéennes) ou espagnole. Le Codex Becker n° 1 a été publié, en 1892, par H. de Saussure, sous le titre de Manustrit du Cacique, avec une interprétation complètement fantaisiste. Sur plusieurs des pages de ce document il y a des notes en langue mixtèque. Le contenu du manuscrit a un caractère religieux ou mythologique. Il en est de même du Codex Columbinus, publié en 1892, par la « Junta Colombina ». Le Codex Becker n° 2 est inachevé et semble être historique. On connaît aussi plusieurs manuscrits mixtèques composés postérieurement à la conquête. Le plus important est celui désigné sous le nom de Lienzo de Zacatepec ou Codex Martinez Gracida. C'est un document cadastral et géographique où sont figurés divers villages, avec leurs noms écrits en hiéroglyphes; certaines parties semblent cependant posséder un caractère historique. Le Lienzo de Zacatepec a été publié en 1900 par Peñafiel. Le Lienzo de Amoltepec, conservé à la Bibliothèque de l'American Museum of Natural history de New-York et le Lienzo Vischer n° 1 sont également des documents post-colombiens et d'un caractère analogue à celui du Lienzo de Zacatepec. Les manuscrits zapotèques sont, eux aussi, très semblables à ceux du groupe auquel appartient le Codex Borgia. Le plus connu est le Codex Vindobonensis, également désigné sous le nom erroné de Codex Indiae meridionalis. Son histoire est assez intéressante : il fut envoyé, le 10 juillet 1519, par Cortez à l'empereur Charles-Quint, avec d'autres présents destinés à montrer la richesse du Mexique. L'empereur se trouvant à cette époque dans les Pays-Bas, ce ne fut qu'en 1520 que les objets envoyés du Mexique lui furent présentés. Charles-Quint en fit cadeau à Emmanuel de Portugal; le manuscrit passa aux mains de divers prélats italiens, puis il arriva au XVIIe siècle en la possession de l'empereur Léopold Ier qui le remit à la Bibliothèque impériale de Vienne. Des fragments en furent édités à titre de curiosité, dès 1655, par Olaüs Wormius, puis par Robertson et A. de Humboldt. La seule reproduction complète que nous en possédions est celle de Kingsborough. Le Codex Nuttall paraît avoir fait partie du même envoi de Cortez. Il passa de la bibliothèque de la famille des Médicis à celle du couvent de San-Marco à Florence, et et est passé ensuite dans la collection Curzon, où il a été copié par Nuttall, qui le publia en 1902, avec le concours du Peabody Museum. Son contenu est religieux, bien que certaines parties puissent avoir une valeur historique. La Bibliothèque Bodléienne d'Oxford possède trois manuscrits zapotèques, désignés sous les noms de Codex Bodleianus, Codex Selden n° 1 et Codex Selden n° 2. Tous trois ont été publiés par Kingsborough. Outre ces documents, qui ont tous été peints antérieurement à la conquête, il en existe de plus récents, où l'influence européenne se fait sentir. Le plus important est le Codex Sanchez Solis (aussi appelé Codex Waecker-Gotter), qui porte des annotations en langue zapotèque (groupe oto-manguéen oriental). Très proches parentes des manuscrits zapotèques, sont les peintures dues à divers autres peuples de l'Oaxaca (Cuicatèques, Mazatèques, Popolocas, Chinantèques). Ils ne s'en distinguent que par un dessin moins soigné et l'emploi de couleurs moins éclatantes. Ils datent tous d'une époque postérieure à la domination espagnole. Les plus importants sont le Codex Porfirio Diaz et le Codex Fernandez Leal, tous deux oeuvres de scribes cuicatèques. Le premier se compose de deux parties bien distinctes: l'une paraît avoir un caractère historique, l'autre semble être un calendrier rituel. Le Codex Fernandez Leal a un contenu entièrement historique. La plupart des manuscrits mexicains sont des peintures d'origine proprement aztèque, faites après la conquête. On peut citer : le Codex Telleriano-Remensis (manuscrit mexicain n°1 de la Bibliothèque nationale), le Codex Vaticanus A, le Codex Mendoza, le Codex Vergara. Le plus grand nombre des manuscrits des collections d'Aubin et de Humboldt appartiennent à ce groupe. Leur contenu est très varié; le Codex Telleriano-Remensis renferme des peintures qui représentent des divinités aussi bien que des événements historiques. Le Codex Vaticanus A a une composition analogue; le Codex Mendoza présente un mélange de scènes domestiques et historiques; le Codex Vergara nous montre les tributs payés par les différentes villes à Mexico, etc. Les documents connus sous le nom de « plans cadastraux » sont très nombreux. C'étaient des pièces que les Indiens faisaient établir par les scribes et qu'ils remettaient à leurs avocats auprès de l' « Audiencia » qui jugeait les différends entre les Indiens et leurs maîtres espagnols. Il nous reste à signaler les peintures chrétiennes. Leur origine et leur inspiration sont purement européennes; elles passent pour avoir été inventées par Testera, de Bayonne, frère du chambellan de François ler; il faisait peindre sur une toile les rudiments de la foi chrétienne et les faisait expliquer aux Indiens parses interprètes. Les Franciscains qui, les premiers, évangélisèrent le Mexique, se servirent de ces peintures qui s'arrêtèrent à un style fixe et furent reportées sur papier. Il existe des catéchismes de ce genre dans les collections Aubin et Humboldt. L'écritureLes manuscrits mexicains, à quelque classe qu'ils appartiennent, contiennent un mélange de figures purement descriptives, à la façon des illustrations de nos livres, et de signes ayant la valeur d'une véritable écriture. Aubin les a très justement comparés à nos cartes géographiques et à nos plans, où les indications écrites complètent le sens des dessins.Ce sont les caractères d'écriture
qui nous intéressent plus spécialement et c'est sur eux que
nous insisterons davantage Ces signes servaient surtout à désigner,
dans les manuscrits, les personnes et les lieux qui étaient parfois
désignés par des figures; par exemple, dans le manuscrit
mexicain n° 3 de la Bibliothèque nationale, nous voyons le nom
d'un personnage appelé cuixili, « autour », indiqué
par les signes n°1 et n°2 de la figure suivante :
Signes de l'écriture aztèque. Dans la dernière figure, la partie est prise comme représentant le tout. De même le nom de la ville de Zacatlan, « le lieu de l'herbe », est indiqué dans le Codex Mendoza par l'hiéroglyphe n° 3. Souvent ces représentations sont tellement stylisées qu'il est difficile de reconnaître l'objet; la montagne, par exemple, est figurée par un tracé tout conventionnel (n°4 et 5) qui se retrouve toujours à travers de nombreuses variantes; la pierre est indiquée par les signes 6 et 7. la maison est toujours remplacée par le tracé conventionnel n° 8; le temple par une maison surmontée d'un grand toit surplombant et placé sur une pyramide (n° 9) ; le coeur par le signe n° 10. Certains signes sont particulièrement importants : tels sont celui qui sert à désigner les liquides (n° 11); - peint en rouge, il indique le sang ; en bleu, l'eau, - et celui qui représente à la fois la parole, la fumée, le vent. (n° 12) dont les volutes, plus ou moins abondantes, indiquent l'intensité de l'action ou la chose exprimées. Ces divers signes se combinent entre eux pour former des dérivés. Nous trouvons, par exemple, dans le Codex Nuttall plusieurs représentations de volcans (n°° 13 et 14). Le premier de ces dessins est des plus faciles à comprendre : il se compose d'une montagne qui produit de la fumée; le second contient, outre ces deux éléments, une représentation de la flamme au sommet de la montagne et, dans l'intérieur, un signe qui symbolise le tremblement de terre. Nous avons ici deux des éléments de l'écriture mexicaine : l'élément purement figuratif et l'élément idéographique. Mais ce n'est pas là que se trouve l'originalité du système. Les Aztèques, et les peuples qui se servaient d'une écriture analogue, avaient fait un pas, bien timide à la vérité, vers le phonétisme. Ils se servaient, pour rendre les syllabes dont se composaient les noms de lieux ou de personnes, d'images, d'objets ayant un nom ou un son semblable, sans attacher aucune valeur à la signification du signe choisi. Prenons, par exemple, deux localités, Quauhlitlan et Quauhnahuac; leurs noms signifient tous deux : « sous la forêt » ; ils sont composés de quauh, racine du mot quanhitl, « arbre », et par extension, « forêt » et des postpositions - tlan et -naahuac, qui ont pour sens, l'une et l'autre, « à, dans ». La première de ces bourgades est indiquée par le signe n° 15 où la syllabe quauh est bien indiquée par un arbre, mais où le son tlan est rendu par des dents (tlan-tli) ; la seconde est figurée par (n° 16) un arbre (quauh-itl) avec une ouverture représentant une bouche, de laquelle sort le signe de la parole (nahuatl, « la parole juste »). Autre exemple : Tollantzinco signifie « le petit Tollan » et ce dernier mot signifie : « lieu où poussent des roseaux »; on trouve parfois ce nom figuré par le signe n° 17, c'est-à-dire un faisceau de roseaux (tollan), auquel on a adjoint la partie postérieure du corps d'un homme, parce qu'elle est nommée, en nahuatl, tzin-tli; le -co locatif n'est pas écrit, comme c'est le plus souvent le cas. Quelques hiéroglyphes représentant des noms de personnes compléteront notre démonstration. Le Codex Xolotl, l'un des manuscrits de la collection Aubin, donne, sur l'une de ses pages, les noms de plusieurs chefs chichimèques, parmi lesquels Cuetlaxihuitl, figuré par le n° 18, c'est-à-dire : une peau d'animal (cuetlax-tli) et deux plumes d'oiseaux (ihuitl); on trouve également le nom de Huitzilihuitl, l'un des chefs ou tlacalecuhli de Mexico, écrit n° 19) par une tête de colibri (huitzilzil-in) entourée de plumes (ihuitl). On voit que ce système correspond tout à fait à celui de notre écriture en rébus. Mais, de même que nos rébus ne se lisent pas tous phonétiquement, l'écriture mexicaine marque des mouvements, des actions qu'il s'agit d'interpréter pour connaître le son que le scribe a voulu représenter. En voici quelques exemples : dans le Manuscrit mexicain n° 3 de la Bibliothèque nationale, nous voyons le signe n° 20 accompagné de la glose tilmatlaneuh, en caractères latins. Ce nom se compose des mots tilma-tli, « couverture », tlaneuh, « prêter », et l'hiéroglyphe représente l'acte dont il s'agit. Le même document nous donne pour le village d'Almoyahuacan, « le lieu où l'eau va en cercle», le signe n° 21 où l'hiéroglyphe de l'eau est contourné de manière à donner l'illusion d'un tourbillon. Nombreux sont les exemples de ce genre d'écriture. Le surnom du tlacalecuhtli Motecuzoma Ier, Ilhuicamina, « qui tire (des flèches) dans le ciel », est rendu par une flèche s'enfonçant dans le ciel, lequel est représenté de façon conventionnelle et renferme la figure du soleil et des étoiles (n° 22). L'interprétation des hiéroglyphes est parfois très difficile, les rébus devant être lus de façon plus ou moins métaphorique. Dans le Manuscrit n° 3 de la Bibliothèque nationale, le nom d'un individu appelé Anahuacatl est rendu par la figure n° 23, c'est-à-dire atl, « l'eau »; -nahuatl, « parole », le signe de l'eau étant contourné de la même façon que celui qui sert à désigner la parole. Le signe n°21 doit être lu xipanoc, le signe supérieur représentant la turquoise (xihuitl) placée sur un tracé conventionnel d'un fleuve; le sens est : la turquoise posée sur un fleuve (verbe pauo). Les exemples de lecture métaphorique abondent : le signe n° 25 représentant un oeil duquel coulent les larmes désigne un individu du nom d'Icnoix, « le veuf »; les noms de deux tlacatecuhtini de Tetzcoco, Nezahualcoyotl et Nezahualpilli, sont figurés respectivement par les hiéroglyphes nos 26 et 27. Nezahualcoyotl signifie le loup (coyotl) qui jeûne (nezahualli), et Nezahualpilli, « l'enfant qui jeûne ». Comme on le voit, l'idée de jeûne est rendue par une sorte de bande d'étoffe; ce symbole se retrouve dans le nom Nezahualcolotl, « le hibou qui jeûne » (n° 28). Une dernière particularité, qui rend très difficile l'interprétation des hiéroglyphes mexicains, est la suivante: le choix des signes phonétiques était entièrement laissé à l'arbitraire du scribe qui pouvait choisir entre plusieurs signes homophones. Pour rendre la syllabe quauh, par exemple, il pouvait se servir soit de l'image d'un arbre (quauh-itl), soit de celle d'un aigle (quauh-tli); c'est ainsi que le nom de Quauhtitlan que nous avons donné précédemment se trouve parfois figuré par le signe n° 29 dans lequel quauh est représenté par une tête d'aigle; Huitzilopochco, nom d'un village autrefois situé sur les bords de la lagune de Tetzcoco, est parfois indiqué par le signe n° 30, image dans laquelle figure le dieu de la guerre, Huitzilopochtli, comme élément phonétique : d'autres fois par l'hiéroglyphe n° 31 : un colibri (huitilzil-in) étendant l'aile gauche (opôchti, « la gauche »). De même le nom d'Aztan, la berceau mythique des Aztèques, est tantôt écrit avec l'image d'un héron (aztatl), tantôt avec celle d'un Aztèque. Ainsi qu'on le voit, le phonétisme de l'écriture mexicaine était des plus imparfaits et tenait peu de place dans le système graphique. On peut se convaincre de son imperfection par les quelques exemples qui suivent et qui montrent comment les aztèques ont cherché à rendre les noms de divers personnages espagnols. Dans le Codex Ossuna, manuscrit postcolombien conservé à Madrid, nous voyons le nom d'un certain docteur Gallego rendu par l'hiéroglyphe n° 32 dont les éléments phonétiques sont la maison (cal-li) et la fève (e-tl) et doivent être lus cale; le nom de Zurila est écrit (n° 33) par une tête de caille (zoliin) et doit être lu zolli (la langue nahuatl ne possédant pas l'r le remplace par un l); dans la notation des noms Horozco (n° 34) et San-Francisco (n° 35) nous voyons le pot (co-mitl) qui sert à indiquer l'élément phonétique co. Plus tard, les Mexicains cherchèrent à perfectionner le phonétisme de leur écriture. Nul doute que cet effort ait été fait pour imiter le système graphique des Espagnols. Le Codex Vergara renferme des noms écrits d'après ce système : le nom Itzcoatl, figuré presque partout de la façon idéographique n° 36, des pointes de flèche en obsidienne (itz-tli) sur un serpent (coatl), est aussi rendu d'une façon purement phonétique, par le signe composé d'une flèche à pointe d'obsidienne (itz-tli), d'un pot (co-mitl), n° 37, et du signe de l'eau (atl); tecuhtlacoz était rendu parle signe n° 38 (tecuh-tli, « chef»; tla-ntli, « les dents»; co-mitl et z ou zo figuré par une pointe). Mais la difficulté qu'éprouvaient les scribes aztèques à se servir de ce mode d'écriture se trahit par l'emploi fréquent dans ce même document de signes purement figuratifs ou idéographiques; ex. : çayol, nom propre, est rendu par le n° 39 (çayol-lin, « mouche »); yaotl, nom signifiant « ennemi » et aussi « guerre », par un bouclier traversé par l'arme appelée maquahuitl (n° 40), etc. Aubin, se basant sur les figures du Codex Vergara, avait cru pouvoir établir un tableau des éléments phonétiques de l'écriture mexicaine. Ce travail, très exactement fait, est malheureusement d'un faible secours pour la lecture des noms hiéroglyphiques des autres manuscrits et il ne peut dispenser celui qui veut se livrer à ce travail d'étudier d'abord la langue mexicaine, dont la connaissance est indispensable pour la compréhension des hiéroglyphes tracés en rébus idéographiques. Les hiéroglyphes ne se trouvent pas dans tous les manuscrits mexicains : le Codex Borgia et les autres documents du même groupe en manquent presque totalement; dans les manuscrits zapotèques, tels que le Codex Vindobonensis, on les voit dans les parties qui semblent historiques, tandis qu'ils font défaut dans celles qui représentent des scènes religieuses. Le style des figures qui accompagnent les
signes d'écriture varie aussi d'après la nature des manuscrits.
Dans les documents historiques, il est assez réaliste; les personnages
sont figurés de profil, plus ou moins ornés suivant le rang
auquel ils appartiennent. Les simples guerriers sont dessinés ainsi
(figure ci-dessous); les chefs de guerre sont distingués par des
ornements divers. Le tlacatecuhti ou chef suprême de la confédération
mexicaine est représenté assis sur une sorte de chaise (icpalli).
Un guerrier aztèque (d'après le Codex Telleriano Remensis). Les prêtres ont le plus souvent le corps peint en noir, et tiennent à la main une sorte de bourse ou un brûle-parfums. Les divers peuples sont différenciés par leurs attributs ou par certaines particularités de leur costume. C'est aussi à la diversité de leurs attributs (peintures, coiffures, ornements) que l'on reconnaît les divinités. Les actes sont dessinés de façon
conventionnelle. Par exemple, dans les peintures historiques, la destruction
des villes est représentée comme l'indique la figure suivante.
Destruction de la ville de Xocotitlan (d'après le Codex Mendoza). Les migrations sont figurées par
une suite de personnages allant sur un chemin dont la direction est marquée
par des empreintes de pas .
Migration des Aztèques dans les steppes du Nord (d'après un manuscrit de la collection Aubin). Dans les manuscrits à contenu purement religieux, l'obscurité du symbolisme employé masque souvent la nature des faits représentés. Cependant, un certain nombre de ces symboles ont pu être reconnus et expliqués de façon satisfaisante; telle est la première page du Codex Féjervary-Mayer qui représente les six régions du monde, avec les arbres et les animaux qui y étaient attachés (reproduction en haut de cette page). Il nous reste à parler d'une catégorie de signes qui joue un rôle important dans tous les manuscrits du Mexique précolombien. Ce sont les signes du calendrier et les chiffres. Les signes du calendrier
sont de plusieurs sortes. Ce sont, tout d'abord, les signes des jours,
au nombre de vingt, qui sont toujours accompagnés d'un chiffre,
indiquant leur place dans l'année. Voici les figures de ces signes,
tels qu'on les rencontre dans les manuscrits du groupe auquel appartient
le Codex Borgia :
Les signes des jours. Ces figures se retrouvent aussi dans les manuscrits mixtèques, zapotèques, cuicatèques, etc. Il existe cependant des différences dans leur usage : dans les peintures aztèques, mixtèques et zapotèques, les années commencent par l'un des quatre signes : calli, tochtli, acatl ou tecpatl, accompagnés d'un chiffre qui ne peut être supérieur à 13; dans les manuscrits cuicatèques, au contraire, les signes initiaux des années sont : ehecatl, mazatl, malinalli et ollin, ce qui indique un calendrier de même système que celui des peuples précédents, mais dans lequel le point de départ du comput était différent. La seconde catégorie de signes comprend
les représentations de neuf divinités, les «-señores
de la noche » (Seigneurs de la nuit) qui présidaient tour
à tour aux jours de l'année.
Les neuf Yohualtecuhtin ou Seigneurs de la nuit (d'après le Codex Cospi). Certains manuscrits, comme le Tonalamatl de la collection Aubin, sont entièrement consacrés à la représentation de ces divinités, auprès desquelles sont figurés les signes des jours qu'ils régissent. On trouve des tableaux de ce genre dans plusieurs autres manuscrits, particulièrement dans le Codex Borgia, le Codex Féjervàry-Maver, etc. Dans beaucoup de manuscrits précolombiens, certaines scènes mythologiques (La religion aztèque) indiquent symboliquement la fin ou le commencement des périodes du calendrier; c'est à cette catégorie de représentations qu'appartiennent les dessins du Codex Borbonicus ou calendrier rituel de la Bibliothèque du Palais-Bourbon. Ce précieux manuscrit reproduit en peinture les rites accomplis lors de la célébration des 18 fêtes de l'année mexicaine Les signes du calendrier, surtout ceux représentant les jours, se rencontrent dans tous les manuscrits. Les signes initiaux des années accompagnés d'un chiffre nous indiquent en quelle année s'est passé l'événement figuré par un dessin; si une plus grande précision a été jugée nécessaire, on a inscrit à côté le jour où le fait a eu lieu : les événements mythiques que relatent les manuscrits religieux sont datés de la même façon. Mais c'est surtout dans les peintures mixtèques et zapotèques que ces signes jouent un rôle important : les noms des divinités, ceux des prêtres et, en général, des individus, y sont exprimés par des signes de jours, accompagnés de leur numéro. Cette notation indique que, chez les anciens habitants de l'Oaxaca, les gens étaient appelés d'après le jour de leur naissance, qui servait à fixer, par ailleurs, leur horoscope. Cette coutume nous est mentionnée par un auteur espagnol du XVIe siècle. Les nombres sont indiqués de façon très simple, par autant de petits cercles que le nombre énoncé contient de fois l'unité. Ces cercles sont peints de couleurs diverses; ils sont groupés de façon irrégulière, suivant la place occupée par les signes qu'ils accompagnent et la forme de ceux-ci. Dans le Codex Féjervary-Mayer et le Codex Laud, les nombres sont écrits de façon différente : jusqu'à 4, on se sert de cercles, mais 5 est figuré par une barre, 10 par deux barres, etc.; 13 s'écrit avec trois points disposé horizontalement au dessus de deux barres horizontales . Les manuscrits d'une époque antérieure à la conquête ne renferment pas de grands nombres; les chiffres sont employés le plus souvent pour indiquer les jours du calendrier, où il n'est pas nécessaire de noter de nombres supérieurs à 13. Le Codex Mendoza, le Codex Telleriano-Remensis et le Codex Vaticanus A, qui datent d'une époque peu postérieure à l'arrivée des Européens, nous montrent le procédé dont usaient les anciens Aztèques pour écrire les grands nombres. Il est basé sur les principes de leur numération verbale qui était vigésimale et dont les unités d'ordre croissant étaient 1, 20, 400, 8000. Les nombres jusqu'à 20 étaient notés à l'aide de cercles, comme il a été dit plus haut; pour 20, on se servait d'un petit drapeau pantli ou pamitl. Pour 400, le Codex Mendoza et le Codex Telleriano-Remensis emploient l'image dune plume. Pour 8000, la figure était celle d'une bourse aussi bien dans le Codex Mendoza que dans le Vaticanus A. Ces chiffres se combinaient de façon très simple. On ne les trouve que dans les manuscrits qui montrent les tributs exigés des villes soumises à la confédération mexicaine. (H. Beuchat.). |
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