| Eckhart (Johann, dit Maître Eckhart). - Philosophe mystique allemand, né vraisemblablement en Thuringe vers 1260, mort, à ce que l'on croit, en Avignon en 1327 ou 1328. Sa vie est mal connue. On sait seulement qu'il entra de bonne heure dans l'ordre des Dominicains. Il entre, aux environs de 1275, dans l'ordre des dominicains, à Erfurt; prieur de son ordre vers 1295, puis vicaire pour la Thuringe. En 1302, on le retrouve à l'université de Paris, où il s'enfonça dans l'étude d'Aristote et des platoniciens et obtint le grade de maître ès arts. Il y enseigna brièvement dès cette époque à Paris. Mais sa réputation d'érudit et de penseur était déjà retentissante, et il fut appelé à Rome en 1302 pour assister le pape Boniface VIII dans sa lutte contre Philippe le Bel. En 1303, il devint provincial de son ordre pour la Saxe et, en 1307, vicaire général pour la Bohème. En 1313-1314, il enseigna encore à Paris, où il avait été envoyé de nouveau à l'école des dominicains. Puis il fut envoyé à celle de Strasbourg pour y professer la théologie. Partout où il passa, il semble que son enseignement et sa prédication laissèrent des traces profondes. A Strasbourg même, son activité éveilla des soupçons et lui créa des ennemis; on assimila sa doctrine à celle des Beghards et des frères du Saint-Esprit, et le supérieur général de l'ordre chargea les prieurs de Worms et de Mayence de soumettre ses écrits à une enquête. L'histoire de cette enquête est des plus obscures; il semble bien que Maître Eckhart fut cité devant le tribunal de l'Inquisition de Cologne et qu'il désavoua par avance tout ce que sa doctrine pouvait, à son insu, contenir qui ne fût pas conforme à la plus pure orthodoxie. L'enquête alla jusqu'au pape qui, en 1329, condamna quelques propositions tirées des livres d'Eckhart, deux ans après la mort de celui-ci. Eckhart avait beaucoup écrit; quelques sermons seulement et quelques traités lui ont survécu. L'importance de Maître Eckhart dans l'histoire de la scolastique est considérable. A cette époque, tout l'effort de la philosophie religieuse tendait à élargir la théologie pour y faire rentrer la science universelle, en conciliant la raison et la foi. A cette dialectique toute formelle du connaitre, Eckhart, le premier au Moyen âge, a ouvertement substitué une dialectique de l'Être assez analogue à celle des mystiques alexandrins. La notion fondamentale de sa philosophie est celle de l'Absolu, ou unité abstraite, conçu comme seul existant réellement. Hors de Dieu, pas d'existence réelle. Ce Dieu est le theos agnôstos des néo-platoniciens; il est absolument dépourvu d'attributs; toute détermination serait une limitation de son être infini. Dieu est incompréhensible; en réalité, il n'est rien autre, au regard de notre intelligence bornée, que l'éternel possible, origine et fin dernière de toute chose. Comment donc ce Dieu peut-il être une personne? C'est que le Père engendre éternellement le Fils dans lequel il prend conscience de lui-même, et le retour du Fils au Père dans un mutuel amour est l'Esprit. En même temps que le Fils, Dieu engendre les formes idéales des choses créées. L'absolu est ainsi le fond commun de Dieu et de l'Univers. Comme le Fils encore, toute chose née de Dieu tend à retourner à Dieu pour s'abîmer dans l'unité de l'être. De cet absolu, nous ne connaissons d'ordinaire que les apparences sensibles; mais l'humain, en faisant effort pour s'abstraire du temps et de l'espace, a le pouvoir d'atteindre cet absolu; ce pouvoir, qu'Eckhart appelle étincelle (Scintilla, Fünklein) vient de Dieu. C'est au fond Dieu agissant dans l'humain; connaître Dieu, c'est s'identifier à Dieu. C'est là la fin dernière de notre activité, et le moyen d'y parvenir serait le quiétisme absolu. Mais Eckhart recule devant ces conséquences; il admet que les facultés humaines ont un emploi légitime et n'a jamais nié l'efficacité des bonnes oeuvres. Il n'est qu'à moitié vrai qu'il ait devancé la Réforme dans cette voie. Les ouvrages de Maître Eckhart, parmi lesquels on remarque un traité De duodecim inefabilibus bonis et gratiis, étaient restés manuscrits jusqu'au XIXe siècle; P. Pfeiffer les a publiés à Leipzig, 1858. (Th. Ruyssen).
| Sur la toile. - Vous trouverez une biographie plus complète de Maître Eckhart et d'autres informations sur le site de l'ERMR (Equipe de recherche sur les mystiques rhénans). | | |