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Donatello
(Donato di Niccolò di Betto Bardi) est un sculpteur né
à Florence ou aux environs vers 1386
(plus exactement entre 1382 et 1387), mort à Florence le 13 décembre
1466. Par son caractère, son génie fougueux, par l'importance
historique et la portée artistique de son oeuvre, il est une des
plus originales et des plus grandes figures du glorieux Quattrocento. Tant
que les historiens de l'art, obéissant aux préjugés
du néo-classicisme, virent dans la Renaissance
une sorte de coup de théâtre, un brusque retour de l'humanité
(à la date précise de 1453) aux formes et à l'esprit
de l'antiquité, Donatello, comme tous les grands artistes ses contemporains,
fut englobé dans le discrédit qui frappait l'art «
gothique ». Mais depuis que l'on a reconnu et proclamé le
rôle prépondérant du naturalisme dans l'affranchissement
et le renouvellement de l'art moderne, il a repris sa véritable
place; en 1886, en même temps qu'elle recevait triomphalement les
cendres de Rossini et qu'elle inaugurait la nouvelle
façade du Dôme, Florence célébrait, comme un
événement national, le cinquième centenaire de sa
naissance.
Le père de Donatello, Niccolò di Betto Bardi, était cardeur de laine et fort engagé dans la politique. A la suite de la révolte des « Ciompi », il fut exilé de Florence; il se réfugia successivement à Pise et à Lucques, fut même condamné à mort, puis gracié. Il transmit à son fils, à défaut de son goût pour la politique, son caractère ardent et passionné, mais c'est au service de l'art seul que furent consacrées les énergies de cette nature impétueuse. L'enfant fut placé en apprentissage chez un orfèvre (c'est de l'atelier des orfèvres que sortirent la plupart des grands artistes du XVe siècle); puis, s'il faut en croire Vasari, il travailla chez le peintre Lorenzo di Bicci (on le voit en 1434 chargé d'un carton de vitrail pour la cathédrale et inscrit dans la corporation des peintres de Saint-Luc) ; mais c'est à la sculpture qu'il voua exclusivement sa volonté et son génie. Si son âge l'empêcha de prendre part au concours fameux des portes du Baptistère (1401), il travailla du moins comme simple compagnon au service de Ghiberti à l'exécution de la première de ces portes. C'est deux ans après ce concours qu'il aurait fait avec l'un des concurrents, son ami Brunelleschi, le voyage de Rome et c'est là, au dire de quelques-uns de ses biographes, que son génie se serait éveillé au contact de l'Antiquité tout à coup révélée. Ce voyage, qu'un critique moderne, Hugo de Tschudi, a cru pouvoir mettre en doute, bien que la tradition en repose sur le témoignage d'un auteur contemporain, ne semble en tout cas avoir eu aucune influence immédiate sur le goût du jeune artiste. Toutes les oeuvres à date certaine de sa première manière sont d'un réalisme intransigeant et se rattacheraient plutôt au naturalisme de l'école bourguignonne alors très renommée et dont l'influence et les doctrines rayonnèrent au loin. C'est seulement plus tard que Donatello alla chercher dans les modèles de l'Antiquité un contrepoids et un principe modérateur. Il est pourtant une de ses oeuvres, l'Annonciation (bas-relief de pierre), placée sur l'un des autels de Santa Croce, que ses historiens les plus autorisés, Eugène Müntz notamment, ont placé entre les années 1406 et 1412 et qui témoigne, au moins dans son ornementation avec ses chapiteaux à mascarons, son entablement à rosaces, volutes, rais de coeur, oves et denticules, d'une préoccupation marquée de l'art antique. Il est d'ailleurs une anecdote souvent citée qui montre à quel point, dans le jugement de ses contemporains, Donatello était surtout réaliste et jusqu'à la brutalité : c'est celle des deux crucifix racontée par Vasari. Donatello avait sculpté pour Santa Croce un Christ en bois qu'il voulut montrer à son ami : « Ce n'est pas un Christ, c'est un paysan que tu as mis sur la croix, lui répondit celui-ci. - Fais-en autant », aurait répondu Donatello piqué au vif.Brunellesco se mit à l'oeuvre et plusieurs mois après, un jour que Donatello revenait du marché, chargé de provisions, il aperçut, en entrant dans l'atelier, un crucifix si parfait que, saisi d'admiration, il laissa tomber par terre les oeufs, les fromages et les légumes dont il avait fait emplette, et s'écria : « Oui, il t'appartient de sculpter des Christs; à moi, des paysans! »Les premiers travaux de Donatello furent des statues commandées pour Santa Maria de' Fiori (qui fut pour les artistes florentins une source inépuisable de commandes), pour le Campanile et Or San Michele. Pour Or San Michele, il fit le Saint Pierre (1406-1410) et le Saint Marc (1411), dont les têtes, pleines de caractère et d'individualité, débordent de vie; pour le Campanile, le Saint Jean-Baptiste, première épreuve d'une figure qu'il devait par la suite reprendre si souvent et marquer si profondément de son empreinte; pour Santa Maria, les deux petites statues de Prophètes, placées des deux côtés du fronton de la seconde porte septentrionale (1406-1408). Dès 1412, il avait terminé le Josué (exposé aujourd'hui à la cathédrale) et pour lequel, cédant à ce besoin de réalisme dont il fait bientôt donner tant d'autres preuves, il copia la figure de Giannozo Manetti; vers 1415, le David de marbre (Museo Nazionale), un peu cherché et maniéré dans son attitude, mais de grâce si juvénile et de charme si personnel. C'est comme une première pensée de l'admirable Saint Georges, d'une élégance si fière, si simple et si jeune, qu'il achevait en 1416 pour la façade d'Or San Michele et qui est malheureusement séparé aujourd'hui du bas-relief qui le complétait délicieusement. Les statues en pied d'Abraham, de David, de Habacuc et de Jérémie au Campanile sont, plus encore que Josué, d'un réalisme vigoureux et hardi dont les surnoms populaires, qui désignent quelques-unes d'entre elles, témoignent avec une familiarité expressive. David, dans sa laideur énergique où la vie, la vieillesse et la pensée ont marqué leur passage, c'est le Zuccone (= le chauve); et l'on y reconnaissait un certain Giovanni di Barduccio Cherichini. Jérémie, avec le pli amer de sa grosse lèvre et les rides de son front puissant, c'est, dit-on, Francesco Soderini, et dans Habacuc, de même, on sent un portrait. Peu importe d'ailleurs le nom des modèles : ce qui est intéressant à noter ici, c'est cet âpre besoin de la présence réelle du modèle, de la nature individuelle, c'est cette recherche passionnée de la vie dans ses traits les plus physionomiques. Mais Donatello était à un degré égal capable d'exprimer la grandeur simple et la grâce; la statue assise de Saint Jean l'Evangéliste, qu'il exécuta entre 1408 et 1415 (exposée aujourd'hui à l'intérieur de la cathédrale), est un des chefs-d'oeuvre de la statuaire du XVe siècle et a mérité, pour l'ampleur des draperies, la beauté saisissante de la conception et de l'expression, d'être considéré comme le modèle ou le frère aîné du Moïse de Michel-Ange. Pour compléter la liste des travaux
accomplis par Donatello pour le Dôme pendant cette première
période de sa vie, il faut citer une autre statue de prophète,
désignée sous le nom du Pogge,
quoique très vraisemblablement elle ne représente en rien
le célèbre humaniste, et qui compte parmi les plus célèbres
des oeuvres du maître. Par l'expression sarcastique de la bouche
au large rictus, la vie intense de la figure creusée de plis et
pleine de pensée, le jet superbe des draperies étalées
sur les pieds (à la manière des gothiques de la fin du XIVe
siècle), l'oeuvre est en effet du plus grand caractère; elle
fut exécutée entre les années 1415 et 1425. C'est
dans la même période que Donatello avait sculpté le
lion
qui monte la garde au pied de l'escalier
du palais où logeait le pape Martin V à Santa Maria Novella,
(1419); les têtes des séraphins de la chapelle des Pazzi
à Santa Croce; le Saint Jean-Baptiste en bronze, aux traits
amaigris, vêtu d'une peau de chameau
sur laquelle est jetée une draperie fouillée et mouvementée
comme celle du Zuccone pour la cuve baptismale de la cathédrale
d'Orvieto (1423) (aujourd'hui au musée de Berlin); un autre Saint
Jean pour la cathédrale de Sienne.
De 1425 à 1433, Donatello travaille en collaboration avec Michelozzo, qui, statuaire de second ordre, finit par se vouer exclusivement et avec beaucoup plus de succès à l'architecture. De cette collaboration sortirent le tombeau du pape Jean XXIII (au Baptistère de Florence) qui devint avec son baldaquin de marbre, son gisant de bronze et ses vertus théologales, le prototype d'un grand nombre de monuments funéraires du XVe siècle; le beau mausolée du cardinal Brancacci, exécuté à Pise et transporté par mer à Naples dans l'église Sant'Angelo à Nilo, flanqué de colonnes corinthiennes, supporté par trois figures allégoriques et surmonté d'une Vierge avec l'enfant Jésus; le tombeau beaucoup plus simple de Jean de Médicis dans la sacristie de l'église Saint-Laurent, décoré de figures d'anges assis ou accroupis ou bien voltigeant autour du sarcophage, d'une aisance d'allure et d'une grâce de mouvement exquises (1428). La même année, ils élevaient, sur un des angles de la façade extérieure de la cathédrale de Prato, une chaire destinée à l'exposition de la ceinture de la Vierge (pulpito della cintola) où Donatello déroula, dans le bel encadrement architectural composé par son ami, des groupes de génies ailés entraînés dans une saltation joyeuse et tout entiers au plaisir de leur danse. Ce thème plaisait au grand artiste; il devait y revenir souvent; c'est lui qui a lâché dans l'art italien ces bandes innombrables de putti; nul n'y apporta plus d'animation et de verve, ni surtout une entente supérieure du geste naturel pris sur le vif et saisi dans sa spontanéité et sa brusquerie charmantes. C'est de la même époque que datent la dalle funéraire en bronze de l'évêque de Grossetto, Giovanni Pecci (Dôme de Sienne, 1426), un bas-relief destiné à la cuve baptismale de la même ville, Présentation à Hérode de la tête de saint Jean-Baptiste (1427), et le buste de vie si intense de Niccolo da Uzzano, mort en 1432 (terre cuite, Muzeo Nazionale). En 1432, se place un voyage à Rome, dont la statue tombale de Jean Crivelli de Milan dans l'église d'Aracoeli conserve seule le souvenir. Quand les Médicis furent exilés après la révolution de 1433, Michelozzo les accompagna à Venise et l'association des deux amis se disloqua. Donatello accepta de toutes parts des commandes et vécut, avec l'insouciance joyeuse qui le distinguait, un peu au jour le jour. C'est alors qu'il sculpta les bas-reliefs célèbres des rondes d'enfants destinés à la tribune de la cathédrale de Florence (14331440) et les enfants tenant les guirlandes de la sacristie ancienne. En 1437, l'Opera di Duomo lui offrit même 1900 florins d'or pour composer et exécuter en bronze les deux portes de la nouvelle sacristie. On ne saurait dire pourquoi il laissa échapper une aussi belle commande. Au retour des Médicis, on lui confia l'exécution de huit médaillons en marbre incrustés dans la cour de leur palais; il y copia des camées et pierres antiques (Diomède tenant le palladium, Faune et Bacchusenfant, Bacchus et Ariane, Triomphe de Bacchus, Dédale et lcare, Ulysse et Minerve (ou plutôt Athéna), un Centaure, Prisonnier barbare); Cosme de Médicis lui commanda le David en bronze, porté en 1495 au palais de la Seigneurie, aujourd'hui au Museo Nazionale, merveilleuse figure, l'une des plus élégantes et des plus savantes à la fois qui soient sorties de sa main; le Mercure ou Cupidon, également en bronze et d'une bizarrerie si savoureuse en même temps que d'une vérité de geste si expressive, est de la même époque. A la sacristie de Saint-Laurent, où il avait déjà travaillé, il ajouta les bustes de Saint Laurent, et les portes de bronze qui furent l'occasion d'une brouille avec Brunellesco. Ces travaux étaient terminés au moment où il fut appelé à Padoue (1444) pour l'exécution de la statue équestre du condottiere vénitien Erasme Gattamelata. Commencée en 1444, cette statue ne fut terminée qu'en 1453; elle est, avec le Colleone, le chef-d'oeuvre de la Renaissance dans ce genre qu'il s'agissait en quelque sorte de créer à nouveau. Donatello, selon l'expression de Vasari, y exprima avec « une rare vivacité le frémissement et le halètement du cheval, le courage et la fierté du cavalier ».C'est probablement pendant ses longues études pour le Gattametata qu'il fit la belle tête de cheval en bronze, donnée par Laurent de Médicis au comte Matalone à Naples et conservée aujourd'hui au musée de cette ville. Pendant qu'il travaillait à ce chef-d'oeuvre, Donatello reçut de l'administration du Santo (église Saint Antoine de Padoue) une commande encore plus importante : il s'agissait en effet d'une dizaine de statues et de vingt bas-reliefs de bronze pour l'exécution desquels il signait un double traité le 23 juin 1446. Les statues, Saint-Antoine de Padoue, Saint Louis de Toulouse, Saint François d'Assise, etc., qui décoraient-le maître-autel, le Crucifix et la Pietà (l'un et l'autre d'un réalisme implacable) sont dispersés dans l'église de Padoue et ne comptent pas parmi ses chefs-d'oeuvre. Dans la série de bas-reliefs de l'Histoire de saint Antoine de Padoue, au contraire, son génie se donne libre carrière; pour la fougue du sentiment dramatique, l'entente de la composition mouvementée et pathétique, jamais il ne s'éleva plus haut. Saint Antoine accordant la parole à un enfant pour proclamer l'innocence de sa mère; Saint Antoine découvrant une pierre à la place du coeur de l'avare et la Guérison d'un jeune homme, etc., abondent en épisodes d'une inoubliable intensité. Il y a prodigué, avec çà et là quelques réminiscences de statues antiques, la fantaisie la plus primesautière, la verve la plus audacieuse, les observations les plus saisissantes de gestes et de mouvements pris à même la vie. Pour le maître-autel,
il composa un grand et admirable bas-relief en stuc, la Mise au tombeau;
la douleur des apôtres
y est exprimée avec un singulier mélange ale violence et
de naïveté de souvenirs antiques et de réalisme passionné.
La même scène se retrouve sur une plaque en bronze de la collection
Ambrosienne : Douze bas-reliefs représentant des anges
musiciens, jouant du luth, des cymbales, de la lyre,
de la mandoline, du tambourin, complètent
dignement cette décoration merveilleuse du Santo. Quant aux Symboles
des évangélistes, ils furent exécutés sous
la direction du maître par ses élèves et « garzoni
». Le succès de cet ouvrage (dont l'influence devait
être si décisive par la suite) fut considérable. Donatello
comparant l'enthousiasme des Padouans à l'esprit critique des Florentins,
disait même qu'à force d'éloges on finirait par lui
faire oublier tout ce qu'il savait. A partir de 1450, il avait assez avancé
son travail pour pouvoir s'absenter souvent de Padoue; en 1450, il passe
à Modène où il signe un traité pour l'exécution
d'une statue de Borso d'Este qu'il ne devait jamais
exécuter; en 1451, il est à Ferrare,
à Venise (où il exécuta
un Saint Jean-Baptiste en bois pour l'église des Frari),
à Mantoue (où il commença
la châsse destinée aux
reliques
de saint Anselme qu'il laissa inachevée), etc.
Exemplum salutis publicae cives posuere.Il faut encore citer, parmi ses oeuvres, dont on ne saurait avoir la prétention d'épuiser la liste : le buste de Saint Jean-Baptiste en marbre et la statue de Saint Jérôme en bois du musée de Faënza; le bas-relief en marbre du Christ remettant les clefs à saint Pierre, aujourd'hui au South Kensington Museum; l'admirable petit bas-relief ou plaquette en bronze, Martyre de saint Sébastien, de la collection Edouard André; une série de Vierge avec l'enfant; le bas-relief en marbre du musée Wicar à Lille; le Festin d'Hérode; la plaquette du Louvre (collection His de la Salle), la Flagellation, et une suite nombreuse de bustes d'enfants ou de Saint Jean-Baptiste (collection Dreyfus, Goupil, etc.). A dater de 1457, Donatello, fatigué de ses pérégrinations, revint se fixer en Toscane; mais, au lieu de rentrer directement à Florence, sa ville natale, il va s'établir à Sienne où il reste jusqu'en 1461. Il y exécute les maquettes en cire de portes de bronze qu'il ne fit jamais, un Goliath disparu et un Saint Jean-Baptiste en bronze conservé à la cathédrale. Dans ses vieux jours, il n'eut d'autres ressources que la bienfaisance des Médicis. Son désintéressement et son insouciance avaient toujours été extrêmes. (Vasari raconte qu'il plaçait dans un sac, suspendu au milieu de l'atelier, l'argent qu'il touchait pour ses travaux chacun y puisait selon ses besoins). Cosme l'avait recommandé en mourant à son fils Pierre, qui lui fit don d'un petit domaine. Mais les soucis de cette exploitation, si modeste fut-elle, eurent vite rebuté le grand artiste et il retourna dans sa pauvre petite maison de la Via del Cocomero, où il passa ses derniers jours, atteint de paralysie et incapable de manier le ciseau. C'est là qu'il mourut. Florence lui fit des funérailles solennelles; tous les artistes, suivis d'une foule immense, escortèrent son cercueil qui était porté par des sculpteurs, des peintres et des orfèvres. Andrea della Robbia se glorifiait, de longues années plus tard, d'avoir été l'un des porteurs. (André Michel). |
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