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Antoinette du Ligier
de la Garde, Mme Deshoulières, née probablement
à Paris le 1er
janvier 1638, où elle fut baptisée le 2 à Saint-Germain
l'Auxerrois, morte à Paris le 17 février 1694. Elle était
fille de Melchior du Ligier, sieur de La Garde, chevalier de l'ordre du
roi, et de Claude Gaultier. Son père, qui était maître
d'hôtel d'Anne d'Autriche, lui fit
donner une brillante éducation. Elle apprit l'italien, l'espagnol,
même le latin, prit la goût de la poésie dans l'intimité
du poète Jean Hesnault, un libre penseur, et de la philosophie avec
Gassendi, le défenseur d'Epicure,
le précurseur du sensualisme de Condillac,
dont la double influence se montrera dans un grand nombre de ses vers.
Mariée à treize ans et demi, le 18 juillet 1651, à
un gentilhomme du Poitou, neveu de M. de Boisguerin, gouverneur de Loudun,
Guillaume de la Fon de Boisguerin, seigneur Deshoulières, maître
d'hôtel du roi et gentilhomme ordinaire du prince de Condé,
elle en fut presque aussitôt séparée par la résolution
que prit son mari, au mois d'octobre 1662, de suivre en Flandre Condé
dont il avait embrassé la parti et qui l'avait nommé lieutenant-colonel
d'un de ses régiments. M. Deshoulières ne devait revenir
en France qu'en 1660, avec ce prince.
Rentrée à Paris, chez ses
parents, Mme Deshoulières partageait son temps entre l'étude
et quelques amis, comme Ménage, Benserade,
Conrart, Hesnault,
dont elle repoussa les déclarations, Gassendi qui ne mourut qu'en
1655. Ayant été vers 1655 retrouver son mari à Bruxelles,
elle inspira au prince de Condé des sentiments fort tendres qu'elle
partagea peut-être, comme on peut le supposer d'après une
lettre qu'elle lui adressa le 22 décembre 1656. Les Espagnols ne
payant pas à M. Deshoulières la pension qu'ils lui avaient
promise, elle présenta ses réclamations avec tant de vivacité
que le gouverneur des Pays-Bas ne trouva, pour s'en débarrasser,
de meilleur moyen que de la faire enfermer au château de Vilvorde.
Elle en sortit au bout d'un an par un coup de main que pratiqua contre
cette forteresse son mari aidé de quelques officiers français.
Tous deux se réfugièrent en France, dont l'amnistie contenue
dans l'article 9 du traité de 1659 relatif au prince de Condé
avait rouvert les portes aux partisans de ce prince. Soit que son mari
n'ait pas été pourvu alors des « divers emplois considérables
» dont parlent ses biographes, soit que ses affaires domestiques
aient été irrémédiablement dérangées
par ces huit années d'absence, toujours est-il que le ménage
ne cessa depuis cette époque de mener une existence fort gênée.
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Dans ces
prés fleuris
« Dans ces
prés fleuris
Qu'arrose la Seine,
Cherchez qui vous
mène,
Mes chères
brebis.
J'ai fait, pour
vous rendre
Le destin plus doux,
Ce qu'on peut attendre
D'une amitié
tendre;
Mais son long courroux
Détruit,
empoisonne
Tous mes soins pour
vous,
Et vous abandonne
Aux fureurs des
loups.
Seriez-vous leur
proie,
Aimable troupeau,
Vous, de ce hameau
L'honneur et la
joie;
Vous qui, gras et
beau,
Me donniez sans
cesse
Sur l'herbette épaisse
Un plaisir nouveau?
Que je vous regrette!
Mais il faut céder
Sans chien, sans
houlette,
Puis-je vous garder?
L'injuste fortune
Me les a ravis.
En vain j'importune
Le Ciel par mes
cris;
Il rit de mes craintes,
Et, sourd à
mes plaintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.
Puissiez-vous, contentes
Et sans mon secours,
Passer d'heureux
jours,
Brebis innocentes,
Brebis mes amours!
Que Pan vous défende
Hélas!
il le sait, Je ne
lui demande
Que ce seul bienfait.
Oui, brebis chéries
Qu'avec tant de
soin
J'ai toujours nourries,
Je prends à
témoin
Ces bois, ces prairies,
Que si les faveurs
Du dieu des pasteurs
Vous gardent d'outrages,
Et vous font avoir
Du matin au soir
De gras pâturages,
J'en conserverai
Tant que je vivrai
La douce mémoire,
Et que mes chansons
En mille façons
Porteront sa gloire
Du rivage heureux
Où vif et
pompeux
L'astre qui mesure
Les nuits et les
jours,
Commençant
son cours,
Rend à la
nature
Toute sa parure,
Jusqu'en ces climats
Où sans doute
las
D'éclairer
le monde,
Il va chez Téthys
Rallumer dans l'onde
Ses feux amortis.
»
(A.
Deshoulères).
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Les époux avaient même été
obligés de recourir à la séparation de biens dès
1658. En novembre 1659, M. Deshoulières prenait la qualité
d'aide de camp des armées du roi, major de Dixmude. Envoyé
à Bayonne en 1671, il fut près
de dix ans employé aux fortifications de Guyenne,
puis en Flandre. C'était un fort habile ingénieur du génie.
C'est en 1672, dans le Mercure galant, que Mme Deshoulières,
sous le nom d'Amaryllis que lui avait donné le chevalier de Gramont,
débuta dans la littérature par des vers qui lui acquirent
bientôt une grande célébrité et lui firent donner
le surnom de « Dixième Muse ». Pressée trop souvent
par le besoin d'argent, elle était obligée de s'adresser
à Ponchartrain, à Montausier,
à Mme de Maintenon pour obtenir enfin,
en 1688, une pension de 2000 livres, qui ne lui fut pas toujours régulièrement
payée. Si le prince de Condé avait conservé d'elle
quelque tendre souvenir, il ne paraît pas la lui avoir prouvé
alors d'une façon très effective.
Cette gêne continue n'empêchait
pas cependant Mme Deshoulières de recevoir, dans sa modeste demeure
de la rue de l'Homme-Armé, dans le Marais, la meilleure et la plus
spirituelle compagnie. Son salon, qui conserva quelque chose de la délicatesse
de l'époque où brillait l'hôtel
de Rambouillet, eut toutefois ce caractère particulier mis en
lumière par Sainte-Beuve « d'avoir à la fois du précieux
et du hardi, de mêler dans son bel esprit un grain d'esprit fort
». C'est comme l'anneau qui relie Hesnault, Saint-Pavin,
Méré, Des Barreaux, Saint-Evremond,
à Chaulieu, à Fontenelle
et à Voltaire. Parmi ceux qui fréquentaient
chez elle, il faut citer : les deux Corneille,
Pellisson, Benserade, Conrart, Perrault,
les deux Tallemant, Fléchier,
Mascaron, Quinault, Ménage, La
Monnoye, les ducs de La Rochefoucauld,
auxquels elle dut beaucoup, de Montausier, de Nevers, de Saint-Aignan,
de Vivonne, Vauban. Elle avait fait partie de
cette Académie des belles-lettres, que l'abbé d'Aubignac
réunissait à l'hôtel Matignon et où les femmes
étaient admises.
Elle fut plus tard reçue à
l'Académie d'Arles et à celle
des Ricovrati de Padoue. Son admiration pour Corneille et son amitié
pour le duc de Nevers lui firent prendre parti pour la Phèdre
de Pradon contre celle de Racine. C'est alors
qu'elle fit contre celui-ci cette épigramme, trop célèbre
pour sa gloire, qui fut long temps à tort attribuée au duc
de Nevers, et à laquelle Boileau répondit
par le portrait qu'il fit d'elle dans sa Xe
Satire. Elle était d'ailleurs d'autant plus mal venue à
critiquer Racine que ses essais dans le genre tragique avaient tous été
malheureux. Ses tragédies de Genséric
(1680) et de Jules-Antoine, sa comédie des Eaux de Bourbon
et son opéra de Zoroastre sont des oeuvres plus que médiocres.
Auprès de ses contemporains, ses idylles,
et en particulier celle des Moutons, furent surtout célèbres.
Aujourd'hui on leur préfère beaucoup certaines épîtres,
certaines stances, comme la belle pièce
Prière (1686), où au milieu des épreuves de
l'infortune et de la maladie, la forme et la pensée ont pris plus
de grandeur et de force stoïque. Ses dernières années
furent en effet tourmentées par les douleurs cruelles d'un cancer
au sein qu'elle avait ressenties pour la première fois en 1682 et
auxquelles elle finit par succomber à l'âge de cinquante-six
ans, dans son appartement de la rue
de la Sourdière. Elle fut enterrée dans l'église
Saint-Roch. Son mari était mort le 3 janvier de l'année
précédente.
De son mariage elle avait eu un fils, Jean-Alexandre,
né le 25 novembre 1666, baptisé seulement le 23 juin 1683,
employé dans le génie sous Vauban, mort le 12 août
1694; et trois filles : Antoine-Thérèse (ci-dessous); la
seconde, Antoinette-Claude, née à Paris le 3 novembre1659;
la troisième dont on ignore les prénoms.
Les meilleures éditions anciennes
de ses Oeuvres sont celles de Paris (1687 et 1695) et celles de
1747 (2 volumes) et de 1749 (2 volumes).
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Réflexions
diverses
« Que l'homme
connaît peu la mort qu'il appréhende,
Quand il dit qu'elle
le surprend!
Elle naît
avec lui, sans cesse lui demande
Un tribut dont en
vain son orgueil se défend.
Il commence à
mourir longtemps avant qu'il meure;
Il périt
en détail imperceptiblement.
Le nom de Mort qu'on
donne à notre dernière heure
N'en est que l'accomplissement.
Quel poison pour
l'esprit sont les fausses louanges!
Heureux qui ne croit
point à de flatteurs discours!
Penser trop bien
de soi fait tomber tous les jours
En des égarements
étranges.
L'amour-propre est,
hélas! le plus fort des amours;
Cependant des erreurs
il est la plus commune.
Quelque puissant
qu'on soit en richesse, en crédit,
Quelque mauvais
succès qu'ait tout ce qu'on écrit,
Nul n'est content
de sa fortune,
Ni mécontent
de son esprit.
Les plaisirs sont
amers d'abord qu'on en abuse.
Il est bon de jouer
un peu;
Mais il faut seulement
que le jeu nous amuse.
Un joueur, d'un
commun aveu,
N'a rien d'humain
que l'apparence;
Et d'ailleurs, il
n'est pas si facile qu'on pense
D'être fort
honnête homme et de jouer gros jeu.
Le désir
de gagner, qui nuit et jour occupe,
Est un dangereux
aiguillon.
Souvent, quoique
l'esprit, quoique le coeur soit bon,
On commence par
être dupe, On finit par être fripon. »
(A.
Deshoulières).
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