| Girard Desargues est un mathématicien et architecte né à Lyon en 1593, mort à Lyon en 1661. D'une famille honorable, il vint s'établir, probablement comme architecte, à Paris, où, dès 1626, il s'était distingué par ses connaissances théoriques et par ses efforts pour perfectionner les procédés pratiques des artisans. Il se lia dès cette époque avec Descartes, et leur amitié ne se démentit jamais. En 1628 , il prenait part, comme ingénieur, à la construction de la digue de La Rochelle. Il appartint, d'un autre coté, dès l'origine, au cercle de savants dont les réunions hebdomadaires (en premier lieu chez Le Pailleur) devaient donner longtemps après naissance à l'Académie des sciences. Il retourna à Lyon vers 1650 et y passa dans la retraite les dernières années de sa vie. Ses oeuvres, sur lesquelles Poncelet et Chasles avaient attiré l'attention, ont été réunies et publiées par Poudra (Paris, 1864, 2 vol. in-8). Desargues a fait imprimer successivement, avec un privilège datant de 1630, un opuscule sur la Perspective, reproduit par Abraham Bosse dans son Traité de 1648); il est intitulé Exemple de l'une des manières universelles du S. G. D. L. touchant les pratiques de la perspective sans employer aucun tiers point, de distance ny d'antre nature, qui soit hors du champ de l'ouvrage; un traité sur les coniques, conservé seulement par une copie de La Hire et ayant pour titre : BrouilIon project d'une atteinte aux évènemens des rencontres d'un cône avec un plan (Paris, 1639) il semble avoir été réuni sous le titre général de Leçons de ténèbres, avec une Atteinte aux évènemens des contrariétés d'entre les actions des puissances ou forces, qui est perdue; enfin, en août 1640, un traité de coupe de pierres, de perspective et de gnomonique, dont on ne connaît qu'un exemplaire conservé à la bibliothèque de l'Institut et dans lequel fait défaut la planche des figures; il a pour titre : Brouillon project d'exemple d'une manière universelle du S. G. D. L., touchant la pratique du trait à preuves pour la coupe des pierres en l'architecture, et de l'esclaircissement d'une manière de réduire au petit pied en perspective comme en géométral, et de tracer tous quadrans plats d'heures égales au soleil. Desargues s'attira contre lui une polémique violente dans les circonstances suivantes. Un traité de perspective pratique (du P. Dubreuil, 1642), édité par Melchior Tavernier et Langlois, dit Chartres, ayant plagié, avec des erreurs, son opuscule de 1636, il fit afficher sur les murs de Paris deux placards (Erreur incroyable, etc., Fautes et faussetés énormes, etc.) et distribuer un petit livret (Six Erreurs de pages, etc., avr. 1642) contre ce traité. On lui répondit par la même voie et l'on réunit les attaques dirigées contre lui dans un recueil intitulé Avis charitable sur les divers oeuvres et feuilles volantes du sieur Girard Desargues, Lyonnais (Paris, 1642), dont il existe au reste plusieurs exemplaires différents par la composition, tandis que les placards de Desargues sont perdus, y compris sa Réponse à cause et moyens d'opposition (16 décembre 1642). Dégoûté de ces attaques et quoiqu'il se soit laissé entraîner encore une fois en 1644 (Sommation faite au sieur Curabelle, perdue) à répondre à une nouvelle critique sortie de la même officine et même à engager un procès dont on ignore la fin, Desargues laissa désormais à son élève et ami, Abraham Bosse le soin de vulgariser ses idées sur la pratique des arts. Il lui céda son privilège, reconnut comme un exposé fidèle de ses leçons les trois ouvrages successifs de Bosse sur la coupe des pierres (1643), sur la gnomonique (1643) et sur la perspective (1648) et rédigea même pour ce dernier volume un appendice faisant suite à la réimpression de sa Perspective de 1636. Il ne semble pas au contraire que le livret Aux Théoriciens qui précède cette réimpression et qui avait déjà paru isolément en 1643, soit réellement de lui. Le style de Desargues était déjà, de son temps, qualifié de jargon par ses ennemis; il passe encore pour obscur, mais on aurait tort de le juger d'après les titres plus ou moins bizarres de ses écrits; en réalité, ce style dénote une puissante originalité et il serait, malgré sa concision, toujours parfaitement clair pour un mathématicien si, dans son traité des coniques, il n'avait pas affecté de substituer à tous les termes techniques de nouvelles expressions plus ou moins heureusement choisies, mais qui, en tout cas, déroutent le lecteur. II ne subsiste aujourd'hui qu'une seule de ces expressions, celle d'involution qui répondait d'ailleurs à une idée vraiment nouvelle. Théorème de Desargues. - Ce théorème, qui a été célèbre, peut s'énoncer ainsi : Si l'on coupe les coniques circonscrites à un quadrilatère par une sécante, ces coniques déterminent sur la sécante deux divisions en involution. Desargues est le premier inventeur des méthodes qui renouvelleront la géométrie pure au XIXe siècle. Il avait la pleine conscience de son originalité et il a voulu rompre entièrement avec tout ce qui avait été fait avant lui dans la théorie des coniques. Son oeuvre ne pouvait être estimée à sa valeur que par les esprits supérieurs, comme Descartes et Fermat, mais ils marchaient dans des voies différentes, s'appliquant à créer la géométrie analytique, qui devait bientôt attirer sur elle toute l'attendon des mathématiciens. Cependant les travaux de Desargues eussent été immédiatement féconds, si Blaise Pascal, dont le célèbre Essai pour les coniques qu'il rédigea à seize ans (1640) est une application avouée des idées du géomètre lyonnais, eût persévéré dans l'entreprise qu'il s'était engagé à accomplir. S'il avait, en géométrie pure, secondé Desargues comme Bosse le fit pour les applications pratiques, la science eût pu gagner une avance d'un siècle et demi sur nombre de points. Desargues semble avoir eu un talent remarquable d'exposition orale; malgré l'opposition qu'il rencontra, ses procédés pour les arts se répandirent peu à peu jusqu'à ce que Monge reprît ses idées pour les systématiser. II semble aussi avoir eu un réel talent comme architecte, d'après les indications données par Bosse sur ses travaux. Enfin, au témoignage de La Hire, c'est à lui qu'on doit l'invention des roues à dents épicycloïdales. (Paul Tannery). | |