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Honoré Daumier
est un célèbre caricaturiste
né à Marseille en 1808, mort
en 1879. Fils d'un vitrier de Marseille épris de poésie,
et qui a laissé un volume de vers, les Veillées poétiques
(Paris, 1823, in-12), Honoré devait rappeler certains traits du
caractère de son père, mais avec tous les perfectionnements
qui distinguent l'artiste de génie de l'homme simplement intéressant.
Insouciant, négligent de ses affaires, artiste quoique sans instruction,
mais avide de savoir, le père vint à Paris,
et c'est là que le jeune Daumier grandit.
Employé d'abord dans une librairie,
il quitte bientôt le commerce pour se livrer à son goût
pour le dessin : le premier événement
important de sa vie est son emprisonnement en 1832 pour la lithographie-caricature
de Gargantua;
c'était bien débuter, et cet accident devait donner au jeune
Honoré le renom suffisant pour le faire adopter comme coryphée
par tout un parti avide de tourner en dérision le pouvoir et de
saisir le côté ridicule des choses établies : il est
permis de penser que les hommes même les plus considérables
ont été quelquefois servis par les événements;
si Daumier fût né à une autre époque, il n'eût
pu trouver aussi facilement matière à raillerie et à
flétrissure, et peut-être lui devrions-nous des oeuvres d'un
tout autre ordre : mais c'était l'époque romantique, le temps
des révolutions en art et en politique, et Daumier naissait à
propos; par un hasard heureux, il trouva dès ses débuts le
guide et le milieu qu'il lui fallait : quelques portraits satiriques publiés
dans de petits journaux le font remarquer, et, vers 1830, il fait la connaissance
de Philipon, dessinateur sans grand mérite,
mais plutôt tempérament de pamphlétaire et de sectaire
: ce Philipon joue un rôle considérable dans l'oeuvre et dans
la vie de Daumier.
C'est lui qui lui donne souvent les idées
des dessins, et qui lui en fournit les légendes; au reste, la revue
qu'il dirige, la Caricature, réunit une pléiade d'artistes
de talent dignes de Daumier, quelques-uns inférieurs à lui
plutôt, et qu'il faut citer : Granville,
Henry Monnier, Decamps,
et enfin Traviès et Pigal, qui certainement lui durent ce qu'ils
avaient d'intéressant. Philipon ayant remarqué les portraits
de Daumier, c'est par des portraits que débute celui-ci, et quelques-uns
sont devenus légendaires, non seulement parce qu'ils incarnent et
vivifient une époque passée, chose déjà estimable,
mais parce qu'ils créent ou conservent des types généraux
communs à tous les temps et à tous les pays.
Qui ne connaît les portraits de Bastien
et Robert, ces deux types d'assassins qui se complètent l'un
l'autre dans leur complicité; et, comme pendant si l'on veut, celui
de M. Persil, le magistrat haineux et partial, ambitieux, capable
de tout pour arriver, même peut-être de faire le bien! Mais
ce qu'il nous faut noter dès maintenant, comme un trait bien particulier
à Daumier, c'est que ce Juvénal
impitoyable était doublé d'un artiste ému et sensible.
Les événements, nous le répétons, le conduisirent
à la charge, et il y fut génial; mais toutes les fois qu'il
en eut l'occasion, il donna une autre note, et avec non moins de succès
et de talent; au reste, avant beaucoup observé, beaucoup dessiné
d'après nature, n'ayant même pas négligé la
culture de l'académie et de la plastique pure, ainsi qu'en font
foi certains croquis, il avait à son service le métier parfait,
la facilité à triompher de la difficulté d'exécution
indispensable à l'artiste complet; les portraits de la Caricature
(1831) sont signés du pseudonyme Rogelin comme si l'artiste voulait
s'essayer, sans connaître toute sa puissance.
En 1833, il continue au Charivari
: les portraits de Royer-Collard, du ministre
Barthe, de Viennet, de Odiot, etc., annoncent déjà un maître,
et celui-ci apparaît, enfin, indiscutable, dans le Ventre législatif,
publié encore sous la direction de Philipon;
ces cinq planches sont peutêtre la partie la plus importante de l'oeuvre
de Daumier, et c'est peut-être là qu'il s'est le plus abandonné
à son fougueux tempérament, à son ardeur démocratique.
Mais, empressons-nous de dire, et ceci n'est pas d'un médiocre intérêt,
qu'en dehors de toute idée politique, de tout esprit de parti, l'oeuvre
de Daumier subsiste intégral et génial le magistrat fielleux
et haineux, bâillonnant l'accusé, nous intéresse comme
mouvement et comme attitude, comme type abstrait et général,
si l'on veut, et peu nous importe qu'il soit un reflet exact d'une époque,
ou créé de toutes pièces par un artiste; il est vrai
même s'il n'a pas existé au moment où il fut représenté...
Cependant que se publiait le Ventre législatif et d'autres
planches séparées, le Charivari continuait ses attaques,
les amendes pleuvaient, et la feuille incorrigible ne se fatiguait pas.
Tantôt c'est le Constitutionnel
qui défraye sa bonne humeur, lorsqu'on oublie la Revue des Deux
Mondes, et voilà qu'après Véron, c'est le roi
lui-même, sous le symbole bizarre de la poire, qui vient égayer
le lecteur. A côté de ces caricatures
politiques, comme, suivant une légende d'un dessin
de Daumier, le bois était cher et les arts n'allaient pas, l'artiste
produisait une foule de compositions les plus différentes, poussé
par la nécessité. Mais partout où passe le génie,
il laisse sa marque, et les vignettes pour Versailles ancien et moderne,
les lithographies d'après Decamps
et Paul Huet intéresseront autant les artistes que la série
des Bals de la cour où d'innénarrables travestis laissent
deviner Royer-Collard, le maréchal Soult,
etc.
Nous voici au légendaire Robert
Macaire, plus intéressant encore celui-là, et toujours
pour le même motif : nous sommes plus que jamais en dehors d'une
époque et d'un pays, et ces diverses incarnations de Robert Macaire,
pharmacien, agioteur, policier, resteront éternelles: c'est ici
de l'art et du grand art. Nous citerons maintenant la Magistrature (inspiré
par la condamnation qui marqua son entrée dans la vie), les Bourgeois,
la Politique, les Enfants, les Artistes, les Roberts-Macaires, Paris, Inventions,
etc.
Les deux procédés habituels
à Daumier sont le dessin et la lithographie; on a conservé
de lui des tableaux et des aquarelles moins
spéciaux et moins admirables, quoique fort intéressants venant
d'un tel homme.
Au reste, sa République,
faite en 1848 pour un concours ouvert à l'Ecole des beaux-arts,
est une oeuvre pleine de foi et d'enthousiasme et mérite mieux que
l'estime une place à part doit être faite aussi à son
Convoi funèbre au Père-Lachaise. Là, comme
on l'a dit justement, Daumier rappelle Goya, et
le sombre drame de la rue Transnonain revit dans toute son horreur.
Si l'on veut résumer d'un mot l'oeuvre
de Daumier, peut-être pourra-t-on dire qu'il éleva la caricature
au-dessus du rire et qu'il vit le comique avec les yeux d'un dramaturge.
(Henri d'Argis). |
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