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Ralph Cudworth est un théologien et philosophe, célèbre comme l'un des chefs de l'école dite des Platoniciens de Cambridge, né à Aller (Somersetshire) en 1617, mort à Cambridge le 26 juin 1688. Il fit ses études à Cambridge, au collège Emmanuel, y prit en 1632 son degré de maître ès arts. Sa science et ses talents étaient déjà à ce point estimés qu'à peine sorti de l'université il y rentrait comme maître. I l se partageait dès lors entre la philosophie religieuse et les études hébraïques; en 1645, il était promu à une chaire d'hébreu dont il resta titulaire jusqu'à la fin de sa vie. Les révolutions politiques qui agitèrent son pays n'ébranlèrent pas sa situation universitaire, et les régimes divers qui se succédèrent lui témoignèrent, enfin de compte, une égale faveur. En 1647, il avait prêché devant la Chambre des communes; ce sermon nous a été conservé. Sept ans plus tard, il était appelé à la direction de Christ's College; en 1657, une commission du Parlement le désignait comme un des réviseurs chargés de remanier la traduction anglaise de la Bible. Les divers ouvrages qu'il avait publiés jusqu'à ses dernières années faisaient assurément honneur à l'érudit; mais aucun n'était encore de nature à lui mériter le renom d'un métaphysicien éminent, renom que l'histoire a consacré. C'est qu'il ne se mit que sur le tard à la grande composition où devait être exposée , avec une ampleur, il faut bien le reconnaître, fort démesurée, son système philosophique du monde. Encore cet ouvrage, dont la publication aurait été retardée, si l'on en croit divers on-dit qui ne font nullement foi, par la malveillance présumée du parti hobbiste alors très en faveur à la cour, ne parut-il jamais intégralement. Le traité, dans la pensée de son auteur, devait former une vaste trilogie : or de cette trilogie nous n'avons que le premier livre, lui-même volumineux, qui fut donné au public en 1678 sous ce titre : True Intellectual System of the Universe. Quant à son Treatise concerning eternal and immutable morality, que fit paraître en 1731 l'évêque Chandler, on peut le considérer comme un fragment de cet énorme ensemble. Mais une partie considérable de l'oeuvre est restée inédite; les manuscrits en sont conservés au British Museum : faisons cependant exception pour le morceau intitulé Traité du libre vouloir qui, en 1838, a trouvé en Angleterre un éditeur. Le Vrai Système intellectuel de l'univers demeure, en dépit de ses longueurs, le chef-d'oeuvre de Cudworth, où nous pouvons le mieux lire son vaste rationalisme. La position que cet exposé dogmatique occupe dans l'histoire de la philosophie moderne est bien remarquable, car ce livre nous offre une métaphysique toute platonicienne, édifiée par les seules forces de l'intellect, métaphysique singulièrement agressive contre toute doctrine suspecte de compromettre les vérités fondamentales du spiritualisme et du déisme, et qui par cela même contraste singulièrement avec cet empirisme intraitable, qui, dès cette époque même, avait mis sa marque sur la spéculation anglaise. Bacon déjà et Thomas Hobbes avaient imprimé à la philosophie anglaise la direction dans laquelle, sauf quelques brillantes exceptions, les maîtres de ce pays devaient être entraînés. Cudworth, ainsi d'ailleurs que son ami Henry More, sont des ontologistes résolus. Ralph Cudworth. Ce « système véritable de l'Univers » à la conception duquel l'entendement doit élever le sage, repose sur ce triple principe : existence d'un monde spirituel qui trouve dans la réalité divine son couronnement; distinction éternelle et non purement nominale, entre le bien et le mal; liberté humaine tenue pour indispensable à la moralité. Toute philosophie qui, sur l'un ou l'autre de ces trois points, a été ou se montre hostile est prise à partie par le platonicien de Cambridge. Et comme les négations opposées soit au spiritualisme, soit au pur concept du devoir, soit au libre arbitre ont été souvent reprises par les philosophes, on s'explique que la tâche de réfuter tant de systèmes ennemis retienne longtemps le dogmatique. De là l'étendue que les développements polémiques occupent dans l'ouvrage. Cudworth ne restreint pas sa dialectique à une période : il combat ses adversaires de tous les temps, dans la haute antiquité grecque aussi bien que dans l'âge présent. Toutes les formes et du fatalisme et de l'athéisme, il les démasque et les proscrit avec même zèle, livrant aussi bien assaut à l'hylozoïsme d'un Anaximandre qu'au matérialisme d'un Hobbes. Mais sa doctrine est plus qu'une éristique destinée à préparer le triomphe de la théologie rationaliste. Elle est constructrice aussi, et Cudworth n'est pas moins patient à édifier qu'il l'a été à détruire. L'existence de Dieu et son action partout présente dans le monde, telle est la vérité souveraine qu'il entend substituer à toutes les variétés de scepticisme qu'il a combattues. Mais, pour avoir le droit de prouver cette réalité suprême, il s'estime dans l'obligation de proclamer l'absolue véracité de la raison, sans laisser nulle place, en aucune phase de sa dialectique, à ce dangereux doute méthodique par lequel Descartes avait ouvert au pyrrhonisme (Pyrrhon) un passage. A cette condition seulement, il pourra mener à fin sa démonstration de l'existence de Dieu, en s'aidant de méthodes inspirées tant de Platon que de saint Anselme. L'attitude morale de Cudworth ne serait pas comprise si l'on faisait abstraction de ce que fut sa métaphysique. A sa théorie de la connaissance se rattache directement sa doctrine du bien et du devoir. Aussi son Traité concernant la Moralité éternelle et immuable relève-t-il autant de l'ontologie que de l'éthique. Contrairement au courant général qui entraînera les philosophes de son pays, mais qui, reconnaissons-le, à cette époque du moins, eut si peu d'action sur les penseurs de Cambridge, il considère la connaissance sensible comme une source incertaine et trouble de savoir ; une skotié gnômé disait-il, sans doute à la suite de Démocrite. L'extérieur n'est pas, par la perception, directement appréhendé en lui-même. En revanche, les idées-rationnelles, toutes spontanées qu'elles soient dans la pensée et en dépit de leur origine-a priori, ont vraiment une valeur absolue. Les objets qu'elles saisissent ne sauraient que par un inadmissible scepticisme être révoqués en doute. Or, si l'on tient compte du fait qu'au premier rang de ces objets figurent des concepts tels que le bien et le devoir et leurs contraires, le mal et la faute, force est donc de reconnaître que l'éthique repose sur des fondements éternels et nécessaires. Les principes du devoir sont en conséquence supérieurs à l'agent moral auquel ils s'imposent; que disons-nous? supérieurs même à l'omnipotence de ce Dieu dans l'entendement duquel ont leur siège justice et vérité. En cela, Cudworth se montre bien animé du plus pur esprit platonicien. Sa philosophie morale est à l'opposé de l'éthique cartésienne et elle incline visiblement dans la direction qui sera suivie par Leibniz et Malebranche. Seulement, au lieu que ces philosophes, contraints par les exigences mêmes de ce déterminisme rationnel, feront, en fin de compte, au libre arbitre une place singulièrement amoindrie et garderont bien plutôt le mot que la chose, le platonicien de Cambridge maintiendra et à Dieu la toute-puissance et à l'humain la liberté autonome, au risque de s'embarrasser lui-même dans une insoluble antinomie. On ne saurait, par l'aperçu qui précède, se faire qu'une idée très incomplète de ce vaste système, de l'étendue de connaissances que l'auteur y a déployée, de la puissance métaphysique dont il y a fait preuve. Par malheur, trop de scolastique, trop d'éristique en encombre l'exposition. L'art du dialecticien est comme étouffé par l'abondance d'une argumentation quine veut rien omettre, même de superflu. Le lecteur moderne recule à s'engager et l'éditeur à engager les autres en une telle forêt. Ce que nous possédons de l'oeuvre est déjà énorme et pourtant ce n'en est qu'une fraction! La grande ennemie de Cudworth aura été sa prolixité. (Georges Lyon).. |
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