| Thomas Couture est un célèbre peintre français, né à Senlis le 21 décembre 1815, mort à Villiers-le-Bel, près de Paris, le 30 mars 1879. Ses parents vivaient d'un travail assez humble. Mais l'enfant avait un esprit altier, et tout petit il rêvait de hautes destinées; celle de continuer l'état de son père, qui faisait des galoches, ne lui suffisait pas. Entré à l'atelier de Gros, en 1830, ce fut à l'atelier de P. Delaroche qu'il fit ses premières armes. En 1837, il remporta le second grand prix de Rome avec une composition, Noé à la descente de l'arche, qui ne sortait pas du genre poncif, emphatique et plat alors en faveur dans les concours officiels. Il fit l'année suivante un nouvel essai malheureux, puis abandonna l'Ecole et renonça définitivement au séjour de la villa Médicis. Son parti était pris de chercher sa voie avec ses seules forces et de se constituer une originalité. En 1840, il présenta au Salon un Jeune Vénitien après une orgie, puis, en 1841, un Enfant prodigue, assis, les jambes ballantes, sur un rocher, qui le fit remarquer. Une certaine habileté d'arrangement et surtout une couleur très particulière, argentine et rosée dans les tons clairs, bitumeuse dans les dessous, le signalèrent à l'attention de la critique. Ce furent par les mêmes qualités de coloriste qu'il se distingua au salon de 1848 avec un joli Trouvère, qui sentait bien un peu la poésie de romance, et dont la grâce mélancolique ne dépassait guère la note mise à la mode par Deveria; mais ce tableau offrait un tel imprévu de couleur, un mélange si heureux de tons austères tempérés par d'aimables accompagnements de gammes tendres, des roses et des noirs en conflits chatoyants, et, par-dessus tout, trahissait une telle aisance d'exécution que son auteur passa aussitôt grand favori dans les ateliers d'artistes où l'on se tint au courant de ses projets, de ses essais, de ses ébauches. L'Amour de l'or, qui parut au Salon de 1844, justifia les espérances que Couture faisait naître. Ordonnée dans la manière des tableaux du Valentin et du Caravage, la composition figurait un homme aux cheveux hérissés, aux joues creuses, au regard inquiet et fauve, qui défend son trésor contre les passions qui l'assaillent de toutes parts, crispant ses mains avec désespoir sur les pièces de monnaie amoncelées et résistant aux séductions de la Poésie qui veut l'attirer aussi bien qu'aux caresses d'une belle femme nue aux rondes épaules et aux flancs potelés. L'Etat proposa à Couture de lui acheter ce tableau 10,000 F, ou bien 8,000 F en y ajoutant la croix de la Légion d'honneur. L'artiste prit les 10,000 F, ne doutant pas que la croix dût bientôt lui échoir. L'Amour de l'or est au musée de Toulouse. En même temps Couture exposait le portrait en pied d'un jeune homme, grasse et forte peinture qui, si elle n'indiquait ni finesse ni élégance dans le style, montrait du moins les remarquables progrès qu'il avait faits en peu de temps. Au Salon de 1847, Couture exposa le grand tableau, les Romains de la décadence, qui reste son chef-d'oeuvre et qui produisit une impression considérable. Les critiques gourmés et dogmatiques, qui étaient tentés de faire un grief à Couture de son indépendance, trouvèrent bien quelques épigrammes pour son exécution « sans corps » qui rendait, selon eux, ce tableau plus semblable à une immense aquarelle qu'à une franche et loyale toile de peinture à l'huile. On blâma aussi l'aspect conventionnel et théâtral de la composition, sa froideur en dépit de quelques épisodes trop chaleureux, les costumes faux, l'absence de caractère. Mais les éloges dominèrent et l'enthousiasme de la foule consacra le succès de Couture. On admira le dessin magistral dans son dédain des détails puérils et prétentieux; on trouva l'architecture lumineuse, spirituelle et comme enlevée de brosse vénitienne. Tout en rendant justice au talent de l'artiste, les critiques des décennies suivantes ont cependant considéré que son art est un art de musée, fait de souvenirs, d'imitation, et que si son pinceau est savant, parfois aussi audacieux que celui des grands maîtres, principalement dans les accessoires, les draperies, les architectures, il n'a, sous le rapport de l'expression, du sentiment, jamais une trouvaille originale, jamais un éclair. Quoi qu'il en soit, les Romains de la décadence portèrent aux nues la renommée de l'artiste. Le gouvernement lui acheta ce tableau pour le musée du Luxembourg, et le nomma chevalier de la Légion d'honneur (novembre 1848). Mais par une bizarrerie singulière, à partir de ce moment, Couture cessa à peu près complètement de montrer ses oeuvres au public. Il se mit pourtant, vers 1849, à s'occuper avec ardeur d'une vaste composition dont il proposa le sujet à Charles Blanc, alors directeur des beaux-arts, lequel a écrit à ce sujet les lignes suivantes : « Deux ans après l'éclat de son succès, j'étais alors directeur des beaux-arts au ministère de l'intérieur. Couture vint me voir. C'était un homme petit, ramassé, robuste, portant avec orgueil sa tête engoncée : il ressemblait à Ingres. L'administration lui avait commandé l'Enrôlement des volontaires en 92. Il me parla de ce tableau futur : il le peignit en paroles de flamme... » Mais ce ne fut plus désormais, semble-t-il, qu'en paroles que s'exhala le talent de l'artiste. En 1855, il exposa néanmoins le Fauconnier, peinture remarquable et qu'on peut mettre, au point de vue de l'exécution, au-dessus des Romains de la décadence. Jamais Couture ne rencontra sur sa palette couleur plus fluide et plus charmante que dans cette toile de petite dimension (elle se trouve actuellement à Berlin) où il montrait le fauconnier agaçant du bout de ses doigts en riant l'oiseau chasseur. Ce fut, ainsi qu'on l'a dit, le dernier sourire de la muse à l'ami qu'elle allait abandonner. Dès lors, Couture, retiré dans un château de Villiers-le-Bel, dont il fit l'acquisition, parut prendre à tâche de se faire oublier, évitant de produire aucune des oeuvres qu'il exécutait, commençant vingt compositions qu'il laissait inachevées, aigri, on ne sait pourquoi, contre ses contemporains qui ne savaient pas, croyait-il, l'apprécier à sa valeur, exhalant sa bile contre ses confrères les peintres dans des écrits pleins de verve et de mots acerbes (Méthode et entretiens d'ateliers et Paysages et entretiens d'ateliers), en un mot, tournant à la misanthropie et à l'hypocondrie. Il laissa à l'état d'ébauche, plein de fragments superbes, son Enrôlement des volontaires, commença pour la salle des Etats du Louvre une vaste décoration officielle, le Baptême du prince impérial, qui fut également abandonnée, enfin entreprit toute une série de petites compositions tantôt philosophiques et tantôt satiriques, le Juge endormi, le Roi de l'Epoque, l'Avocat, la Noblesse, la Courtisane moderne, le Petit Gilles, nombre de paysages, des têtes de Moines, des Pifferari, etc., qui seraient restés ignorés du public si la famille de Couture, ainsi que Barbedienne, un de ses plus fervents amis, n'avaient eu l'idée d'organiser au mois de septembre 1880 une exposition de son oeuvre au palais de l'Industrie. Cette exposition ranima la curiosité de la foule auquel le nom de Couture était devenu presque complètement étranger, le peintre n'ayant plus exposé qu'une seule fois, et sans succès, un Damoclès au Salon de 1877. Elle contribua à faire connaître sous son véritable aspect le talent de cet artiste chercheur, un peu métaphysicien, coloriste souvent saisissant, qui, soit par impuissance, soit par orgueil, et craignant de ne plus rencontrer un succès égal à celui que lui avait valu son oeuvre les Romains de la décadence, s'en tint pour ainsi dire à ce seul tableau. (Victor Champier). |