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John Constable est un paysagiste de l'école anglaise, né à East-Bergholt, dans le comté de Suffolk, le 11 juin 1776, mort près de Londres le 31 mars 1837. Son père, qui jouissait d'une certaine aisance, le destinait à l'état ecclésiastique, mais sa vraie vocation se manifesta de bonne heure. Très épris des beautés de la campagne, il rencontra un jour dans une de ses excursions un peintre et amateur distingué de ce temps, sir George Beaumont, le fondateur de la National Gallery, qui, s'étant intéressé à ce jeune homme, lui donna quelques conseils, lui prêta des dessins de maîtres anciens et finit même par obtenir de son père qu'il pût enfin se livrer à la peinture. Muni d'une lettre de recommandation de son protecteur pour un artiste alors très en vogue, Joseph Farington, il entra en 1795 dans l'atelier de ce dernier, mais il n'y resta qu'un an et un peu découragé il revint travailler seul dans son pays. De retour à Londres en 1799, il s'y fit admettre comme élève à l'Académie royale et ses progrès rapides lui méritèrent les sympathies de B. West qui dirigeait alors cette institution. Cependant il était encore loin d'avoir trouvé sa voie et si la première oeuvre exposée par lui fut un paysage, nous le voyons les années suivantes se hasarder assez malencontreusement sur le terrain de la peinture religieuse avec un Christ bénissant les enfants, en 1804, et un Christ consacrant le pain et le vin, en 1809. Désireux de s'assurer un avenir un peu moins précaire, John Constable avait aussi cherché à se faire une place comme portraitiste. Mais, comme il le reconnut bientôt lui-même, la sincérité absolue qui le portait à respecter scrupuleusement les types de ses modèles, sans les flatter jamais, ne pouvait pas lui gagner la faveur du public. Ainsi qu'il le disait d'ailleurs, il n'avait jusque-là « cherché la vérité que de seconde main, en s'efforçant d'imiter la manière des maîtres ». A ses risques, et sans se faire d'illusion sur les difficultés de vie qu'il rencontrerait dans cette voie, il résolut de ne plus suivre désormais que son goût et de se consacrer entièrement au paysage. Il ne cessa pas dès lors de demander ses inspirations à la nature, de la prendre seule pour guide et de chercher dans son étude un appui constant. Bien que son talent fût déjà reconnu par ses confrères, Constable ne vendait pas ses tableaux et pendant plusieurs années il se vit refuser la main d'une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps et qui ne lui fut accordée qu'en 1816. Ce mariage lui ayant apporté quelque aisance, il habita alors Londres pendant environ quatre ans et fut nommé membre associé de la Royal Academy en 1819. Mais sa passion pour la nature, qui croissait en même temps que son talent, le détermina, en 1820, à se fixer en province, à Hampstead, afin d'être plus à portée de ses chères études. John Constable, la Voiture de foin. Peu à peu la réputation lui était venue, mais plus encore en France que dans son propre pays. En 1824, un marchand français qui avait acheté trois de ses paysages les envoyait au Salon de Paris où, avec une place d'honneur, ils obtenaient la médaille d'or. La Vue près de Londres, le Canal et la Voiture de foin produisirent à cette exposition une sensation très vive parmi les artistes français. Ils contrastaient avec le goût qui prédominait encore, et la fraîcheur, la vérité des intonations, la franchise des impressions et le choix même des motifs constituaient à cette date une nouveauté et un encouragement aux tentatives qui s'agitaient alors dans l'art français. Delacroix en avait été très vivement frappé et l'on rapporte même que, sous le coup de l'admiration que lui avaient causée ces paysages, admiration qu'il conserva toute sa vie pour le maître, il avait repris et repeint en quatre jours son Massacre de Scio. « Constable, écrivait-il plus tard (1858), dans une lettre à Th. Sylvestre, est une des gloires anglaises. C'est un véritable réformateur, sorti de l'ornière des paysagistes anciens. Notre école a grandement profité de ses exemples et Géricault était revenu tout étourdi de l'un des grands paysages qu'il nous avait envoyés. »Aussi Delacroix ne cessait-il pas de vanter les oeuvres de Constable à ceux qui, comme lui, étaient engagés dans le mouvement de rénovation qui travaillait cette époque. Paul Huet, Dupré, Rousseau et Cabat, associés des premiers à ce mouvement, saluaient aussi avec joie les oeuvres de cet étranger et le concours qu'il apportait à leurs propres tentatives. En Angleterre, il est juste de le reconnaître, le terrain était préparé depuis plus longtemps et l'on trouverait, avant Constable, bien des témoignages d'un retour marqué au sentiment de la nature. Alors qu'en France on continuait encore à tailler impitoyablement et à façonner d'une manière grotesque les arbres des jardins, à y tracer des allées droites, des carrés de verdure ou des labyrinthes, les Anglais laissaient se développer en toute liberté les riches ombrages de leurs parcs, et arrondissaient avec art à travers leurs vastes pelouses les courbes de leurs routes sinueuses. Vers ce temps aussi, des poètes comme Wordsworth et le groupe des lakistes chantaient chez eux les beautés modestes des campagnes du Westmoreland au milieu desquelles ils vivaient. Dans la peinture même, une réaction formelle s'était produite contre les froideurs et les banalités du style classique dont Wilson (1714-1782) avait été un des derniers représentants. Chez Gainsborough qui le suit de près (1727-1788), les impressions sont plus franches, plus directes, et l'interprétation du paysage, bien que conçue encore dans un sens un peu décoratif et mêlée à des réminiscences évidentes de Rubens ou de Huysmans de Malines, montre déjà un charme de vérité qui trouve bientôt avec un contemporain de Constable, John Crome le Vieux (1769-1821), son intime et pénétrante expression. Cette fois l'émancipation était complète et dès 1803, en groupant autour de lui l'association des artistes de Norwich définitivement fondée en 1805, Old Crome marquait la date d'une évolution qu'il achevait de caractériser jusqu'à la fin de sa vie par des oeuvres telles que les Bruyères (le Mouschald-Heath, le Vieux Chêne, le Moulin à vent, la Carrière d'ardoises, etc., dans lesquelles il s'est appliqué à rendre dans leur austère simplicité l'aspect des landes incultes, la majesté auguste des arbres séculaires, la désolation des coins les plus sauvages et les plus ingrats des environs de Norwich. - John Constable, Le Moulin de Dedham. John Constable, lui, est plus aimable; il a aussi plus de variété et de vie. Ce qui le séduit, c'est la richesse de la nature dans les grasses campagnes de son pays, ses prairies opulentes, arrosées par des eaux vives, avec la végétation magnifique qui garnit leurs berges et les arbres touffus qui les ombragent. Dans ses ciels chargés d'humides vapeurs roulent d'épaisses nuées, et personne jusque-là n'avait compris aussi bien que lui le parti éloquent que le paysagiste peut tirer du spectacle changeant de ces ciels anglais, de leurs reflets fugitifs, des grandes luttes que s'y livrent les nuages amoncelés, de leurs obscurcissements sinistres aux approches de l'orage ou des ombres mobiles qu'ils promènent à travers les herbes frissonnantes. Tout cela dénote une observation pénétrante qui constitue la vraie supériorité de John Constable et fait de son oeuvre un poème tout débordant de sève et de poésie agrestes. L'amour que lui inspirait la nature s'exhalait non seulement dans ses tableaux, mais dans ses conversations et dans ses lettres. « Je n'ai jamais rencontré dans la nature, disait-il, les scènes qui ont inspiré les paysages de Wilson et de Claude. Je suis né pour peindre mon propre pays, ma chère Angleterre. »Et dans une autre lettre : « J'aime chaque haie, chaque tronc d'arbre, chaque ruelle de mon village et tant que ma main pourra tenir un pinceau, je ne me lasserai pas de les peindre. »John Constable croyait que, pour qui sait voir, les plus humbles coins peuvent fournir des motifs que l'artiste ému arrive à rendre intéressants. Plein d'admiration pour la richesse et la diversité inépuisable des aspects de la campagne, il se plaisait à répéter : « Jamais deux jours ne se ressemblent, ni deux heures, et depuis la création il n'y a jamais eu deux feuilles d'arbre exactement pareilles. »En 1827, le Champ de Blé marquait un pas décisif dans la carrière de l'artiste. Le sujet est des plus simples : un chemin bordé de grands arbres, dans lequel passe un troupeau de moutons dont le petit pâtre, couché à plat ventre sur la berge d'un ruisseau, boit à même dans l'eau courante. C'est l'été dans son plein épanouissement, et des coquelicots, des reines des prés en fleurs se mêlent aux larges feuilles des tussilages. Des moissonneurs commencent à faucher les épis jaunissants (ce sont en réalité des épis de seigle) qui ont donné son nom au tableau. Au loin un tranquille horizon de prairies, et, à demi caché dans ses vergers, un petit village avec ses toits rouges et son clocher. Au-dessus, un ciel lourd semé de nuages blanchâtres dont les intonations intenses s'accordent avec celles de la végétation. Le tableau eut un grand succès, mais pas cependant en rapport avec son mérite, car après la mort de l'artiste, lorsqu'un groupe d'amateurs en proposa l'achat pour la National Gallery, cette proposition rencontra d'abord de l'opposition parmi les directeurs. La Cathédrale de Salisbury, qui appartient aujourd'hui au musée de South-Kensington, est une peinture claire, limpide et charmante. Au centre, des vaches s'abreuvent dans une mare, et les murailles de l'église vivement éclairées par le Soleil forment une harmonie heureuse avec le ton des arbres qui encadrent cet édifice et qui sont d'ailleurs d'une tournure très élégante et d'une exécution irréprochable. Dans Dedham-Mill (comté d'Essex) du même musée, le motif, bien que plus modeste, n'est pas traité avec moins de bonheur et la clarté, la limpidité de la lumière dans ce paysage matinal rappelle avec plus d'ampleur certains tableaux de Bonnington, à ce moment l'émule du peintre et comme lui très goûté par l'élite du public parisien. - John Constable, l'un des tableaux qu'il a peints de la Cathédrale de Salisbury. En 1828, la mort de son beau-père avait apporté l'indépendance à John Constable, mais cette année même il eut la douleur de perdre sa femme et il resta longtemps accablé par cette perte. L'année suivante, il fut nommé membre de l'Académie à laquelle il appartenait comme associé depuis 1819; il n'avait pas cessé depuis cette époque de prendre part aux expositions de cette compagnie et le total des envois qu'il y fit atteint le chiffre de cent quatre tableaux. Désormais ses oeuvres étaient très recherchées et leur prix allait toujours croissant. En 1835, deux ans avant sa mort, il exposait un de ses tableaux les plus célèbres et certainement un de ses chefs-d'oeuvre : la Ferme de la Vallée, connu aussi sous le titre de la Maison de Willy Lott, du nom de son possesseur qui depuis plus de quatre-vingts ans l'avait habitée sans la quitter jamais plus de quatre jours consécutifs, pendant tout ce temps. Le motif, pris aux environs d'East Bergholt, est des plus simples, mais à l'amour avec lequel il l'a traité et à l'impression d'intimité qui s'en dégage, on sent qu'il rappelait au peintre les souvenirs de son enfance et des campagnes pittoresques où s'était éveillée sa vocation. Les constructions qui ont donné son nom au tableau en occupent le second plan, au bord d'une petite rivière aux eaux courantes, et un massif de grands arbres aux troncs élancés s'élève sur la rive opposée; un coin de forêt borne l'horizon. Une foule de détails bien choisis concourent à l'animation comme à la vérité du paysage : des vaches traversent l'eau sur laquelle flotte une barque conduite par un homme vêtu d'un gilet rouge; une femme portant un panier est assise auprès de lui; des canards frétillent heureux parmi les herbes et les nénuphars, et des hirondelles rasent joyeusement la surface de la rivière. La lumière éclatante et pleine, mais habilement distribuée, est bien celle d'une journée d'été; à droite, la masse sombre des grands arbres s'oppose hardiment aux blanches murailles des maisons et aux clairs nuages qui roulent dans le ciel. Tout cela est gai, diapré, très animé, très vivant de couleur et de facture et si, de près, les empâtements paraissent un peu trop accusés, les intonations çà et là un peu vives et l'exécution assez rugueuse, à distance ces outrances voulues se calment, s'équilibrent et avec une grande puissance l'ensemble montre une tenue parfaite. Ces aspects de la nature dans toute sa force et sa richesse étaient ceux que John Constable préférait et ceux qu'il excellait à rendre. Peut-être dans quelques-uns de ses ouvrages a-t-il cependant dépassé la mesure en exagérant la variété et l'intensité de ces colorations. Mais il ne pouvait se résoudre aux partis pris dont s'accommodaient la plupart de ses confrères qui, restés fidèles aux traditions de l'école hollandaise, renonçaient à aborder les verdures robustes des prairies ou des bois de l'Angleterre. « Quoi, s'écriait-il avec impatience, regarder toujours de vieilles toiles enfumées et crasseuses, et jamais la verdure ni le Soleil ! »Pour lui, il était sensible aux beautés de toutes les saisons, mais le printemps surtout le transportait d'admiration, et dans ses premières promenades à travers les campagnes ravivées par le renouveau, son âme tressaillait d'enthousiasme. « La nature renaît, tout fleurit, tout s'épanouit autour de moi, écrivait-il à un ami, et à chaque pas il me semble entendre ces paroles de l'Écriture sainte : Je suis la Résurrection et la vie ! »Depuis la mort de John Constable, ses oeuvres ont pris toujours plus de valeur et elles ont été accaparées en Angleterre par les collectionneurs et par les musées; aussi n'en trouve-t-on qu'un très petit nombre sur le continent. Le Louvre presque seul en possède, mais les quatre tableaux de Constable qu'on y peut voir, il les tient de la générosité de Wilson, du fils de l'artiste, Lionel Constable, et du journal l'Art. Si précieux que soient ces ouvrages, ils ne sauraient cependant donner l'idée du talent d'un peintre qu'on ne peut bien apprécier qu'à la National Gallery et au South-Kensington. Les oeuvres de l'artiste ont été popularisées en Angleterre comme en France par de nombreuses gravures, et la franchise de l'effet, les contrastes qui y abondent prêtaient particulièrement à leur reproduction par l'eau-forte. (Emile Michel). |
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